L’an V de la révolution algérienne, éd. Maspéro, 1959, réédité en 1966 sous le titre « Sociologie d’une révolution ».
Extraits:
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L’Algérie se dévoile
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L’Algérie se dévoile
Le corps de la jeune Algérienne, dans la société traditionnelle, lui est révélé par la nubilité et le voile. Le voile recouvre le corps et la discipline, le tempère, au moment même où il connaît sa phase de plus grande effervescence. Le voile protège, rassure, isole. Il faut avoir entendu les confessions d’Algériennes ou analyser le matériel onirique de certaines dévoilées récentes, pour apprécier l’importance du voile dans le corps vécu de la femme. Impression de corps déchiqueté, lancé à la dérive; les membres semblent
s’allonger indéfiniment. Quand l’Algérienne doit traverser une rue, pendant longtemps il y a erreur de jugement sur la distance exacte à parcourir. Le corps dévoilé paraît s’échapper, s’en aller en morceaux. Impression d’être mal habillée, voire d’être nue. Incomplétude ressentie avec une grande intensité. Un goût anxieux d’inachevé. Une sensation effroyable de se désintégrer. L’absence du voile altère le schéma corporel de l’Algérienne. Il lui faut inventer rapidement de nouvelles dimensions à son corps, de nouveaux moyens de contrôle musculaire. Il lui faut se créer une démarche de femme-dévoilée-dehors. Il lui faut briser toute timidité, toute gaucherie (car on doit passer pour une Européenne) tout en évitant la surenchère, la trop grande coloration, ce qui retient l’attention. L’Algérienne qui entre toute nue dans la ville européenne réapprend son corps, le réinstalle de façon totalement révolutionnaire.
24 juillet 2009
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