«Et puis, un jour, le cœur de ma mère s’est arrêté de battre…»
Vécu n Descendre et monter jusqu’au treizième étage n’est pas une sinécure. Mais à Diar El-Djemaâ, c’est nécessaire.
«Ma mère, que Dieu ait son âme, est devenue cardiaque à force de descendre et de monter très péniblement jusqu’au treizième étage. Il lui arrivait même de faire des petites haltes chez les voisines des étages inférieurs. On lui pressait des oranges et on l’aidait ensuite à remonter lentement les escaliers mais au bout, elle n’en pouvait plus. Son cœur a cessé de battre», nous a avoué Djamel H., 38 ans, qui a enterré depuis longtemps sa maman et accompagné aussi plusieurs vieilles personnes à leur dernière demeure, dans ce quartier de Diar El-Djemaâ, à équidistance entre Bachdjarah et El-Harrach, où l’âge prend un coup, quand la santé se désagrège à mesure que les palpitations du cœur vont crescendo en raison de marches qui n’en finissent plus.
Pourtant, avec des ascenseurs qui fonctionnent bien, on peut aisément faciliter la vie de ces personnes. Djamel en est convaincu : «Les habitants de Diar El-Djemaâ demandent aujourd’hui un règlement définitif de cette histoire d’ascenseurs. J’ai entendu dire, il y a de cela quelques mois, que les autorités locales vont solutionner ce problème en mettant un gardien devant chaque ascenseur, mais apparemment ce ne sont que des paroles. Pour le moment, je n’ai rien vu venir», fulmine notre homme qui regrette, de surcroît, le fait que son père, un vieil homme de plus de 75 ans, ne sorte plus de l’appartement car de toutes les manières, il ne pourra jamais remonter seul jusqu’au treizième étage et s’il se hasardait à le faire, il risquerait de s’évanouir dès le cinquième ou le sixième étage. «Mon père, déjà très affecté par la disparition de ma mère, ne sort plus de la maison. Il a même perdu le contact avec ses amis qui ont presque le même âge que lui, mais qui, de toutes les façons, n’ont plus les jambes assez solides pour monter siroter un café ou un thé en sa compagnie.» La mise à l’arrêt brutal de l’ascenseur dans cette cité, livrée à ses actuels occupants en 1958 dans le fameux projet du Plan de Constantine initié par le général De Gaulle, a contraint les locataires qui habitent les étages supérieurs à faire chaque jour des marathons de montées et descentes. Jeunes et moins jeunes ont pris l’habitude de faire ce sport imposé non sans grand-peine.
Mais les personnes âgées et les quelques personnes handicapées – qui habitent la cité – ont pris l’habitude de ne se déplacer que lorsque la sortie s’impose. Et elles sont aidées souvent dans leur tentative, par un parent ou un voisin qu’on croise inopinément dans la cage d’escaliers ou à l’extérieur.
Djamel, notre guide dans ce quartier populaire, nous raconte que faute d’ascenseur, des voisins suent eau et sang pour monter les commissions, un malade qu’on ramène de l’hôpital ou un meuble. Quelques femmes, pour éviter à leurs enfants ou leur mari les terribles montées et descentes ont, depuis longtemps, procédé au «troc», en se procurant persil, sel, ail, clou de girofle ou autres chez la voisine du bas ou d’en face, sans avoir à se crever.
R.N.
14 juillet 2009
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