Histoires vraies
La côte de Jeanne (1re partie)
Nous sommes dans les dernières années du Second Empire. Le baron Haussmann a décidé de donner une nouvelle physionomie à la ville, d’abattre les maisons des quartiers sordides, les petites rues étroites, et d’établir à leur place des avenues droites
et larges qui présentent un double avantage : apporter la salubrité au cœur de la capitale et, en cas d’émeute ou de mouvement révolutionnaire, permettre à la troupe impériale de maîtriser les fauteurs de troubles qui, dans ces larges avenues, se trouveraient beaucoup plus exposés aux tirs des canons que dans les ruelles moyenâgeuses.
Il existe alors, rue Meslay, à l’extrémité nord de la rue du Temple, une très ancienne pharmacie, qui doit dater de plusieurs siècles. A présent, tout Paris parle des travaux du baron Haussmann : le pharmacien, M. Bourrières, sent qu’il va devoir changer d’adresse. Belle occasion de vider l’immeuble de beaucoup d’objets qui y dorment depuis trop longtemps. Y compris le grenier. Ah, les greniers d’autrefois ! Quelles cavernes d’Ali-Baba, à l’époque où antiquaires, brocanteurs et revues d’art n’avaient pas encore fait connaître aux propriétaires les trésors dont ils pouvaient, sans le savoir, être détenteurs.
Le pharmacien décide, un jour, d’aller explorer ses combles et de les vider de toutes leurs vieilleries poussiéreuses. Il est accompagné de son préparateur, le jeune Sylvain Noblet. Et là, dans un recoin, les deux hommes découvrent un «droguier», c’est-à-dire un bâti de bois, très ancien, qui contient toute une série de fioles de verre ou de métal, dans lesquelles un pharmacien mort depuis longtemps a entreposé des matières minérales, végétales ou animales, destinées à la confection de préparations magistrales.
«Mon bon maître, regardez ce droguier ancien. Je serais curieux de savoir ce que nos pères utilisaient pour les médications d’autrefois.
— Bah, sans doute les mêmes substances que nous…
— Accepteriez-vous de me donner ce droguier ?
— Comme bon te semble. Tous ces produits doivent être éventés depuis longtemps. Mais si tu n’as pas peur de renifler de la poussière…»
A l’époque, les pharmaciens ne décoraient pas leurs vitrines d’objets antiques attestant l’ancienneté de leur officine. Et le «potard», tout content, rentre chez lui avec le vieux, très vieux droguier.
Mais ses propres connaissances lui semblent insuffisantes pour identifier avec certitude les produits qui sont contenus dans les fioles. Il doit faire appel à un de ses anciens condisciples spécialisé dans la chimie.
«Il y a bien des inscriptions en latin sur chaque fiole. Mais elles sont indéchiffrables pour moi…
— Nous allons examiner tout cela. Quelques réactions chimiques, et nous en saurons davantage.»
Quelques jours plus tard, l’ami chimiste rend compte de ses découvertes. Comme le supposait le pharmacien, la plupart des substances contenues dans les fioles sont bien connues, et leur efficacité prête un peu à sourire, quand elles ne sont tout bonnement répugnantes : toiles d’araignée, bave de crapaud, etc.
«Regarde, dans cette fiole, on dirait qu’il ne s’agit pas d’un produit de la pharmacopée habituelle. J’ai attendu que nous soyons ensemble pour l’examiner de plus près.» (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
14 juillet 2009
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