Histoires vraies
Un héros impertinent (1re partie)
Comme chacun sait, Bruxelles n’est pas célèbre pour les berges des rivières qui la traversent. Un seuI modeste filet d’eau : la Senne. Mais les Bruxellois ont toujours aimé les fontaines. Au siècle dernier, ils pouvaient encore s’enorgueillir de 170 de ces monuments si utiles. A l’occasion du millénaire de la ville, en 1979, force est de constater que 130 de ces fontaines avaient disparu…
L’humour beIge est connu dans le monde entier, et les Bruxellois n’ont jamais eu la réputation d’être «coincés». Ils aiment tout de la vie, même ses côtés les plus grivois… Ils ne sont pas bégueules, et tout les fait rire. C’est pourquoi le thème de l’enfant qui pisse fut, dès le Moyen Age, le sujet d’une fontaine célèbre, la Julianekensborre, autrement dit «source du petit Julien». Déjà elle représentait un enfant innocent en train de satisfaire un besoin naturel…
Mais tout casse, même les fontaines. Le petit Julien avait-il perdu son robinet, ou sa tête, ou un bras ? En tout cas, vint une époque où les édiles décidèrent de remplacer la fontaine. On était en 1619, et l’amman de Bruxelles donna des ordres en conséquence.
A l’époque, les Duquesnoy étaient une famille de scripteurs bruxellois dignes d’intérêt. Le père, Jérôme, produisit très rapidement une effigie qui rappelait le même thème, taillée dans la pierre blanche.
Jérôme avait deux fils. L’un, François le Flamand, était la vertu incarnée et comptait parmi ses clients l’archiduc Albert d’Autriche, le pape Urbain VIII, le roi Louis XIII et le cardinal de Richelieu. Son frère, Jérôme le jeune, tout à l’opposé, n’était qu’un débauché qui enrageait en considérant les succès de son aîné.
Jérôme le père vient à mourir. Jérôme le jeune retrouve la statue de pierre blanche et il en exécute une autre version, qu’il fait couler dans le bronze.
Deux ans plus tard, comme par hasard, François le Flamand, le frère aîné, meurt d’une maladie mystérieuse. Jérôme, débarrassé de la concurrence familiale, devient le sculpteur attitré de Philippe IV, roi d’Espagne.
Mais il a sans doute des choses à se reprocher, puisqu’un beau jour de 1654, alors qu’il est juché sur un échafaudage, très occupé à la construction de la cathédrale Saint-Bavon, à Gand, des soldats se présentent. On l’arrête : «Maître Duquesnoy, nous vous accusons d’avoir empoisonné votre frère François.»
Les choses s’annoncent maI. D’autant plus que la justice accuse Jérôme le jeune non seulement d’assassinat, de fratricide, mais encore de mœurs infâmes et de sodomie. Sculpteur du roi d’Espagne ou pas, Jérôme connaîtra les affres de la condamnation et les douleurs du bûcher, où on le brûle tout vif.
Peu importe, si l’on peut dire, car l’œuvre de Jérôme le criminel lui survit. Elle est désormais scellée sur un socle de pierre bleue et munie d’une cuvette pour recueillir le précieux liquide. Le tout, confectionné par le sculpteur Daniel Raessens, est installé à l’angle des rues du Chêne et de l’Etuve. Le Manneken-Pis pouvait commencer sa carrière.
Depuis des siècles, des légendes courent, toutes différentes, sur la véritable identité du personnage représenté par la fontaine.
Selon certains, il faut remonter à 1142, au moment ou Godefroi II, duc de Brabant, rend son âme à Dieu. Il laisse le Brabant à son fils, qui n’est encore qu’un enfant. La duchesse Lutgarde va assurer la régence jusqu’à la majorité du nouvel héritier. Devant cette situation alléchante, les vassaux les plus remuants se disent que l’heure est venue de se saisir du pouvoir. La duchesse appelle à l’aide son parent Thierry d’Alsace et les seigneurs brabançons fidèles. (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
29 juillet 2009
Non classé