Histoires vraies
Un collectionneur acharné (3e partie)
Résumé de la 2e partie n Grâce à ses amis artistes et sa fortune colossale, Barnes achète beaucoup de tableaux de peintres de renom. Il envisage d’ouvrir un musée.
Devant la demande de Barnes, Zboro, réticent, sort de sa cave d’autres œuvres poussiéreuses de l’auteur du Pâtissier. Est-ce bien la peine ?
Barnes regarde les toiles, l’une après l’autre. Il ne dit pas un mot, ses mâchoires se contractent, jusqu’au moment où il déclare :
«J’achète tout !»
Il sort immédiatement une liasse de billets de sa poche : 60 000 francs, croit-on. Et emporte soixante toiles de… Soutine.
Puis Barnes dit : «Allons chez ce Soutine !»
Zboro proteste : «Impossible, c’est un vrai sauvage, il vit dans la crasse la plus épouvantable et ne veut recevoir personne. Le soir, il arrose son plancher d’essence autour de son matelas, pour se protéger des punaises…»
La vision cauchemardesque qui les attend laisse Barnes sans voix. Devant la crasse, et devant le peintre, il jette un ordre : «Emportez toutes les toiles !»
Puis, son mouchoir sur le nez pour lutter contre la puanteur, il jette une autre liasse de billets sur le sol et dévale l’escalier. Le chauffeur n’aura plus qu’à emporter une quarantaine de nouveaux Soutine. Une fois installé dans le taxi, Barnes se réjouit : «Voilà le grand peintre que je cherchais depuis longtemps.»
En 1923, on organise une exposition de toutes ses nouvelles toiles, et la critique française est élogieuse. La presse de Philadelphie se fait l’écho de cette manifestation. Dès son retour, les amis de Barnes lui demandent de renouveler l’expérience et d’exposer les Soutine, les Pascin, les Modigliani, à la Pennsylvania Academy. Barnes accepte : va-t-il enfin être reconnu comme un mécène et un homme de goût par ses concitoyens jusqu’à présent si snobs ?
Il en profite pour annoncer publiquement la création de son prochain musée. Mais, déception, la critique américaine ricane devant les Soutine et autres Modigliani. Les propos des journalistes blessent profondément Barnes qui, dorénavant, prendra en grippe tous les beaux esprits, universitaires et autres savants en matière d’art. Il décide que son musée leur sera définitivement fermé. Et il exhale sa fureur dans des lettres adressées à tous ceux qui avaient ricané devant ses achats «sortis d’asiles de fous». En 1925, la fondation Barnes ouvre ses portes, discrètement. Sur trois étages, les œuvres sont placées par affinités. Mais le public n’y a pas accès. Seuls sont admis les amis de Barnes et les enseignants qui partagent ses vues sur l’art moderne. Et seulement deux jours par semaine, sur autorisation expresse du fondateur.
Les membres de la bonne société de Philadelphie sont écartés avec rage. Mais Barnes invite volontiers à visiter ses collections des ouvriers noirs rencontrés dans la rue. Le Corbusier se voit refuser l’entrée. Le conservateur du Musée d’art moderne de New York, quant à lui, doit prendre un nom d’emprunt. Barnes, qui est partisan en matière d’art d’une éducation réservée à une élite, se met à publier des ouvrages, où il expose sa philosophie picturale. Il écrit sur les naïfs français, sur Cézanne, Renoir, Matisse. Mais, s’il remâche sa rancœur vis-à-vis des «savants», il se montre désormais d’une très grande générosité pour les étudiants qui fréquentent sa fondation. Il offre des voyages d’étude tous frais compris en Europe, prend sous sa protection des artistes qui l’intéressent. Il accueille chez lui un organiste, un médecin, des étudiants noirs. (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
29 juillet 2009
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