LA VÉRITÉ
Idéalisme et réalisme, je vous aime,
Comme l’eau et la pierre vous êtes
parties du monde,
lumière et racine de l’arbre de la vie.
Non, ne me fermez pas les yeux.
lorsque j’aurai cessé de vivre,
j’en aurai besoin pour apprendre
pour regarder et comprendre ma mort.
Il me faut ma bouche
pour chanter après qu’elle aura disparu.
Et mon âme, et mes mains, mon corps
pour continuer à t’aimer, ma chérie.
C’est impossible, je le sais, pourtant je l’ai voulu
J’aime ce qui n’a que des rêves.
J’ai un jardin tout de fleurs qui n’existent pas
Je suis résolument triangulaire.
Et je regrette encore mes oreilles,
mais je les ai enveloppées pour les laisser
dans un port, sur un fleuve à l’intérieur
de la République de Malaguette.
Je suis las de porter la raison sur l’épaule
Je veux inventer la mer quotidienne
Un jour j’ai reçu la visite
d’un peintre de talent qui peignait des soldats
Tous étaient des héros et le brave homme
les peignait en plein feu sur le champ de bataille
mourant comme à plaisir
Et il peignait aussi des vaches réalistes,
si réalistes et si parfaites, si parfaites
qu’on se sentait, rien qu’à les voir, mélancolique
et prêt à ruminer jusqu’à la fin des siècles.
Horreur et abomination ! J’ai lu
des romans-fleuves de bonté
et tant de vers
à la gloire du Premier Mai
que je n’écris plus désormais
que sur le Deux du même mois.
Il semble bien que l’homme
bouscule fort le paysage
et cette route qui avait un ciel auparavant
maintenant nous écrase
de son entêtement commercial.
Il en va de même avec la beauté,
et comme si nous refusions de l’acheter,
ils l’emballent à leur goût et à leur mode.
La beauté, laissons-la danser
avec ses courtisans les plus inacceptables,
entre le plein jour et la nuit;
ne la contraignons pas à avaler
comme un médicament la pilule de vérité.
(Et le réel ? Il nous le faut, sans aucun doute,
mais que ce soit pour nous grandir,
pour nous rendre plus vastes, pour nous faire frémir,
pour rédiger ce qui pour nous doit être
l’ordre du pain tout autant que l’ordre de l’âme.)
Sussurez ! tel est mon ordre
aux forêts pures,
qu’elles disent en secret ce qui est leur secret,
et à la vérité: Cesse donc de stagner,
tu te durcis jusqu’au mensonge.
Je ne suis pas recteur, je ne dirige rien,
et voilà pourquoi j’accumule
les erreurs de mon chant.
14 juillet 2009 à 5 05 43 07437
Il meurt lentement
celui qui ne voyage pas,
celui qui ne lit pas,
celui qui n’écoute pas de musique,
celui qui ne sait pas trouver
grâce à ses yeux.
Il meurt lentement
celui qui détruit son amour-propre,
celui qui ne se laisse jamais aider.
Il meurt lentement
celui qui devient esclave de l’habitude
refaisant tous les jours les mêmes chemins,
celui qui ne change jamais de repère,
Ne se risque jamais à changer la couleur
de ses vêtements
Ou qui ne parle jamais à un inconnu
Il meurt lentement
celui qui évite la passion
et son tourbillon d’émotions
celles qui redonnent la lumière dans les yeux
et réparent les coeurs blessés
Il meurt lentement
celui qui ne change pas de cap
lorsqu’il est malheureux
au travail ou en amour,
celui qui ne prend pas de risques
pour réaliser ses rêves,
celui qui, pas une seule fois dans sa vie,
n’a fui les conseils sensés.
Vis maintenant !
Risque-toi aujourd’hui !
Agis tout de suite!
Ne te laisse pas mourir lentement !
Ne te prive pas d’être heureux !
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14 juillet 2009 à 5 05 43 07437
Le poète
Avant je circulais dans la vie, un amour
douloureux m’entourait: avant je retenais
une petite page de quartz
en clouant les yeux sur la vie.
J’achetais un peu de bonté, je fréquentais
le marché de la jalousie, je respirais
les eaux les plus sourdes de l’envie,l’inhumaine
hostilité des masques et des êtres.
Le monde où je vivais était marécage marin:
le fleur brusquement, le lis tout à coup
me dévorait dans son frisson d’écume,
et là où je posais le pied mon coeur glissait
vers les dents de l’abîme.
Ainsi naquit ma poésie, à peine
arrachée aux orties, empoignée sur
la solitude comme un châtiment,
ou qui dans le jardin de l’impudeur en éloignait
sa fleur la plus secrète au point de l’enterrer.
Isolé donc comme l’eau noire
qui vit dans ses couloirs profonds,
de main en main, je coulais vers l’esseulement
de chacun, vers la haine quotidienne.
je sus qu’ils vivaient ainsi, en cachant
la moitié des être, comme des poissons
de l’océan le plus étrange, et j’aperçus
la mort dans les boueuses immensités.
La mort qui ouvrait portes et chemins.
La Mort qui se faufilait dans les murs.
(extraits: Chant général, Les fleurs du Pinataqui, p.381
Gallimard, Collection Poésie.)
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14 juillet 2009 à 5 05 44 07447
Je prends congé, je rentre
chez moi, dans mes rêves,
je retourne en Patagonie
où le vent frappe les étables
où l’océan disperse la glace.
Je ne suis qu’un poète
et je vous aime tous,
je vais errant par le monde que j’aime :
dans ma patrie
on emprisonne les mineurs
et le soldat commande au juge.
Mais j’aime, moi, jusqu’aux racines
de mon petit pays si froid.
Si je devais mourir cent fois,
c’est là que je voudrais mourir
et si je devais naître cent fois
c’est là aussi que je veux naître
près de l’araucaria sauvage,
des bourrasques du vent du sud
et des cloches depuis peu acquises.
Qu’aucun de vous ne pense à moi.
Pensons plutôt à toute la terre,
frappons amoureusement sur la table.
Je ne veux pas revoir le sang
imbiber le pain, les haricots noirs,
la musique: je veux que viennent
avec moi le mineur, la fillette,
l’avocat, le marin
et le fabricant de poupées,
Que nous allions au cinéma,
que nous sortions
boire le plus rouge des vins.
Je ne suis rien venu résoudre.
Je suis venu ici chanter
je suis venu
afin que tu chantes avec moi.
( extrait de « El Canto General »)
À propos du »»El Canto General ««
par Guy Wagner
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14 juillet 2009 à 5 05 44 07447
Tu ne ressembles à personne depuis que je t’aime.
Laisse-moi t’étendre parmi les guirlandes jaunes.
Qui inscrit ton nom avec des lettres
de fumée parmi les étoiles du Sud ?
Ah laisse-moi me souvenir comment
tu étais alors, quand tu n’existais pas encore. [...]
Maintenant, maintenant aussi, petite,
tu m’apportes du chèvrefeuille,
et jusqu’à tes seins en sont parfumés.
Pendant que le vent triste galope en tuant des papillons
moi je t’aime, et ma joie mord ta bouche de prune.
Ce qu’il t’en aura coûté de t’habituer à moi,
à mon âme esseulée et sauvage, à mon nom que tous chassent.
Tant de fois nous avons vu s’embraser
l’étoile du Berger en nous baisant les yeux
et sur nos têtes se détordre
les crépuscules en éventails tournants.
Mes paroles ont plu sur toi en te caressant.
Depuis longtemps j’ai aimé ton corps
de nacre ensoleillée.
Je te crois même reine de l’univers.
Je t’apporterai des fleurs joyeuses
des montagnes, des copihues,
des noisettes foncées, et des paniers
sylvestres de baisers.
Je veux faire avec toi
ce que le printemps fait avec
les cerisiers.
(extrait, L’AMOUR EN RIME)
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14 juillet 2009 à 5 05 45 07457
LE TIGRE
je suis le tigre.
je te guette parmi les feuilles
aussi grandes que des lingots
de minerai mouillé.
le fleuve blanc grandit
sous la brume. te voici.
tu plonges nue.
j’attends.
alors d’un bond,
feu, sang et dents,
ma griffe abat
ta poitrine, tes hanches.
je bois ton sang, je brise
tes membres, un à un.
et je reste dans la forêt
à veiller durant des années
tes os, ta cendre,
immobile, à l’écart
de la haine et de la colère,
désarmé par ta mort,
traversé par les lianes,
immobile sous la pluie,
sentinelle implacable
de mon amour, cet assassin.
(extrait, LES VERS DU CAPITAINE )
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14 juillet 2009 à 5 05 45 07457
LE REFRAIN DU BOUQUETIER
Fleur le marécage et source le roc:
Ton âme embellit out ce qu’elle touche.
La chair passe mais ta vie reste, entière,
dans ma poésie de sang et de soie.
Il faut être doux sur toute les choses;
le chacal vaut moins que le papillon.
Tu es un ver qui oeuvre et élabore
et pour ton cocon pousse les mûriers.
Pour te laisser tisser ta soie céleste
la ville a un air tranquille et agreste.
Ver au travail, soudain te voilà vieux;
la douleur du monde enraie tes anneaux !
Sur la mort débouche ton âme nue
qui se fait ailée, aiglonne ou colombe!
La terre, elle; garde tes actes vierges,
ver, mon compagnon, tes soies intouchées.
Vis à l’aube et vis au soleil couchant,
adore le tigre et le corpuscule,
comprends la poulie autant que le muscle!
Épuise tes jours, frère, compagnon,
non dans le divin mais lié a l’humain,
non dans les étoiles mais dans tes mains.
Car la nuit viendra qui te changera
aussitôt en terre, en vent ou en feu.
Laisse pour cela s’amadouer tes portes,
laisse sous leur cintre entrer tous les vents.
Ouvre ton jardin à celui qui passe,
tends au voyageur la fleur de ta vie!
Ne te montre pas dur, ladre, obstiné,
fais-toi fruitadelle, sans crochets ni haies!
Il faut être doux et s’offrir à tous,
pour vivre il n’y a pas d’autre façon
d’être la douceur. S’offrir a autrui
comme les sources s’offrent à la terre.
Ne pas avoir peur. Ne pas réfléchir.
Donner pour recommencer à donner.
Celui-là qui s’offre n’a pas de fin:
il abrite en lui la pulpe divine.
Comme s’offrent sans fin, frère, mon frère,
les eaux des fleuves à la mer !
Que dans ta vue mon chant doré que désires.
Que ton noble vouloir fasse clarté ce que tu vois.
Que ta vie suive cette voie.
- Mensonge, mensonge, mensonge !
(extrait, LES PREMIERS LIVRES Hélios et les chansons)
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14 juillet 2009 à 5 05 45 07457
III
nous avons dû, ma sauvageonne,
nous ressaisir du temps perdu
et revenir sur nos pas pour, de baiser en baiser,
abolir la distance de nos vies,
récupérant ici ce que sans joie
nous avions donné, découvrant
là le chemin secret
qui rapprochait tes pas des miens,
et ainsi, sous ma bouche,
voici que tu revois la plante insatisfaite
de ta vie qui allonge ses racines
vers mon coeur et vers son attente.
une à une, les nuits,
entre nos villes séparées,
s’ajoutent à la nuit qui nous unit.
le jour de chaque jour,
sa flamme ou son repos
soustraits au temps, elles nous livrent,
et ainsi se trouve exhumés
dans l’ombre ou la clarté notre trésor,
et ainsi nos baisers embrassent-ils la vie:
tout l’amour se tient enclos dans le nôtre:
toute la soif s’achève dans notre enlacement.
nous voici enfin face à face,
nous nous sommes trouvés,
rien n’a été perdu.
et lèvre à lèvre nous nous sommes parcourus,
mille fois nous avons troqué
entre nous la mort et la vie,
tout ce que nous portions en nous
comme autant de médailles mortes
nous l’avons jeté à la mer,
tout ce que nous avions appris
nous a été bien inutile:
nous avons commencé,
nous avons terminé
à nouveau mort et vie.
nous sommes là, nous survivons,
purs d’une pureté que nous avons créée,
plus vaste que la terre qui n’a pu nous fourvoyer,
et éternels comme le feu qui brûlera
tant que la vie ne cessera.
( extrait, ODE ET GERMINATIONS )
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14 juillet 2009 à 5 05 46 07467
RÉSIDENCE SUR LA TERRE (extraits)
»» en librairie ««
Lamentation lente
Dans la nuit du coeur
la lente goutte de ton nom
glisse et tombe et brise et déploie
en silence son eau.
Légère sa blessure exige quelque chose
et sa déférence courte et infinie,
comme le pas d’un être qui s’égare
soudain entendu.
Soudain, soudain perçu
et dans le coeur répandu
avec l’insistance triste et le déploiement
d’un rêve froid d’automne.
La roue épaisse de la terre
fait rouler sa jante humide d’oubli
coupant le temps
en d’inaccessibles moitiés.
Ses dures voûtes couvrent ton âme
répandue dans la terre froide
avec ses pauvres étincelles bleues
volant dans la voix de la pluie.
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14 juillet 2009 à 5 05 46 07467
IL N’Y A PAS D’OUBLI
Si vous me demandez où j’étais
je dois dire : « Il arrive que ».
Je dois parler du sol que les pierres obscurcissent,
du fleuve qui en se prolongeant se détruit :
je ne connais que les choses perdues par les oiseaux,
la mer laissée en arrière, ou ma soeur qui pleure.
Pourquoi tant de régions. pourquoi un jour
se joint-il à un jour ? Pourquoi une nuit noire
s’accumule-t-elle dans la bouche ? Pourquoi des morts ?
Si vous me demandez d’où je viens, je dois parler
avec les choses brisées,
avec des ustensiles trop amers,
avec de grandes bêtes souvent pourries
et avec mon coeur tourmenté.
Ce ne sont pas les souvenirs qui se sont croisés
ni la colombe jaunâtre qui dort dans l’oubli,
mais des visages avec des larmes,
des doigts dans la gorge,
et ce qui s’effondre des feuilles :
l’obscurité d’un jour écoulé,
d’un jour nourri de notre triste sang.
Voici des violettes, des hirondelles,
tout ce que nous aimons et qui figure
sur de douces cartes à longue traîne
où se promènent le temps et la douceur.
Mais ne pénétrons pas au-delà de ces dents,
ne mordons pas aux écorces que le silence accumule,
car je ne sais que répondre :
il y a tant de morts,
et tant de jetées que le soleil rouge transperçait,
et tant de têtes qui frappent les bateaux
et tant de mains qui ont enfermé des baisers,
et tant de choses que je veux oublier
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14 juillet 2009 à 5 05 47 07477
LE WINNIPEG ET AUTRES POÈMES
J’ai aimé dès le début le mot Winnipeg. Les mots ont des ailes ou n’en ont pas. Les mots rugueux restent collés au papier, à la tables, à la terre. le mot Winnipeg est ailé. Je l’ai vu s’envoler pour la première fois sur le quai d’un embarcadère, près de Bordeaux.
Le Winnipeg était un beau vieux bateau, auquel les sept mers et le temps avaient donné sa dignité. On peut affirmer qu’il n’avait jamais transporté à son bord plus de soixante-dix à quatre-vingts personnes. Le reste avait été constitué par des cargaisons de cacao, de coprah, de sacs de café de riz, par des chargements de minerais. Cette fois pourtant un affrètement plus important l’attendait: l’espoir.
Sous mes yeux et ma direction, deux mille hommes et femmes devait embarquer. Ils arrivaient des camps de concentration, de régions inhospitalières des désert, des terres africaines. Il venaient de l’angoisse, de la défaite, et ce bateau allait les recevoir et les emmener sur le continent américain, jusqu’aux côtes du Chili qui les accueillait. C’étaient les combattants espagnols qui avaient franchi la frontière française pour un exil qui dure depuis plus de trente ans.
La guerre civile – et incivile – d’Espagne agonisait de cette manière: des gens à demi prisonniers étaient entassés dans des forteresse quand ils ne s’amoncelaient pas pour dormir à même le sable. L’exode avait brisé le coeur su plus grand des poètes, don Antonio Machado. Ce coeur avait cessé de battre à peine franchies les Pyrénées. Des soldats de la République, dans leurs uniformes en lambeaux, avaient porté son cercueil au cimetière de Collioure. C’est là que cet Andalou qui avait chanté comme aucun autre les campagnes de Castille repose encore.
Je n’avais pas songé, en me rendant du Chili en France, aux contretemps, obstacles et adversités que je rencontrerais au cours de ma mission. Mon pays avait besoin de compétences, d’homme à la volonté créatrice. Nous manquions de spécialistes. La mer chilienne m’avait demandé des pêcheurs. Les mines réclamaient des ingénieurs. Les champs, des ouvriers pour conduire les tracteurs. Les premiers moteurs Diesel m’avaient chargé de recruter des mécaniciens spécialisés.
Rassembler ces être dispersés, les désigner dans les camps les plus éloignés et les acheminer jusqu’à ce carré de jour bleu, devant l’océan de France où se balançait tranquillement le Winnipeg, fut une affaire sérieuse et complexe, une entreprise dans laquelle le dévouement côtoyait souvent le désespoir.
Un organisme de solidarité, le SERE, fut fondé. L’aide venait, d’une part, des derniers fonds du gouvernement républicain et, d’autre part, d’une institution qui garde pour moi tout son mystère: les quakers.
Je me déclare abominablement ignorant en matière de de religions. Ce combat contre le péché constitue l’essentiel de leurs préoccupation m’a écarté, dans ma jeunesse, de tous les credos, et l’attitude superficielle d’indifférence que j’ai alors adoptée a persisté ma vie durant. Mais je dois à la vérité de dire que ces magnifiques sectateurs apparaissaient sur le môle et qu’ils payaient à chaque Espagnols la moitié de son billet pour la liberté, sans faire aucune distinction entre les athées et les croyants, les pécheurs et les pêcheurs. Depuis, quand je lis quelques part le mot quaker, je salue respectueusement par la pensé de leur mouvement.
Les trains arrivaient sans arrêt à l’embarcadère. Les femmes reconnaissaient leurs maris à travers les portières des wagons. Ils avaient été séparés depuis la fin de la guerre et ils se revoyaient pour la première fois devant le bateau qui les attendait. Jamais il ne m’avait été donné d’assister à des retrouvailles, des sanglots; des baisers, des étreintes, des éclats de rire aussi dramatiquement délirants.
De longues tables s’alignaient pour la vérification des papier et de l’identité, et pour le contrôle sanitaire. Derrière celles-ci, mes collaborateurs, secrétaires, consuls, amis, formaient une sorte de tribunal du purgatoire. Aux yeux des émigrants je dus, exceptionnellement ce jour-là, prendre les traits de Jupiter. Je décrétais le oui ultime, le non définitif. N’étant guère partisan du second, je répondais toujours par oui.
Je fus pourtant sur le point de signer un refus. Par bonheur, je compris à temps.
Un Castillan, un paysan à blouse noire tire-bouchonnée aux manches, venait de se présenter devant moi. Cette large blousse flottante était celle des ruraux de la Manche. L’homme, planté là avec sa femme et ses sept enfants, avait un certain âge, le visage tanné et creusé de rides.
En examinant les renseignements fournis par sa carte d’identité, je lui demandai, surpris:
- Le liège, c’est votre métier?
- Oui, monsieur, me répondit-il, gravement.
- Alors, il y a erreur. Qu’est-ce que vous iriez faire au Chili? Là-bas, il n’y a pas de chênes-lièges.
- Eh bien, monsieur, il y en aura, me répliqua le paysan.
- Montez, lui dis-je. C’est d’hommes comme vous dont nous avons besoin.
Avec la même fierté qui lui avait inspiré sa réponse, le paysan se mit à gravir la passerelle du Winnipeg, suivi de ses sept enfants et de son épouse. Beaucoup plus tard, l’argument de cet Espagnol imperturbable se révéla exact: il y eut – et, bien entendu, il y a toujours des chênes-lièges au Chili.
Presque tous mes protégés, pèlerins partant pour des terres inconnues, étaient maintenant embarqués, et je me préparais à prendre un peu de repos après cette tâches difficile, lorsque je vis se prolonger mes émotions. Le gouvernement chiliens, soumis aux pressions et aux attaques, m’adressait le message suivant: INFORMATION PRESSE AFFIRMENT EFFECTUER IMMIGRATION MASSIVE ESPAGNOLS. PRIÈRE DÉMENTIR OU ANNULER VOYAGE ÉMIGRÉS.
Que faire?
Il y avait une solution: convoquer la presse, lui monter le bateau rempli a craquer de ses deux mille Espagnols, lire le télégramme d’une voix solennelle. Et cela fait, me tirer sur place une balle dans la tête.
Ou encore: accompagner mes émigrant et débarquer au Chili avec l’appui de la raison ou de la poésie.
Avant de prendre une décision, je décrochai le téléphone pour m’entretenir avec le ministre chilien des Affaires étrangères. EN 1939, une communication téléphonique était difficilement déchiffrable. Pourtant mon indignation et mon angoisse furent entendues à travers océans et cordillères et le ministre m’approuva. Après une petite crise de cabinet, le Winnipeg, avec ses deux mille Républicains qui chantaient et pleuraient, leva l’ancre et mis le cap sur Valparaiso.
Que la critique efface toute ma poésie, si bon lui semble. Mais ce poème dont j’évoque aujourd’hui le souvenir, personne ne pourra l’effacer .
(NÉ POUR NAÎTRE Cinquième Cahier Réflexions Depuis l’ Île-Noire)
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14 juillet 2009 à 5 05 47 07477
LA LUTTE POUR LE SOUVENIR
Mes pensées se sont peu à peu éloignées, mais ayant abordé un sentier accueillant, je repousse les contrariétés tumultueuses et je m’arrête, les yeux fermés, grisé par un parfum de passé que j’ai conservé, durant mon petit corps à corps avec la vie. J’ai vécu hier, uniquement. Aujourd’hui a cette nudité qui attend la chose désirée, ce cachet provisoire qui vieillit en nous sans amour.
Hier est un arbre aux longs branchages, à l’ombre duquel je suis allongé, abandonné à la mémoire.
Soudain, je regarde, étonné: en longues caravanes, des voyageurs sont arrivés dans le même sentier; les yeux endormis dans le souvenir, ils fredonnent des chansons et évoquent ce qui fut. Et je crois deviner qu’ils se sont déplacés pour s’arrêter, qu’ils ont parlé pour se taire, qu’ils ont ouvert leurs yeux stupéfaits devant la fête des étoiles pour les fermer et revivre l’enallé…
Étendu dans ce nouveau chemin, avec les yeux avides et fleuris des jours lointains, j’essaie vainement d’enrayer le fleuve du temps qui ondoie sur mes faits et gestes. Mais l’eau que je parviens à recueillir reste prisonnière des bassins secrets de mon coeur, dans lesquels, demain, devront s’enfoncer mes veilles mains solitaires.
(LE FLEUVE INVISIBLE, Premiers Poèmes)
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14 juillet 2009 à 5 05 48 07487
IL MEURT LENTEMENT CELUI QUI….
Il meurt lentement
celui qui ne voyage pas,
celui qui ne lit pas,
celui qui n’écoute pas de musique,
celui qui ne sait pas trouver
grâce à ses yeux.
Il meurt lentement
celui qui détruit son amour-propre,
celui qui ne se laisse jamais aider.
Il meurt lentement
celui qui devient esclave de l’habitude
refaisant tous les jours les mêmes chemins,
celui qui ne change jamais de repère,
Ne se risque jamais à changer la couleur
de ses vêtements
Ou qui ne parle jamais à un inconnu.
Il meurt lentement
celui qui évite la passion
et son tourbillon d’émotions
celles qui redonnent la lumière dans les yeux
et réparent les coeurs blessés
Il meurt lentement
celui qui ne change pas de cap
lorsqu’il est malheureux
au travail ou en amour,
celui qui ne prend pas de risques
pour réaliser ses rêves,
celui qui, pas une seule fois dans sa vie,
n’a fui les conseils sensés.
Vis maintenant!
Risque-toi aujourd’hui!
Agis tout de suite!
Ne te laisse pas mourir lentement!
Ne te prive pas d’être heureux!
Pablo Neruda « Prix Nobel de Littérature 1971″
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