Contes kabylesLe tailleur de pierres (Anedjar b ouvladh)
(1ère partie )
Amachahou rebbi ats iselhou
Ats ighzif anechth ousarou
(Ecoutez, que je vous conte une histoire, Dieu fasse qu’elle soit belle, longue et se déroule comme un long fil).
Dans les contes kabyles le personnage de Teriel (l’ogresse) est presque toujours assimilé à méchanceté, peur et horreur Dans l’histoire du terroir qui suit on a affaire à une Teriel plus humaine que d’habitude. Il y a très longtemps de ça, dans une contrée, vivait un homme aisé. Il avait pour progéniture trois filles d’une inégalable beauté. Il marie l’aînée à un marchand d’huile (tajar n zith) la puînée à un marchand de blé (tajar g irden). Quand vient le tour de la cadette de se marier, les fiancés affluent chez lui. Son père lui demande son avis:” Il est grand temps de te marier, ma fille, Choisis le garçon qui te plait et il deviendra ton mari”. Contre toute attente, la cadette lui dit: “Si tu veux faire mon bonheur, donne-moi au tailleur de pierres (anedjar b ouvladh). J’ai déjà parlé avec lui, il me plaît. Il n’attend qu’un mot de moi, pour venir me demander”.
-Ma fille, éloigne de ton esprit cette idée farfelue et insensée. Le tailleur de pierres c’est le déshonneur pour toute la famille. Il n’a rien à te donner, à part les poussières et les plaies causées par les aspérités des rochers, à soigner ! Réfléchis bien à ce que tu dis. Une telle union, je ne peux l’accepter. Je serai la risée de toute la contrée. C’est beaucoup me demander!”
Déçue par le refus de son père, la cadette n’en fait qu’à sa tête. Elle quitte la maison et se rend à la carrière de pierres et demande au tailleur, surpris, de l’épouser. Le beau jeune homme lui dit: “Je veux bien t’épouser, mais je ne suis qu’un misérable sans richesse et sans avenir. Je ne peux rien t’offrir. Si je t’épouse tu vas souffrir. Il y a de meilleurs partis que moi. Va, laisse-moi”.
-Si tu consens à m’épouser, le fait de t’aimer me suffira !”
Après avoir vainement tenté de la dissuader, le tailleur l’épouse malgré le refus catégorique de son père.
Le mariage non désiré par tous les membres de la famille provoque la ruptures entre la cadette, ses parents et ses deux sœurs mariées.
En guise de maison, le tailleur l’installe dans sa chaumière. Pour nourriture, quelque figues pourries et de la galette d’orge difficile à avaler.
Le temps suivant son cours, la cadette n’avait même pas une seule goutte d’huile pour peigner et lisser ses cheveux rêches et hirsutes. A l’époque, l’huile d’olive était utilisée par les femmes pour soigner leurs cheveux et les rendre moins rebelles. Elle était tellement pauvre qu’elle n’avait même pas un fragment de miroir pour se regarder. C’est à thala (la source) dans le reflet, qu’elle s’aperçoit qu’elle ressemble beaucoup plus à une sorcière qu’ à une jeune mariée. Elle pousse un cri d’effroi et se dit : “Si mon mari me voit ainsi, il va cesser de m’aimer!” Elle se rend aussitôt chez sa sœur aînée pour quémander un peu d’huile d’olive
- “efkiyid chouit n zith a outma aâzizzen
ad’ segmagh imaniou iouargaz iou ghlalyen (Donne moi peu d’huile chère sœur pour que je me fasse belle pour mon seigneur !)
-Tu as épousé ce misérable tailleur contre notre gré. Tu n’es plus ma sœur; Va-t-en d’ici”.
Quelques jours plus tard, il ne s’agit plus de beauté, mais carrément de manger. Le tailleur n’ayant pas été payé, il n’y avait rien à se mettre sous la dent chez lui. La cadette se rend chez la puînée et lui dit :
- “efkiyid chouit b- aren a outma aâzizen
our nesaî achou ara netch dayen !
-Donne moi un peu de semoule, chère sœur, nous n’avons plus rien à manger !
-Tu as épousé ce tailleur de pierres contre notre volonté assume ton choix. Je ne peux rien te donner. Eloigne-toi d’ici !”
Lounès Benrejdal (à suivre)
29 avril 2010 à 23 11 02 04024
Au coin de la cheminée
La malle volante (4e partie et fin)
Résumé de la 3e partie n Le tronc d’arbre, les allumettes, la marmite…, chacun y va de son histoire…
«Si j’avais voulu, pensaient-ils tous, cela aurait vraiment pu être une soirée très gaie.» La servante prit les allumettes et les gratta. Comme elles crépitaient et flambaient !
— Maintenant, tout le monde voit bien que nous sommes les premières. Quel éclat! Quelle lumière! Ayant dit, elles s’éteignirent.
— Quel charmant conte, dit la reine. Je croyais être à la cuisine avec les allumettes. Oui, tu auras notre fille.
— Bien sûr, dit le roi, tu auras notre fille lundi.
Ils le tutoyaient déjà puisqu’il devait entrer dans la famille.
Le mariage fut fixé. La veille au soir, toute la ville fut illuminée, les petits pains mollets et les croquignoles volaient de tous côtés, les gamins des rues se tenaient sur la pointe des pieds, criaient «Bravo!» et sifflaient dans leurs doigts. Une belle soirée!
«Il faut aussi que je fasse quelque chose de bien», pensa le fils du marchand.
Il acheta des raquettes, des fusées, des pétards et tous les feux d’artifices imaginables. Il les mit dans sa malle et s’envola dans les airs.
Pfutt! Quelles gerbes et quels crépitements tombaient du ciel !
Tous les Turcs sautaient en l’air, leurs pantoufles volant par-dessus leurs oreilles. Ils n’avaient jamais rien vu de si beau ! Ils étaient bien persuadés que c’était le dieu des Turcs lui-même qui allait épouser la princesse.
Aussitôt que le fils du marchand fut redescendu dans la forêt, il se dit :
«Je vais aller en ville pour savoir comment tout s’est passé en bas, et ce qu’on a pensé de mon feu d’artifice».
Et c’était assez naturel qu’il fût curieux de le savoir. Non ce que les gens pouvaient en dire ! chacun avait vu la chose à sa façon, mais tous l’avaient vivement appréciée.
— J’ai vu le dieu des Turcs en personne, disait l’un, il avait des yeux brillants comme des étoiles et une barbe comme l’écume de la mer.
— Il portait un manteau de feu, disait l’autre, les anges les plus ravissants montraient leur tête dans ses plis. Tout cela était fort agréable ! et le lendemain, le mariage devait avoir lieu.
Il retourna dans la forêt pour remonter dans sa malle. Où était-elle donc ?
Elle avait brûlé ; une étincelle du feu d’artifice y avait mis le feu et la malle était en cendres. Il ne pouvait plus voler, il ne pouvait plus se présenter devant sa fiancée.
Elle l’attendit toute la journée sur le toit de son palais. Elle l’y attend encore, tandis que lui court le monde en racontant des histoires, mais elles ne sont plus aussi amusantes que celle des allumettes.
Hans Christian Andersen
29 avril 2010 à 23 11 07 04074
Au coin de la cheminée
La malle volante (3e partie)
Résumé de la 2e partie n Le jeune homme, après avoir accepté la proposition de la princesse, se retire dans la forêt pour composer son conte…
Au bord de la Baltique, sous les hêtres danois….
— Quel charmant début ! interrompirent les assiettes. Nous sentons que nous aimerons cette histoire!
— Oui, j’ai passé là ma jeunesse dans une paisible famille. Les meubles étaient cirés, les parquets lavés, les rideaux changés tous les quinze jours.
— Comme vous racontez d’une manière intéressante ! dit le balai à poussière. On se rend compte tout de suite que c’est une femme qui parle ; il y a quelque chose de si propre dans votre récit.
— Oui, ça se sent bon, dit le seau d’eau. Et, de plaisir, il fit un petit bond et l’on entendit «platch» sur le parquet. Le pot de terre continua son récit dont la fin était aussi bonne que le commencement. Les assiettes s’entrechoquaient d’admiration, et le balai prit un peu de persil et en couronna le pot parce qu’il savait que cela vexerait les autres, et aussi parce qu’il pensait : «Si je le couronne aujourd’hui, il me couronnera demain.»
— Maintenant, je vais danser pour vous, dit la pincette.
Et elle dansa. Grand Dieu ! comme elle savait lancer la jambe ! La vieille garniture de chaise, dans le coin, craqua d’intérêt devant ce spectacle.
— Est-ce que je serai couronnée ? demanda la pincette. Et elle le fut.
— Comme elle est vulgaire, pensèrent les allumettes.
C’était au tour de la bouilloire à thé de chanter, mais elle prétendait avoir un rhume et ne pouvoir chanter qu’au moment de bouillir. Ce n’était qu’une poseuse qui ne voulait se produire que sur la table des maîtres.
Sur la fenêtre, il y avait une vieille plume dont la servante se servait pour écrire. Elle n’avait rien de remarquable sinon qu’elle avait été plongée trop profondément dans l’encrier, ce dont elle tirait grande vanité.
— Si la bouilloire à thé ne veut pas chanter, dit-elle, elle n’a qu’à s’abstenir. Il y a là dehors, dans une cage, un rossignol. Lui sait chanter quoiqu’il n’ait jamais appris. Il nous suffira pour ce soir.
— Je trouve fort inconvenant, dit la bouilloire qui était la cantatrice de la cuisine, qu’un oiseau étranger se produise ici. Est-ce patriotique ? J’en fais juge le panier à provisions.
— Je suis vexé, dit le panier à provisions, plus que vous ne le pensez peut-être ! Est-ce une manière convenable de passer la soirée ? Ne vaudrait-il pas mieux réformer toute la maison, mettre chacun à sa place ? Je dirigerais le mouvement. Ce serait autre chose.
— Oui, faisons du chahut ! s’écrièrent-ils tous.
A cet instant, la porte s’ouvrit, la servante entra. Tous devinrent muets. Personne ne broncha, mais il n’y avait pas un seul petit pot qui ne fût conscient de ses possibilités et de sa distinction. (à suivre…)
Hans Christian Andersen
29 avril 2010 à 23 11 13 04134
Histoires vraies
Le corbeau du Romain (1re partie)
Un jour, sur le bord d’une route frappée par le soleil brûlant, Valerius, soldat romain d’avant Jésus-Christ, remarque une masse de plumes noires qui se traîne. Déjà un centurion lui lance :
— Tiens, Valerius, voilà de quoi satisfaire ton cœur tendre. La masse de plumes se révèle être un tout jeune corbeau. Il essaie de fuir à l’approche de l’homme en armes qui se penche sur lui. Le jeune oiseau, sans doute tombé entre les mâchoires d’un chien, a une aile cassée et une patte brisée. Valerius, indifférent au ridicule, recueille l’oisillon qui lui donne des coups de bec désespérés. Valerius trouve le geste qu’il faut : au lieu de caresser le petit corbeau, il l’installe confortablement dans son casque et continue sa marche, son casque au creux du bras. Quelqu’un lance :
— Tu vas pouvoir améliorer la soupe ce soir. Rien de meilleur que le bouillon de corbeau !
Un autre reprend :
— Que vas-tu faire de cette bestiole ? As-tu l’intention de lui apprendre à prédire l’avenir comme ils le font à Rome ?
Valerius ne répond pas. Quelque chose lui dit que ce petit oiseau blessé va changer son destin, mais il n’a encore aucune idée de l’ampleur de ce changement.
Marcus Valerius est un tribun militaire qui vit à Rome et appartient aux troupes de Furius Camilius Lucius. C’est un assez bel homme, comme on l’est à l’époque. Trapu, musclé, poilu, et d’un niveau intellectuel très moyen. Marcus Valerius ne se pose pas de grandes questions métaphysiques : il rend hommage aux dieux officiels de l’Empire romain, aux dieux lares qui protègent sa maison et à ses supérieurs hiérarchiques. Soldat de profession, il est prêt à donner sa vie pour Rome mais tente autant que faire se peut de se tenir éloigné des coups portés par les ennemis. Marcus Valerius a de bonnes chances d’atteindre un âge respectable pour l’époque, disons une quarantaine d’années au maximum. Mais Marcus Valerius prête à rire car il a une passion bien peu romaine : il aime tous les animaux de la création. Pour lui, la poule, le lapin, la souris et même le rat ou le serpent attirent sa sympathie. Ses amis centurions haussent les épaules ou font des mimiques qui indiquent qu’il doit avoir un grain. «Bah ! après tout, il est bien inoffensif.» Ses amis, pour voir la tête qu’il fera, lui apportent parfois des animaux blessés : une grue, un renard et même un chat rapporté d’Egypte.
Au bivouac Valerius se montre ingénieux pour apaiser la peur, la soif et la faim de son dernier protégé. Il remercie les dieux car l’oisillon est assez dégourdi pour se nourrir déjà de quelques bribes de viande et de poisson. Les corbeaux, tout le monde le sait, ne sont pas très regardants sur la qualité de leur repas. Pour eux pourriture rime avec nourriture, ce qui n’améliore pas l’image qu’on se fait d’eux. La patte blessée est remise en place et deux petits morceaux de bois font office d’attelles. Un peu d’argile tient lieu d’emplâtre.
Au bout de quelques semaines le corbeau tient à peu près debout seul. Son aile blessée l’empêche de voler. Elle pend lamentablement quand il se déplace sur le sol. Cependant tous les soldats constatent que l’oiseau ne s’éloigne guère de son bienfaiteur.
— Tu devrais lui apprendre à parler, à invoquer les dieux pour nous porter chance avant la bataille, histoire qu’ils nous soient favorables !
Désormais définitivement guéri, le corbeau de Valerius ne le quitte jamais. On se moque moins de lui.
Un jour – nous sommes en 360 avant Jésus-Christ –, une bataille se prépare contre les troupes gauloises. Les Gaulois combattent souvent entièrement nus et parfois peints en bleu, ce qui fait une grande impression sur les soldats romains peu habitués à un tel débraillé provocateur. (à suivre…)
Pierre Bellemare
29 avril 2010 à 23 11 16 04164
Une date, un fait Edition du 26/4/2010
Ainsi va la vie
Le démon de midi (2e partie)
Par K. Yerbi
Résumé de la 1re partie n La nouvelle secrétaire est plutôt jolie. Le directeur lui donne immédiatement du courrier à saisir.
A cinquante ans, Mohammed M., directeur d’une entreprise nationale, est encore jeune et bien portant. Certes, ses tempes commencent à grisonner et son crâne commence à se dégarnir, mais il a gardé une allure sportive, son visage sans ride et bien rasé lui donne l’air d’un jeune homme. Il est également beau, avec ses grands yeux noirs, son teint clair et son nez aquilin. Il se dépense sans compter pour son entreprise qui est, il faut le dire, florissante.
Mohammed M. est père de quatre enfants, trois filles et un garçon : les filles font des études supérieures, le dernier prépare son baccalauréat et tout laisse croire qu’il suivra la voie de ses sœurs. Une seule ombre au tableau : sa femme, Yamina, qui a fait il y a une année une chute qui l’a paralysée des membres inférieurs. Les médecins ont tous soutenu qu’elle remarcherait un jour, mais pour le moment elle doit se déplacer en fauteuil roulant… Une situation très désagréable pour une jeune femme de quarante ans, habituée à mener une vie très active. Mohammed la soutient, mais il lui arrive de perdre patience et de se disputer avec elle. Qu’il oublie de l’appeler pour lui demander de ses nouvelles, qu’il rentre tard ou néglige de faire une chose qu’elle a demandée, elle éclate :
— tu me négliges ! tu ne penses jamais à moi !
Il se défend comme il peut :
— j’avais beaucoup de travail, une réunion…
— tu pouvais appeler…
— puisque je te dis que je n’avais pas le temps !
— pour moi, tu n’as jamais le temps !
— je t’assure que je pense souvent à toi !
— c’est faux !
— mais comment peux-tu le savoir ?
— je le sais, c’est mon cœur qui me le dit !
Mohammed essaye à chaque fois qu’elle lui cherche des noises de garder le silence. Loin de se décourager,Yamina redouble de férocité. Alors, il tente de se dominer mais il n’y parvient pas. Il répond et c’est alors l’escalade. Et elle lui lance à chaque accusation…
— Tu profites de ma situation pour me rendre la vie dure !
Elle éclate en larmes et parfois refuse de s’alimenter et de prendre ses médicaments.
— je veux mourir !
Mohammed doit alors la supplier pour qu’elle se remette à manger et à prendre ses médicaments. Les enfants interviennent souvent, auprès de leur père.
— excuse-là, tu sais qu’elle souffre beaucoup !
— est-ce une raison pour me faire souffrir ?
Ils ne se parlent pas, pendant une heure ou deux, puis Mohammed fait humblement ses excuses.
— tu as raison, j’aurais dû appeler.
Alors, ils se réconcilient… jusqu’à la prochaine querelle ! (à suivre…)
K.Y.
29 avril 2010 à 23 11 17 04174
Une date, un fait Edition du 26/4/2010
Au coin de la cheminée
La malle volante (1re partie)
Il était une fois un marchand, un marchand si riche qu’il eût pu paver toute la rue et presque une petite ruelle encore en pièces d’argent, mais il ne le faisait pas. Il savait employer autrement sa fortune et s’il dépensait un shilling (unité monétaire principale de l’Autriche), c’est qu’il savait gagner un thaler (ancienne monnaie d’argent des pays germaniques). Voilà quelle sorte de marchand c’était — et puis, il mourut. Son fils hérita de tout cet argent et il mena joyeuse vie ; il allait chaque nuit au bal masqué et faisait des ricochets sur la mer avec des pièces d’or à la place de pierres plates. À ce train, l’argent filait vite… À la fin, le garçon ne possédait plus que quatre shillings et ses seuls vêtements étaient une paire de pantoufles et une vieille robe de chambre.
Ses amis l’abandonnèrent puisqu’il ne pouvait plus se promener avec eux dans la rue. Mais l’un d’entre eux, qui était bon, lui envoya une vieille malle en lui disant : «Fais tes paquets!»
C’était vite dit, il n’avait rien à mettre dans la malle. Alors, il s’y mit lui-même.
Quelle drôle de malle ! Si l’on appuyait sur la serrure, elle pouvait voler.
C’est ce qu’elle fit, et pfut! elle s’envola avec lui à travers la cheminée, très haut, au-dessus des nuages, de plus en plus loin. Le fond craquait, notre homme craignait qu’il ne se brise en morceaux : il aurait fait une belle culbute ! Grand Dieu !… et puis, il arriva au pays des Turcs. Il cacha la malle dans la forêt, sous des feuilles sèches, et entra tel qu’il était dans la ville, ce qu’il pouvait bien se permettre puisque, en Turquie, tout le monde se promène en robe de chambre et en pantoufles.
Il rencontra une nourrice avec un petit enfant.
— Ecoute un peu, nourrice turque, dit-il, qu’est-ce que c’est que ce grand château près de la ville ? Les fenêtres en sont si hautes !
— C’est là qu’habite la fille du roi, répondit-elle. Il lui a été prédit qu’elle serait très malheureuse par le fait d’un fiancé, c’est pourquoi personne ne doit aller chez elle sans que le roi et la reine soient présents.
— Merci ! dit le fils du marchand.
Il retourna dans la forêt, s’assit dans la malle, vola jusqu’au toit du château et se glissa par la fenêtre, chez la princesse. Elle dormait sur le sofa. Elle était si adorable que le fils du marchand ne put se retenir de lui donner un baiser. Elle s’éveilla, effrayée, mais il lui affirma qu’il était le dieu des Turcs et qu’il était venu vers elle à travers les airs, ce qui plut beaucoup à la demoiselle.
Ils s’assirent l’un à côté de l’autre et il lui raconta des histoires : ses yeux étaient les plus beaux lacs sombres sur lesquels les pensées nageaient comme des sirènes, son front était un mont neigeux aux salles magnifiques, pleines d’images. Il parla aussi des cigognes qui apportent les mignons bébés. Quelles belles histoires ! Alors, il demanda sa main à la princesse, et elle dit «oui» tout de suite.
— Mais revenez ici samedi, lui dit-elle, car le roi et la reine viennent prendre le thé chez moi. Ils seront très fiers de me voir épouser le dieu des Turcs, mais sachez leur raconter un très beau conte car ils les aiment énormément ; ma mère les veut moraux et distingués, mais père les apprécie très gais, que l’on puisse rire.
— Bien ! Je n’apporterai d’autre cadeau de mariage qu’un conte, répondit-il. Là-dessus, ils se quittèrent après que la princesse lui eut donné un sabre incrusté de pièces d’or, et c’est cela surtout qui pouvait lui être utile. (à suivre…)
Hans Christian Andersen
29 avril 2010 à 23 11 20 04204
Une date, un fait Edition du 25/4/2010
Histoires vraies
Le poison de l’araignée (4e partie)
Résumé de la 3e partie n Tessa apprend que Clarissa est enceinte, elle sent le froid lui glacer les veines. Après ce choc, elle décide d’inviter son mari Philip dans un restaurant huppé…
Oui, c’est vrai, ces derniers temps je ne me sentais pas très bien, mais ce soir j’ai besoin que nous fassions la fête… rien que nous deux. Si je réservais une table à «L’Auberge de Paris ? Qu’en dis-tu ?
Philip n’en dit que du bien. Serait-ce le renouveau de son couple ? Le soir même, Tessa et lui font leur entrée à «L’Auberge de Paris», haut lieu de la gastronomie de Bloemfontein. Tessa est somptueuse dans une robe de lamé argent. Le dîner est royal et le champagne arrose le tout. Après le dîner Tessa propose même un petit cognac français. Philip ne sait pas dire non. Tant et si bien qu’au moment de régler l’addition, il a la bouche un peu pâteuse. Tessa s’inquiète :
— Philip, je crois que tu es un peu pompette. Je vais prendre le volant pour rentrer. N’est-ce pas, maître d’hôtel, que mon mari est trop gai pour conduire ?
Philip, vexé de cette intrusion d’un tiers dans sa vie conjugale, s’emporte un peu :
— Tessa, je suis ton mari et c’est moi qui vais conduire pour rentrer à la maison. Un point c’est tout.
Tessa fait un sourire navré au maître d’hôtel tandis qu’elle s’installe sur le siège du passager. Philip, avec un rictus buté, met la voiture en marche et démarre en faisant crisser les pneus.
Un peu plus tard dans la nuit, un automobiliste recueille Tessa en pleurs et couverte d’ecchymoses. Elle explique que Philip, vraiment trop ivre, a raté un virage. Elle n’a eu que le temps de sauter du véhicule avant qu’il ne s’écrase au fond du ravin où sa Ford a explosé. On déplore que son défunt époux ait si mal supporté le champagne et n’ait pas voulu suivre les conseils de son épouse désormais veuve.
Emil et Clarissa, devant ce malheur, recueillent Tessa pour lui permettre de faire son deuil. Tessa, très digne en vêtements noirs, essaie d’oublier. Le soir, Clarissa, après de dures journées, boit une tisane et se couche de bonne heure. Elle a le sommeil d’autant plus lourd que Tessa lui prépare souvent, à son insu, une tisane un peu améliorée à l’aide d’un somnifère. Elle sait qu’elle dispose alors de trois bonnes heures devant elle pour profiter pleinement d’Emil et de sa peau bronzée. Du reste aussi … C’est presque le bonheur ! Emil songe avec mélancolie à Philip, mort d’avoir trop bu, semble-t-il.
Les choses durent ainsi deux ans. Tessa repart chez elle pour vivre dignement dans la ferme que Philip et elle exploitaient avant «le malheur». Les soirs où elle ne dîne pas chez sa sœur et son beau-frère, les soirs où Clarissa ne s’endort pas sous l’effet d’un somnifère, Tessa se lance dans des lectures scientifiques. Un jour, elle découvre un ouvrage intitulé Araignées venimeuses. Ces horribles petites bêtes, avec leurs huit pattes, leurs poils et leurs yeux multicolores, la fascinent.
Une d’elles en particulier l’intéresse : une certaine «araignée bouton», en latin Lostrodetus indistinctus. Cette araignée presque minuscule est dotée d’un talent particulier : celui de vous faire passer de vie à trépas en quelques heures, pour peu qu’elle ait le loisir de vous piquer. De plus, ce qui ne gâche rien, la mort est accompagnée d’horribles souffrances. Le seul problème, si l’on peut dire, c’est que Lostrodetus indistinctus vit dans un territoire relativement restreint. Et comme elle ne se trouve pas sous le pied d’un cheval, Tessa se demande comment se procurer cette petite boule de mort poilue. (à suivre…)
Pierre Bellemare
29 avril 2010 à 23 11 27 04274
Une date, un fait Edition du 24/4/2010
Au coin de la cheminée
La pâquerette (2e partie)
Résumé de la 1re partie n La pâquerette, qui a eu les faveurs de l’alouette, est jalousée par les tulipes qui, elles, seront coupées par le couteau de la jeune fille…
Et pendant que la jeune fille emportait les tulipes, la pâquerette se réjouissait de n’être qu’une pauvre petite fleur dans l’herbe. Appréciant la bonté de Dieu, et pleine de reconnaissance, elle referma ses feuilles au déclin du jour, s’endormit et rêva toute la nuit au soleil et au petit oiseau.
Le lendemain matin, lorsque la pâquerette eut rouvert ses feuilles à l’air et à la lumière, elle reconnut la voix de l’oiseau, mais son chant était tout triste. La pauvre alouette avait de bonnes raisons pour s’affliger : on l’avait prise et enfermée dans une cage suspendue à une croisée ouverte. Elle chantait le bonheur de la liberté, la beauté des champs verdoyants et ses anciens voyages à travers les airs.
La petite pâquerette aurait bien voulu lui venir en aide : mais comment faire ? C’était chose difficile. La compassion qu’elle éprouvait pour le pauvre oiseau captif lui fit tout à fait oublier les beautés qui l’entouraient, la douce chaleur du soleil et la blancheur éclatante de ses propres feuilles.
Bientôt deux petits garçons entrèrent dans le jardin ; le plus grand portait à la main un couteau long et affilé comme celui de la jeune fille qui avait coupé les tulipes. Ils se dirigèrent vers la pâquerette, qui ne pouvait comprendre ce qu’ils voulaient.
— Ici nous pouvons enlever un beau morceau de gazon pour l’alouette, dit l’un des garçons, et il commença à tailler un carré profond autour de la petite fleur.
— Arrache la fleur ! dit l’autre.
A ces mots, la pâquerette trembla d’effroi. Être arrachée, c’était perdre la vie ; et jamais elle n’avait tant béni l’existence qu’en ce moment où elle espérait entrer avec le gazon dans la cage de l’alouette prisonnière.
—Non, laissons-la, répondit le plus grand ; elle est très bien placée.
Elle fut donc épargnée et entra dans la cage de l’alouette.
Le pauvre oiseau, se plaignant amèrement de sa captivité, frappait de ses ailes le fil de fer de la cage. La petite pâquerette ne pouvait, malgré tout son désir, lui faire entendre une parole de consolation.
Ainsi se passa la matinée.
— Il n’y a plus d’eau ici, s’écria le prisonnier ; tout le monde est sorti sans me laisser une goutte d’eau. Mon gosier est sec et brûlant, j’ai une fièvre terrible, j’étouffe ! Hélas ! il faut donc que je meure, loin du soleil brillant, loin de la fraîche verdure et de toutes les magnificences de la création ! (à suivre…)
Conte d’Andersen
29 avril 2010 à 23 11 32 04324
Au coin de la cheminée
La pâquerette (2e partie)
Résumé de la 1re partie n La pâquerette, qui a eu les faveurs de l’alouette, est jalousée par les tulipes qui, elles, seront coupées par le couteau de la jeune fille…
Et pendant que la jeune fille emportait les tulipes, la pâquerette se réjouissait de n’être qu’une pauvre petite fleur dans l’herbe. Appréciant la bonté de Dieu, et pleine de reconnaissance, elle referma ses feuilles au déclin du jour, s’endormit et rêva toute la nuit au soleil et au petit oiseau.
Le lendemain matin, lorsque la pâquerette eut rouvert ses feuilles à l’air et à la lumière, elle reconnut la voix de l’oiseau, mais son chant était tout triste. La pauvre alouette avait de bonnes raisons pour s’affliger : on l’avait prise et enfermée dans une cage suspendue à une croisée ouverte. Elle chantait le bonheur de la liberté, la beauté des champs verdoyants et ses anciens voyages à travers les airs.
La petite pâquerette aurait bien voulu lui venir en aide : mais comment faire ? C’était chose difficile. La compassion qu’elle éprouvait pour le pauvre oiseau captif lui fit tout à fait oublier les beautés qui l’entouraient, la douce chaleur du soleil et la blancheur éclatante de ses propres feuilles.
Bientôt deux petits garçons entrèrent dans le jardin ; le plus grand portait à la main un couteau long et affilé comme celui de la jeune fille qui avait coupé les tulipes. Ils se dirigèrent vers la pâquerette, qui ne pouvait comprendre ce qu’ils voulaient.
— Ici nous pouvons enlever un beau morceau de gazon pour l’alouette, dit l’un des garçons, et il commença à tailler un carré profond autour de la petite fleur.
— Arrache la fleur ! dit l’autre.
A ces mots, la pâquerette trembla d’effroi. Être arrachée, c’était perdre la vie ; et jamais elle n’avait tant béni l’existence qu’en ce moment où elle espérait entrer avec le gazon dans la cage de l’alouette prisonnière.
—Non, laissons-la, répondit le plus grand ; elle est très bien placée.
Elle fut donc épargnée et entra dans la cage de l’alouette.
Le pauvre oiseau, se plaignant amèrement de sa captivité, frappait de ses ailes le fil de fer de la cage. La petite pâquerette ne pouvait, malgré tout son désir, lui faire entendre une parole de consolation.
Ainsi se passa la matinée.
— Il n’y a plus d’eau ici, s’écria le prisonnier ; tout le monde est sorti sans me laisser une goutte d’eau. Mon gosier est sec et brûlant, j’ai une fièvre terrible, j’étouffe ! Hélas ! il faut donc que je meure, loin du soleil brillant, loin de la fraîche verdure et de toutes les magnificences de la création ! (à suivre…)
Conte d’Andersen
29 avril 2010 à 23 11 33 04334
Une date, un fait Edition du 22/4/2010
Histoires vraies
Le poison de l’araignée (2e partie)
Résumé de la 1re partie n Le docteur Monroe confie à Myra Sohnberg, la spécialiste en contrepoison, les trois araignées dont la piqûre est mortelle…
Ce que la «tête folle» ne dit pas c’est qu’elle est folle.. de jalousie ! Dès qu’elle a aperçu le bel Emil, elle a conçu pour lui la passion la plus ravageuse. L’aime-t-elle vraiment ? Elle ne le connaît pas suffisamment. Veut-elle simplement s’approprier le nouveau jouet de sa sœur comme elle le faisait si souvent quand elles étaient gamines ? Plus vraisemblablement. Pour l’instant Clarissa et Emil semblent flotter sur un nuage, Tessa ronge son frein… en attendant mieux.
C’est au cours de cette même soirée qu’un élément nouveau entre en jeu : Philip Duhamel, le plus jeune frère d’Emil. Philip est blond, un peu maigrelet. Comme son frère, il poursuit des études d’ingénieur agronome. Les deux frères se ressemblent un peu. Comme Clarissa et Tessa. Alors Tessa se laisse inviter à danser par Philip. Tout de suite, elle réalise qu’elle lui plaît sans qu’il ose trop le montrer. Après tout, pourquoi pas : faute de grives on mange des merles… Philip pourrait faire un «lot de consolation» acceptable en attendant mieux.
Histoire de vérifier si Philip, l’ersatz d’Emil, vaut le déplacement, Tessa lui laisse comprendre qu’il pourrait venir passer un moment dans sa chambre de jeune fille. Philip accepte. Il aurait dû savoir que les filles qui se donnent trop vite sont dangereuses…
C’est ainsi que Tessa, qui n’en est pas à sa première expérience sexuelle, se donne à Philip. Un Philip qui n’arrive pas à croire à sa chance. Lui, le maigrichon, il aurait séduit la jolie Tessa ! Mais alors que tous deux remettent de l’ordre dans leur tenue, Tessa lui lance, entre ses dents :
— Va-t’en, tu me dégoûtes !
Mauvais présage ! Pourtant, dans les mois qui suivent, les choses se calment et huit mois plus tard Peter et Anna Warringer conviennent à nouveau le ban et l’arrière-ban de leurs parents, amis et relations pour fêter un double mariage : Clarissa et Emil unissent leurs destins. Tessa unit sa vie à celle de Philip. Double mariage, double bonheur. Pourtant, la soirée sera un peu surprenante pour Emil.
Au moment où il s’isole un peu sur la terrasse de la ferme, histoire de réfléchir et de fumer une cigarette, une silhouette surgit entre les bougainvillées : c’est Tessa en robe de mariée. Elle glisse son bras sous celui de son tout nouveau beau-frère et murmure :
— Eh bien ! à présent, nous voici parents, à la vie à la mort !
— Eh oui ! Tous mes vœux de bonheur pour toi et Philip.
— Et si nous nous souhaitions de belles années de bonheur à toi et à moi ?
— Euh … évidemment ! Allez on s’embrasse !
Tessa lève son visage vers celui d’Emil mais au moment où celui-ci s’apprête à lui appliquer un gros baiser sur la joue Tessa lui saisit le menton et le baiser affectueux se transforme en baiser passionné, lèvres entrouvertes et langue indiscrète. Emil devrait avoir un haut-le-cœur mais surpris et ravi il se laisse aller à ce moment de volupté. Tessa pousse ses avantages :
— Emil, il faut que je te le dise : c’est toi que j’aime, c’est toi que je voulais épouser, c’est toi que je veux pour amant.
Emil respire à grands coups. Il devrait s’indigner, s’inquiéter du sort de Philip, cocu avant même sa nuit de noces, mais il ne dit rien et cherche à nouveau les lèvres de Tessa. Quand leur étreinte se desserre Tessa lui dit, à voix basse :
— Rejoins-moi demain soir, à seize heures. Je t’attendrai près du petit bois de la plage de Kakena Road. Nous pourrons… (à suivre…)
Pierre Bellemare
29 avril 2010 à 23 11 41 04414
Une date, un fait Edition du 20/4/2010
Histoires vraies
Massacre pour un oiseau voleur (5e partie et fin)
Résumé de la 4e partie n Après avoir lu la lettre de Don Ramon, le roi Philippe III décide d’envoyer des jésuites pour remettre de l’ordre, à l’oratoire de saint Ignace…
Sur ordre impérial, les jésuites ont reçu pour mission d’organiser à leur manière, qui est très efficace, tout le pays. Ils devront à leur guise construire des villages, évangéliser les Guaranis, leur enseigner l’agriculture et l’élevage. Et c’est ainsi que près de l’oratoire de saint Ignace, les Jésuites, pour commémorer à leur manière l’événement, établissent sans plus tarder la ville de San Ygnacio.
Les «bons pères» se soucient du sort réservé aux Indiens Guaranis qu’on a trouvés en arrivant. Ils créent des «réductions», territoires où les nouveaux colons, les conquistadores, sont interdits de séjour. Les Indiens, dociles et craintifs, sont pris sous l’aile protectrice des Jésuites. Sinon, on sait le sort qui les attend : l’esclavage dans sa forme la plus brutale. A quoi bon épargner la main-d’œuvre humaine quand elle est si prolifique et gratuite ! Tout cela n’est pas très chrétien, au fond, de la part d’hommes qui ne peuvent tirer l’épée sans invoquer la Vierge Marie et qui vous assassinent au nom de jésus et de la sainte Trinité.
— Qu’ils aillent porter ailleurs leur soif d’or, de pierres précieuses et de vastes domaines.
Mais saint Ignace, du haut du Paradis, ne surveille sans doute pas ses troupes d’assez près. Devant ces organisations indiennes prospères, les colons espagnols se sentent en infériorité et s’inquiètent
— Si l’on n’y met pas bon ordre les Indiens vont nous dominer, nous, les Espagnols blancs. Nous deviendrons les esclaves de ces sauvages. L’ordre de Dieu veut que les choses soient organisées dans le sens inverse !
C’est pourquoi, quarante ans après la bataille autour de l’oratoire, des hommes décidés et bien armés vont surgir du Brésil tout proche. On les nomme, Dieu sait pourquoi, les «Mamelouks» et le gibier qu’ils chassent est simple : ils sont à la recherche d’esclaves. Les autorités de l’époque laissent faire car elles sont bien conscientes que seuls les esclaves indiens sont capables de fournir les efforts nécessaires aux grandes exploitations agricoles sans succomber aux maladies tropicales. Les «reduciones» des Guaranis, la république utopique régie par les bons pères jésuites, sont des insultes à un ordre établi où seul l’homme blanc a le pouvoir. Les Blancs se donnent toutes les bonnes raisons :
— D’ailleurs, si les Guaranis succombent, peu importe, ils sont assez nombreux !
Alors, le massacre commence et trente «reduciones» sont réduites en cendres malgré les efforts des hommes en noir. Ceux-ci rassemblent comme ils peuvent leurs ouailles sur un territoire plus exigu. Ils ne peuvent malgré tout empêcher le massacre de cent mille Guaranis dont la religion chrétienne a fait des victimes sans défense, confiantes en la seule force de leur foi. Hommes, femmes et enfants sont taillés en pièces. En effet, ces pauvres créatures n’ont pas d’armes. Les Jésuites, hommes pragmatiques font tout pour leur en fournir. La guerre change alors de camp. Mais leurs ennemis les plus acharnés ne désarment pas. De marchandages en marchandages les «réductions» restantes vont disparaître ou résister jusqu’en 1756. Tout cela parce qu’un nandou, aux environs de l’an 1600, a avalé une statuette d’ivoire…
Pierre Bellemare
29 avril 2010 à 23 11 44 04444
Une date, un fait Edition du 19/4/2010
Histoires vraies
Massacre pour un oiseau voleur (4e partie)
Résumé de la 3e partie n Ne pouvant désigner le nandou voleur, on en tue quelques-uns. En vain. On décide d’informer le roi de la disparition de saint Ignace…
Don Ramon, malgré l’opposition de Don Gutierez, décide qu’il lui revient d’informer leur maître tout-puissant. On cherche en hâte un parchemin, de l’encre, de la cire et une chandelle, puis promptement la lettre très respectueuse est rédigée :
«A Sa Majesté Philippe III en son palais royal de Madrid…» Le parchemin est séché à la poudre, scellé à la cire. La bague de Don Ramon sert de sceau et un messager est envoyé sur un des meilleurs chevaux pour remettre la missive importantissime au gouverneur qui, n’en doutons pas, la fera suivre jusqu’au maître de l’Empire.
Les nandous épargnés par les conquistadores se remettent à vivre leur vie d’oiseaux coureurs.
Il faut plusieurs semaines pour que le message parvienne enfin à Madrid. Ouvert par le secrétariat particulier de Sa Majesté très catholique, il est enfin présenté à celui qu’on consi-dère comme le maître du monde civilisé. Or, Philippe III fronce les sourcils car Don Ramon s’est cru obligé, pour expliquer le «miracle de la statue de saint Ignace», de relater en détail les circonstances dans lesquelles le nandou s’est emparé de la statue.
Il a donc commencé par le combat entre les deux clans rivaux de conquistadores. Il n’a pu s’empêcher d’expliquer qu’il avait prévu de faire payer un tribut à chacun de ceux qui préten-draient vouloir faire leurs dévotions. Et puis, il a dû raconter la trêve dans la chaleur, et l’intrusion du nandou, et la course de plusieurs heures pour rattraper l’animal voleur. Philippe III n’aime pas du tout ça :
— Que croit donc ce Don Ramon ? Il pense que je dépense mon bon or pour envoyer au-delà des mers des fainéants batailleurs et imbéciles ? Ils sont là-bas pour y découvrir des trésors, pour y installer des conquérants chrétiens et pour contribuer à l’enrichissement de la très sainte Espagne. Au lieu de cela, ils se mettent en tête de faire payer des tributs, ce qui est le privilège de mes collecteurs. Ils s’entre-tuent comme de vulgaires coupe-jarrets et perdent leur temps à courir derrière des oiseaux immangeables. Il faut mettre bon ordre à tout cela. Au lieu de perdre leur temps en bêtises superstitieuses, ils feraient mieux de réduire à la raison ces Indiens Guaranis qui nous causent tant de problèmes et provoquent tant de pertes humaines dans nos rangs ! Ces hommes indignes du nom d’hidalgos mériteraient la corde !
Parmi les courtisans rassemblés autour du monarque un prêtre silencieux fronce les sourcils. Le révérend père Fernando est le plus attentif. Entre lui et le roi tout-puissant pas besoin de longs dialogues. Le révérend père Fernando est de la race de saint Ignace : un jésuite élevé dans le sérail, et de surcroît fort intelligent. Si ce n’était pas le cas, les «hommes en noir» ne l’auraient pas désigné pour faire partie de l’entourage de Sa Majesté très catholique. Un regard de Philippe III lui suffit pour qu’il comprenne que le monarque désire l’entretenir en particulier dans un cabinet dont il connaît l’accès. Quelques heures plus tard l’entrevue a lieu. Ce qui se dit ne filtrera pas au-delà des murs tendus de cuir de Cordoue.
Mais très peu de temps après, Don Ramon et les conquérants espagnols de la province du Paraguay ont une surprise : au lieu des prébendes, récompenses et autres titres de noblesse qu’ils attendaient, ils voient arriver par pleins galions une nuée d’hommes noirs, de ces Jésuites que beaucoup haïssent. (à suivre…)
Pierre Bellemare