Histoires vraies
Des têtes royales (3e partie et fin)
Résumé de la 2e partie n Le vent du vandalisme révolutionnaire a tout emporté sur son passage. Y compris toute trace et souvenir d’existence des rois… Albert Lenoir crée un musée pour sauver quelques statues.
A cette époque, la Banque française du commerce extérieur procède à des travaux dans le sous-sol d’un immeuble qui jouxte le sien et qu’elle vient d’acquérir.
M. Eugénio Durfort, le sous-directeur de la banque, sait que le sous-sol parisien peut être riche en trouvailles. Il a fait prévenir les ouvriers et leur a demandé de l’alerter en cas de découverte intéressante. Il sait que le lieu des travaux correspond à l’ancien cimetière Saint-Roch. Ce qu’il ignore, mais il le découvrira plus tard, c’est que l’hôtel particulier sur le terrain duquel on fait les travaux était, à l’origine, un terrain appartenant aux religieux de l’ordre des Mathurins. En 1754, ceux-ci louent à vie leur terrain au futur grand-père de George Sand, Louis-Claude Dupin de Francueil, qui épousera une fille naturelle du maréchal de Saxe. Le bail finit par échoir à un serrurier en bâtiment nommé Bonnin. Tous les matériaux sont sur le chantier quand Bonnin cède lui-même son bail à son banquier, Charles-Martin Doyen. Celui-ci construit deux maisons à colonnes. Puis les revend, en 1795. Le nouveau propriétaire est Jean-Baptiste LakanaI. Il décide de faire construire au fond de son terrain un bel hôtel particulier, ainsi que des remises et des écuries.
Mais les transports de matériaux sont difficiles en cette période troublée. C’est alors qu’on propose à la vente les «moellons» de Notre-Dame. Jean-Baptiste Lakanal est le frère de Joseph, révolutionnaire qui se consacrera essentiellement à la création de nos grandes écoles. Joseph doit fuir la France, comme régicide, avant de devenir planteur dans l’Alabama. Son frère Jean-Baptiste, lui, est légitimiste et reste en France. C’est la raison pour laquelle, au moment de construire son hôtel particulier, il prend grand soin des débris des statues royales de Notre-Dame. Les ouvriers de la Banque française pour le commerce extérieur, en 1977, découvrent une première tête. M. Durfort pense qu’on lui parIe d’un crâne humain. Mais c’est une tête sculptée, gothique. Il s’avère que cette tête n’est pas seule. Dans le sous-sol, une tranchée est ouverte. Et tout un côté de cette tranchée est constitué par un mur fait de statues brisées. Il y a là trois lits superposés d’énormes têtes de pierre blanche. Elles sont calées par de nombreux débris de sculptures. Elles mesurent en moyenne 60 à 70 centimètres de haut et pèsent environ 150 kilos chacune.
On les transporte, enveloppées dans des chutes de moquette, jusqu’au dépôt que possède la banque à Senlis. Le propriétaire de la banque, François Giscard d’Estaing, se fait conduire à Senlis. Il reste abasourdi devant la beauté de ces têtes, de ces regards sur lesquels on distingue encore des traces de la peinture médiévale. Il se précipite chez le conservateur du musée de Cluny. Aucun doute, la banque vient de mettre au jour vingt et une des vingt-huit têtes des rois qui ornaient la grande galerie de Notre-Dame. Jean Baptiste Lakanal, fervent royaliste, avait pieusement enseveli face contre terre et orientés dans la direction de Notre-Dame ces chefs-d’œuvre de l’art gothique. Puis il avait vendu son hôtel au général Moreau, ardent révolutionnaire, qui passait tous les jours, sans s’en douter, si près des restes de la «royauté abhorrée». Aujourd’hui, loin de la pollution, ces têtes magnifiques, si émouvantes et si vivantes, sont au musée de Cluny. Elles sont présentées dans la salle Notre-Dame, spécialement aménagée à leur intention. Toutes, sauf une, celle d’un mage, qui est restée dans les locaux de la Banque française du commerce extérieur.
D’après Pierre Bellemare
16 juillet 2009
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