1.Un piano mythique (1re partie)

Histoires vraies
Un piano mythique (1re partie)

Ceci est l’histoire d’un piano qui sortait de l’ordinaire.
Il s’agit d’un piano du XVIIIe siècle, baroque, et surchargé d’un décor fleuri. Le son de ce piano était, disait-on,

si magnifique qu’on l’appelait la «harpe de David», et l’on expliquait cette merveilleuse sonorité par le fait qu’il aurait été construit avec du bois ayant servi à la construction du Temple de Jérusalem.
En tout cas, en 1917, un vieux juif russe, sur le point de mourir, à Jérusalem, confiait à son petit-fils la mission de retrouver la «harpe de David» qui, selon ce qu’il en savait, se trouvait en Italie, quelque part dans le palais romain du roi Victor-Emmanuel. Le petit-fils devait aller rendre visite au roi, et tenter d’apercevoir ce piano.
Le jeune homme, Avner Carmi, devient accordeur de pianos et travaille sur les instruments des plus grands interprètes, parmi lesquels Arthur Schnabel. Entre 1930 et 1940, il se trouve plusieurs fois en Italie et essaie d’accomplir le vœu de son grand-père. Il découvre que ce piano existe vraiment. Il connaît même ses auteurs : le facteur de piano Marchisio et le sculpteur sur bois Ferri pour le décor fleuri
Sa date de naissance : aux environs de 1800, à Turin. Après quelques décennies, la municipalité de Sienne a décidé d’offrir cet instrument au prince Umberto, futur Umberto 1er, à l’occasion de son mariage. Le piano était désormais au palais royal. Puis Mussolini a pris le pouvoir.
Pour le moment, le jeune Carmi ne parvient pas à pénétrer dans le palais royal. Il se heurte au barrage de l’administration mussolinienne. Bientôt, c’est la Seconde Guerre mondiale. Carmi s’est engagé dans l’armée britannique, et il sert sous Montgomery en Afrique du Nord.
Un jour, après une manœuvre de retraite effectuée par les troupes de Rommel, Carmi est chargé de rassembler les dépouilles laissées en arrière par l’ennemi germano-italien en fuite. Il tombe sur une caisse énorme : à l’intérieur, un piano, recouvert d’une couche de plâtre très épaisse. Le piano est entièrement ensablé. Il doit être brûlé avec tout un fatras militaire inutile. Mais Carmi, à l’idée de brûler un piano, sent monter un refus en lui. Aussi avec l’autorisation de son commandant, il se met à restaurer le piano ; et dès qu’on peut à nouveau en tirer quelques notes, cet instrument bizarre est confié à un groupe d’artistes de music-haIl britanniques, qui effectuent une tournée aux armées en Afrique du Nord et tout autour de la Méditerranée.
Carmi eut plusieurs fois l’occasion de croiser cette troupe ambulante et de revoir «son» piano de plâtre qui voyageait : en Sicile, puis à Naples… Ensuite il en perdit la trace.
Quelques années plus tard, il apprend que «son» piano a été abandonné, à Tel-Aviv. Nouvel avatar, car l’instrument tombe entre les mains d’un… apiculteur, qui projette de le transformer en ruche. «Véritable miel de piano», ce serait original sur une étiquette…
Mais l’apiculteur renonce et le cède à un éleveur de volaille, qui se met en tête d’en faire… une couveuse ! Ils manquaient vraiment de tout, dans les premiers kibboutzim (à suivre…)

D’après Pierre Bellemare