Biographie
Je suis né en 1949 à Saïda. Mon enfance s’écoule sur fond de guerre d’Algérie. Elève de l’Ecole Normale d’Oran, puis d’Alger, je me destine à enseigner les mathématiques et je me retrouve au Collège d’Enseignement Technique de Saïda. Après deux ans de service national, je débarque à Marseille, sur un coup de tête, à 24 ans. En France, j’enchaîne les petits boulots : ouvrier spécialisé, veilleur de nuit, manœuvre au Club Med…, je découvre l’exclusion ordinaire, en même temps que le temps de faire ce que j’ai toujours voulu faire : écrire.
Inscrit en sciences politiques à l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence (plus pour des raisons de carte de séjour que d’amour des études ; c’était ça ou le marteau – piqueur !…) j’obtiens, en 1980 un diplôme de troisième cycle consacré au » rôle politique de l’intellectuel « .
Nullement attiré par une carrière universitaire, je dispense des cours de culture générale, de méthodologie, de civilisation française contemporaine à l’Université, ainsi que d’autres variantes à usage sanitaire, social, et indéterminés…à destination de publics variés : adultes en formation continue, étudiants étrangers…
Vie de funambule, entre sens (écriture) et non – sens (travaux alimentaires). Comme quoi, toute liberté a un prix.Difficile à vivre, encore plus difficile à quitter, cette indépendance d’esprit à l’intérieur d’un statut d’incasable social ou autre, m’a condamné, pour mon plus grand plaisir, ma plus grande douleur, à n’être que ce que je devais être : écrivain, envers et surtout, contre tout. Singulier, pluriel. Ce qui m’a valu malentendus et ruptures définitives avec nombre de crétins bardés de certitudes. Editeurs indigénistes ou » exotisants « . » Compatriotes » déçus par une absence de patriotisme militant (versants nord et sud de la Méditerranée). Egarés en mal de références et autres…
Ecrire est un luxe et la pire des douleurs. J’y trouve mon pied et je le revendiquerai jusqu’à mon dernier souffle.
31 juillet 2009 à 12 12 33 07337
Extrait)
La mère de ses enfants, épargnée par les coups de feu, hurle :
« Je veux mes enfants ! », comme s’il était évident que ceux-là entraient dans le dessein de Malik Boudaoud.
Le Journal, suite.
Pourquoi, en guise de bonne année, occire son beau-père, puis sa belle-soeur ?
Et pourquoi épargner sa femme et sa belle-mère ?
Et pourquoi avoir zigouillé cet oesophage en déliquescence, ainsi qu’une innocente au corsage fleuri à ras bord ?
Longtemps, je me suis torturé la cervelle. J’ai soupesé nombre d’hypothèses et incarné mille et mille rôles droit sortis des plus échevelés registres d’horreur. J’improvisais en pensée, en folie douce, en abjection domestiquée. J’improvisais. Revenais. M’attardais. Jouissance et dégoût. Aucune honte. J’improvisais. Entrais en interdit. Me mettais à sa place, pour de faux, pour en rire. Tenter de le comprendre… sans vraiment y croire. Espérer… et encore, faute de mieux. M’aventurer dans un inconnu si particulier, dans ces friches humaines où il avait fini, me terrifiait. Monstruosité singulière. Un diamant noir d’humanité sans limites. Des années, des angoisses plus tard, j’habite encore un vivre fait de suaves répulsions, d’inavouables plaisirs. Mes sommeils sont souvent déchirés de cris et de mains fouettant le vide. Les blessures sont amour. Le sourire de Malik continue de clignoter derrière des voiles de néant. Je grelotte de temps à autre, ouvre les yeux ou feins de me rendormir. À quoi bon le traquer encore. Me penser dépositaire de je ne sais quelle occulte procuration. Ridicule ! Même pas l’illusion d’un tardif témoignage. Et pourtant la certitude de l’existence de liens étranges, d’une mission extraordinaire, des ondes et des appels entre une fosse commune et ma table de travail, l’encre noire de ma plume et ses ongles évaporés en boussoles errantes. Un contrat d’horreur et d’exaspération. Pendu à son bon vouloir.
Il me hante et je le renie.
Je le hais et il me réveille.
Insiste.
M’appelle à la tâche.
Rien à prouver. Aucune vérité à exhumer. Comprendre. Seulement comprendre. Se leurrer à la commande. Qu’importe ! Je ne le ménagerai plus. Le traquerai à la trace. Le rédigerai à l’émotion. Le raturerai de toute géographie connue. En ferai un cocu de l’histoire, celle des analphabètes, et l’autre aussi. Me vengerai de lui. L’empêcherai de me repasser par la tête. Expierai en lui. Le réincarnerai au hasard d’une ressemblance, d’une fraternité avouée, reconnue. Le comprendre. Tutoyer sa morgue figée en lucidité définitive. M’y habituer. L’apprivoiser. Et à chaque incursion, dans ce que j’aurai échafaudé avoir été lui, ressortir une fois de plus épuisé, vidé, plus mort que jamais, ivre de douleur nue, assoiffé de vie.
C’est fou, le nombre de pistolets sommeillant dans des plumiers d’enfance ! Et qui, à la plus lointaine évocation, ne demandent qu’à partir. S’habiller de la grenaille des mots. S’éparpiller en vertige. Malik avait sûrement des yeux noirs. Des yeux de dégourdi, veloutés et brillants, toujours en mouvement. Des cheveux bouclés. Des mains de pianiste ou de voleur, faites pour récupérer et tuer.
J’avoue m’être souvent laissé tenter. Me fondant dans des images de passage. Transitant dans l’assassin du jour, quelque chose de lui en retour. Troquant une de mes folies de rien pour l’ombre de ses aumônes de lucidité. Me brûlant à un tournant de mémoire. Lui ouvrant des réhabilitations posthumes. Lui traçant une fin de course plus raisonnable, quelque scénario de sortie plus acceptable, une fin de partie plus ordinaire, plus humble et moins animale dans son déroulement. Quelque chose comme une scène de ménage, avec les éclats de voix d’une rupture consommée. une porte qui claque. Un sanglot. Le silence.
J’avoue avoir voulu me le rendre plus proche. Plus excusable… Qui sait ! Même si ce qu’il avait fait me demeurait absolument inexcusable, et combien compréhensible. Mais son écho d’au-delà me ricanait à la devanture. Son énigme continuait de scintiller de tous ses feux. Son mystère tourmentait en braise lancinante.
Revenant sur un carnage annoncé, je lui ai suggéré de commencer par la belle-mère, victime expiatoire s’il en est. Une balle dans le coeur, son absence, ou ses annexes. Impossible de ne pas faire mouche : la baleine avait de la présence. Viser, appuyer, et la gratifier de l’attaque cardiaque de ses inavouées espérances. Une vraie de vraie. Avec remords de dernière minute accrochés en moue de bouche. Yeux chavirés. Dernières volontés exhalées en râle. Étouffement et fer rouge inséré dans le palpitant. La regarder crever. La broder du regard. Peut-être avec la secrète intention d’inciter Malik à repenser à sa mère, ou à la mienne, une féminité flétrie, tôt trucidée, morte avant d’avoir vécu. N’en décliner qu’un rire. Puis vite revenir au monde. Chasser le souvenir indélicat. Passer ensuite à l’épouse.
Il m’interrompt, le saligaud. Réfute mon ordre de route. Efface le délire en bout de plume. Son spectre hagard daigne enfin se délester de quelques bribes. Des lambeaux de révolte. Un juron et l’absence de regrets. Des mots et des images concassés dans ce qui fut une vie pour rien. Va-t-il se laisser lire ?
Je le sens émaner de nulle part. Grouiller et se démultiplier. Prendre consistance en reproches et réprobations. Se réapproprie son destin, le bougre ! Me congédie et s’en retourne à l’oubli de son éternité glacée. Un fait divers agité au loin. Très loin.
Un signe ! Un mot ! S’il te plaît ?
Je t’en prie…
Hé ! trouduc, rien qu’un petit mot ?
[...]
Extrait, page 40.
© Ahmed Zitouni.
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup
31 juillet 2009 à 12 12 38 07387
Né en 1949 à Saïda, l’enfance d’Ahmed Zitouni s’écoule sur fond de guerre d’Algérie. Élève de l’École normale d’Oran, puis d’Alger, il se destine à enseigner les mathématiques et se retrouve au Collège d’enseignement technique de Saïda. Après deux ans de service national, il débarque à Marseille, sur un coup de tête, à vingt-quatre ans. En France, il enchaîne les petits boulots : ouvrier spécialisé, veilleur de nuit, manœuvre au Club Med… Il découvre l’exclusion ordinaire, ainsi que le temps de faire ce qu’il a toujours voulu faire : écrire.
Vie de funambule, entre sens (écriture) et non-sens (travaux alimentaires). Pour lui, écrire est un luxe et la pire des douleurs.
Il est l’auteur, entre autres, de Amour, sévices et morgue, Éloge de la belle-mère, Aimez-vous Brahim ?, La Veuve et le pendu, Une difficile fin de moi, très largement salués par la critique.
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31 juillet 2009 à 12 12 40 07407
Amour, sévices et morgue
La réécriture inspirée d’un fait divers pour parler de soi, c’est le pari audacieux et réussi d’Ahmed Zitouni. Contre la banalisation de l’information.
Ahmed Zitouni a choisi de relever un défi comme on peut en rêver : la réécriture d’un fait divers. Un livre contre un article de deux colonnes, la littérature contre la prose du quotidien. On ne sait si l’article est réel ou s’il est inventé par l’auteur mais pour accorder tout son sens au projet, on imagine que l’article relatant le meurtre par un homme d’origine algérienne d’une partie de sa famille puis son suicide est bien réel. Cet homme que l’écrivain rebaptise Malik est un immigré algérien, exilé en France après une enfance durant la colonisation, marié à une Française qui le quittera, père de trois enfants appelés Mathieu, Medhi et Léa.
Forcément, l’article hâtif se borne à l’énoncé des faits, une dernière journée arme au poing qui restera dans l’histoire comme la seule partie émergée de la vie de Malik. Forcément, le journal ne retient que ce que l’on peut superficiellement en déduire, le meurtrier rejoint la cohorte de ses semblables meurtriers, tous identiques. « Malik Boudaoud avait 33 ans, il aimait ses enfants et était séparé de leur mère. Ce ne sont pas là de bonnes raisons de les tuer et de se tuer avec. Malik Boudaoud sera rangé post mortem dans la catégorie des fous meurtriers. On lui découvrira à rebours un caractère violent (il battait sa femme) et on laissera tout à leurs interrogations les voisins qui témoigneront de sa douceur avec les gosses ».
Paragraphe après paragraphe, Ahmed Zitouni reprend cet article, s’insurge et propose une biographie essentielle de Malik qui est aussi la sienne, lui, l’écrivain venu d’Algérie qui aurait peut-être pu pour les mêmes raisons tuer mais qui s’est mis à écrire. « Il n’y a pas de hasard dans le choix d’un fait divers. Rien de fortuit dans la disponibilité qui l’attend et dans les peurs qu’il réveille. Dans l’émotion qu’il suscite. Dans la fascination qu’il exerce. Dans la lente maturation des poisons de la vraie vie qu’il déclenche et aspire à la surface du quotidien. La rencontre est écrite. Eblouissante et fraternelle. Comme l’appel de la mort qu’on porte en soi (…) Toi et moi, nous venons d’un même désastre ». Dans ce récit à la première personne qui intervient, selon l’auteur, après huit ans d’hésitation à enclencher le processus de réécriture, dans cette façon de vouloir rendre sa dignité à un anonyme en qui il suppose un frère d’exil et de ratages, un amoureux déçu plutôt qu’un criminel, Ahmed Zitouni parle de lui et de cette connivence poisseuse qui le lie à un homme qui consomma l’échec de sa vie par l’éradication totale de ce qu’il avait conçu. Le projet n’est pas seulement de réhabiliter, de redonner de la chair à quelques lignes d’un journal, mais finalement de tuer une seconde et dernière fois, par l’écriture, ce frère dont le geste constitue une fascinante solution au déracinement et à la désillusion.
Ahmed Zitouni comprend trop bien son héros, l’empathie est trop forte : cette identification conduit fatalement vers une forme de détestation. Quant au projet initial, surpasser le pauvre « articulet », l’objectif est bien sûr atteint lorsqu’une écriture lyrique ébauche la grandeur tragique de son personnage mais beaucoup moins quand le rythme se fait haletant et les phrases abusivement nominales, un style que l’on retrouve souvent dans les journaux pour des questions de rapidité de lecture et donc d’efficacité narrative. Hormis cela, la langue d’Ahmed Zitouni est explosive, accrocheuse et violente, toujours soutenue par une tension qui est celle-là même qui le lie à son sujet, l’anonyme Malik, le frère qui passa à l’acte après être entré « dans cette mélancolie chronique qui nous ronge tous ».
Amour, sévices et morgue
Ahmed Zitouni
PARC
93 pages,
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup
31 juillet 2009 à 12 12 53 07537
La wilaya de Saïda est une ancienne préfecture de l’ère coloniale. Elle est située dans la partie ouest de l’Algérie, limitée au nord par les wilayas de, Oran, Mascara, au sud par la wilaya d’El Bayadh et Naâma, à l’ouest par la wilaya de Sidi-Bel-Abbès à l’est par la wilaya de Tiaret
Ayant développé depuis la plus haute antiquité une économie essentiellement pastorale, la région a connu une longue domination romaine, marquée par de nombreux soulèvements locaux, avant de passer au début du VIe siècle, après une période d’instabilité, sous l’autorité de la dynastie des Djeddars, de la zone de Frenda.
Histoire
Devenue musulmane au VIIIe siècle, la région, après une transition avec les Banou Hillal, qui laissent comme témoignage de leur passage la confrérie des Yagoubia, est intégrée au royaume de Tahert. C’est une période faste qui voit le développement des activités littéraires et scientifiques. Se succèdent, jusqu’au XVe siècle, les dynasties des Almoravides, Almohades et Zianides de Tlemcen, puis c’est au tour des Turcs de se manifester et de faire de la région une puissance Aghalik placée sous l’autorité du bey de Mascara. Face ensuite à la pénétration coloniale française, s’affirme la résistance nationale dirigée par l’Emir Abdelkader et qui trouve à Saïda un appui total.
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6 septembre 2010 à 22 10 57 09579
Salut e pace, Ahmed
Compadre, je suis peut-être le premier à écrire sur ton blog! T’écrivant en écoutant Ferré: Richard! Pour la route (le dernier)!
Ta description te correspond, normal tu te connais plus que les autres!On va y arriver à créer ta maison d’édition qui va pouvoir arrêter que les laissés-pour compte restent sur le carreau! Et puis merde il faut qu’on finisse en feu d’artifice!!!
Amitié pour toujours le mécréant de service.
Bises, Patrick dit El Patou!