La chasse aux sorcières (7e partie)
Par K. Noubi
Résumé de la 6e partie n Au premier procès des sorcières de Salem, l’esclave haïtienne, Tituba, reconnaît en être une et avoir charmé la fille du pasteur Parris.
Le gouverneur Phips étant parti faire la guerre, ce sont ses subalternes qui assurent l’intérim. On interroge ensuite les prétendues complices de Tituba, Sarah Good et Sarah Osborne. On commence par interroger la première. Le juge la bouscule.
— Nommez-vous !
— Je m’appelle Sarah Good…
— Dites-nous ce que vous faites, où vous habitez…
— Je n’ai pas de logement fixe !
— Vous êtes une vagabonde ! Dites-nous comment vous êtes arrivée à la sorcellerie ?
— Je suis vagabonde comme vous dites, mais je ne suis pas sorcière !
— Ces jeunes filles vous accusent !
— Elles racontent n’importe quoi !
— Tituba vous considère comme sa complice !
— Cette négresse raconte n’importe quoi !
— Et pourtant, c’est vous qui apparaissez dans les cauchemars de ces jeunes personnes innocentes !
— Ce n’est pas ma faute si ces filles me voient dans leurs rêves !
Vous persistez à nier vous être adonnée à la sorcellerie ?
— Oui, je le nie !
C’est ensuite au tour d’Osborne.
— Moi, non plus, je ne suis pas une sorcière !
— Vous aussi, vous avez été accusée !
— Je ne crois pas aux sorcières !
— Vous en êtes pourtant une. Parlez-nous un peu de votre vie privée…
— Tout le monde sait ce que je fais, je ne cache rien !
— Tout le monde sait que vous vivez dans le péché !
— Ce sont des fausses accusations !
— vous n’allez pas à l’église !
— Cela ne m’empêche pas d’être une bonne chrétienne !
— Dites plutôt que vous avez vendu votre âme au démon et que vous obéissez à ses injonctions !
— C’est faux ! c’est faux !
— Avouez que vous avez importuné ces jeunes filles !
— Je n’ai jamais fait de mal à personne. Tituba m’invitait à prendre un verre au presbytère, je les voyais et les amusais avec mes histoires… C’est tout !
— Des histoires obscènes ?
— Des histoires que j’inventais !
Le 7 mars 1692, le verdict est rendu : les trois femmes sont condamnées à mourir. On les envoie aussitôt à la prison de Boston, pour être de nouveau interrogées.
A Salem, malgré le départ des sorcières, on continue à se plaindre de maléfices. C’est que, Tituba et ses deux complices, ne sont pas les seules sorcières ! (à suivre…)
K. N.
10 juillet 2009 à 10 10 46 07467
LA SIGNIFICATION DES VACANCES SCOLAIRES
Il n’est pas question ici d’apporter une contribution
aux nombreuses études qui recherchent la meilleure utilisation
possible du temps libre des enfants, des adolescents
ou des adultes. Cette question des loisirs est
abondamment traitée car on se préoccupe non seulement
de la situation actuelle, mais surtout de l’avenir qui doit
voir s’accentuer le déséquilibre entre le temps consacré
au travail et le temps libre. Ainsi posé le problème
apparaît beaucoup trop lié à la conjoncture actuelle ou
à une visée prospective : dans les deux cas on allègue
l’urgence du problème pour proposer des solutions pratiques.
Il faut procéder de manière inverse.
Une étude en profondeur impose de se situer sur
un plan purement théorique. Le phénomène « vacances »
doit être étudié sous ses différents aspects, selon ses
différentes manifestations. Lorsqu’on répond par une
étude des loisirs à la question des vacances, on lie
deux concepts qui ne le sont pas naturellement. Les
vacances constituent un arrêt de l’activité laborieuse; en
elles-mêmes, elles n’impliquent pas un souci des activités
destinées à les meubler. C’est ce que traduit bien le sens
primitif du terme vacance. C’est « l’état d’une chose qui
n’est point remplie ou occupée », dit l’Encyclopédie
(p. 499, édition de 1778). Dans le même article une phrase
illustre l’emploi de deux termes voisins qu’il ne faut pas
confondre : « Les avocats vont à la campagne pendant
les vacations; les écoliers perdent leur temps pendant
les vacances. »
L•..
Notons en passant que cet exemple nous révèle un
aspect quelque peu négligé par la conception actuelle
des vacances : l’acceptation du temps perdu. Car un
temps bien rempli n’est pas toujours gagné : l’inverse est
quelquefois plus vrai’ Mais si les vacances apparaissent
comme un temps vide, à quelles nécessités peuvent-elles
bien correspondre.
Pour certains le caractère inéluctable de l’avènement
d’une civilisation des loisirs impose une reconsidération
des rythmes de travail. Mais si cela peut être vrai pour
l’adulte, est-il légitime d’agir sur les vacances scolaires
en vertu du même principe? L’interVention de considérations
économiques et sociales dans la fixation des
périodes de vacances se fait plus pressante et plus avouée
de nos jours. Cela implique ou une assimilation ou une
subordination de l’activité scolaire à l’activité économique,
ce qui peut être critiqué. Ce qui frappe dans les ouvrages
actuels ou les discussions qui ont trait aux vacances,
c’est que les considérations de pédagogie et psychologie
de l’enfant n’interviennent pas. Le manque d’études précises
sur ce sujet n’est qu’en partie responsable de cet
oubli qui, selon la thèse freudienne, est très révélateur.
Une réaction contre ce courant technocratique s’impose :
il faut entreprendre des recherches psychologiques et
pédagogiques sur la nature de la formation scolaire et
sur l’influence des vacances, afin de combler une lacune.
Les distinctions établies par Alain entre le travail, l’école,
le jeu doivent nous guider dans cette contestation du
rôle exclusif accordé aux aspects sociaux du loisir. La
réflexion du pédagogue doit se prolonger par la recherche
expérimentale du psychologue.
Mais un autre type de recherche peut nous apporter
des éléments de base pour une étude des vacances. Il
s’agit de la recherche historique. D’une part le recensement
des textes administratifs sur ce sujet révèle une
augmentation de leur fréquence. Il est intéressant d’en
chercher l’explication : institutionnalisation, actualité du
problème liée aux transformations sociales. L’augmentation
parallèle de la durée des congés ne doit pas seulement
être admise comme un fait brut, impressionnant. Son 1
interprétation peut nous fournir certaines justifications des ~
vacances autres que celles qui sont mises en avant
actuellement et nous permettre ainsi d’élargir notre
horizon. D’autre part l’étude historique des origines et
de l’évolution des vacances nous fournit les raisons avancées
par ceux qui les accordaient. Ces raisons ont varié
selon les époques et les conceptions de l’éducation. Par
le biais de ces interruptions de la formation scolaire c’est
la nature même de cette influence qui nous est révélée
comme par un négatif. Ainsi la durée réduite des vacances
dans les collèges des Jésuites met en évidence, tout
autant que leurs méthodes pédagogiques, leur souci d’une
formation en profondeur. Si la pratique des vacances est
aussi vieille que ceIfe de l’école, une étude historique doit
45
,
,
nous livrer ses motifs profonds quelque peu négligés
aujourd’hui. De plus apparaissent les traditions qui pèsent
sur le système actuel et rendent difficile, sinon dangereux,
le bouleversement des rythmes scolaires. Ces traditions
sont loin d’être arbitraires, elles révèlent souvent une
profonde connaissance de l’élève et de l’école que l’on
a tendance à dédaigner de nos jours.
Sur quels documents peut s’appuyer une telle
recherche?
D’abord sur les textes réglementaires depuis ceux
des réformateurs pontificaux de l’Université de Paris jusqu’aux
arrêtés que nous connaissons actuellement. Mais
si ces textes sont précis en ce qui concerne les dates,
ils ne font guère état des raisons qui les motivent. Ensuite
sur les ouvrages de caractère historique consacrés à
l’enfance, à la vie familiale ou à la vie scolaire. Dans ce
cas le chapitre consacré aux vacances est extrêmement
réduit comme si cet aspect négatif de la scolarisation ne
valait pas la peine qu’on s’y arrête. La correspondance
de tout genre due à des parents, des enseignants, des
administrateurs, et rencontrée dans les archives publiques
ou privées, nous a apporté des témoignages à la fois
plus vivants et plus détaillés. Toutes ces sources nous
ont permis de reconsidérer les termes de ce qu’on peut
véritablement appeler le problème des vacances scolaires.
Elles nous montrent combien est restreinte la justification
actuelle d’une promotion des loisirs. Elles suggèrent la
question fondamentale : à quelles nécessités répondent
ces vacances? Et les éléments de réponse qu’elles
apportent laissent apparaître une intrication des motifs
qui permet d’écarter toute argumentation sommaire. En
tout cas on y trouve confirmation du fait qu’il ne s’agit
pas d’un aspect mineur de la philosophie de l’éducation.
Ce temps libre dont on affecte de ne pas parler, que l’on
ne fait connaître que par ses dates, n’est jamais un temps
vide. Il révèle ses contenus sur d’autres plans, ceux de
la correspondance, du roman ou du journal intime. Il a
toujours une influence sur laquelle on a peu d’informations
et qui appelle une étude expérimentale, aboutissement
logique des recherches théoriques.
Comment exposer les raisons données aux différentes
époques de l’histoire de l’enseignement pour
accorder des vacances, en augmenter ou en diminuer la
durée? L’ordre chronologique est à écarter car certains
motifs qui passent au second plan ne disparaissent pas
pour autant. Si le phénomène des vacances subsiste
c’est qu’il répond à des nécessités profondes qui restent
toujours valables. Ce sont elles qui permettent un classement
des informations recueillies aux sources historiques.
Pour en opérer la synthèse il faut circonscrire les conditions
du phénomène. Il y a d’abord les protagonistes de
cette « activité » : écoliers, maîtres, parents. Leur rôle
respectif se définit par la reconnaissance d’une distinction
entre l’enfant et l’adulte qui accompagne ce que
46
1
Ph. Aries a appelé le sentiment de l’enfance (cf. « L’enfant
et la vie familiale sous l’ancien régime »). L’idée d’unê
spécificité de l’enfance sert de base à l’institution pédagogique
qui se matérialise par des fonctions, des locaux,
des règlements. Enfin la Cité avec sa vie religieuse,
politique, sociale et, au-delà, le milieu naturel, servent de
cadre à cette alternance séculaire d’activité scolaire el
de vacances. Chacun de ces éléments apparaît au cours
de l’histoire de l’éducation comme une justification non
seulement de l’activité scolaire mais encore de son arrêt.
Cependant la considération toujours absente est celle de
l’intérêt de l’écolier. Pour cette raison nous l’examinerons
en dernier lieu bien qu’elle soit primordiale. L’influence
du milieu naturel est peut-être celle qui joue de la façon
la plus ancienne et c’est pourquoi nous l’aborderons en
premier. Le rôle des croyances religieuses est essentiel
dans la fixation des jours de congé et nous considérerons
en même temps celui des évènements politiques car ce
sont deux composantes parallèles de la vie de la cité.
Ceci nous amènera à étudier le phénomène extrêmement
intéressant des jours de congé exceptionnels. Nous
verrons aussi comment les nécessités de l’organisation
scolaire entrent en jeu. Enfin nous reviendrons sur le
thème des loisirs dans ses rapports avec la nature et la
durée des vacances.
Les vacances semblent à l’origine liées à l’époque
des vendanges. Dès le XIII » siècle un mois de congé est
prévu à cet effet même s’il est facultatif. Il faut plus qu’une
tradition tenace pour expliquer qu’à la fin du XIX· siècle
le Conseil départemental de la Gironde propose des dates
de vacances particulières pour la campagne afin de tenir
compte de ces activités agricoles (1). Les exigences du
milieu ont été les premières à jouer et de façon continue.
Cette constatation nous permet de mieux situer l’activité
scolaire. Celle-ci n’est pas destinée à l’origine aux
enfants mais à des jeunes gens, voire même des adultes,
ce qui accuse son caraclère de recherche d’un savoir
théorique. Mais s’il s’agit là d’une activité typiquement
humaine, faut-il, pour qu’elle puisse s’exercer pleinement,
que les problèmes de subsistance aient été dominés. Le
recul que prend, vis-à-vis des activités nourricières,
l’homme qui se tourne vers le savoir théorique, ne signifie
pas abandon mais possibilité de reprise en temps voulu,
en particulier au moment des récoltes. La durée de cette
période est sans aucun doute responsable de ce qu’on
appellera plus tard, mais bien avant que n’intervienne la
notion de loisir, les « grandes vacances « . Ceci est corroboré
par le fait que le congé accordé à Noël et à Pâques
n’est pas étendu mais se réduit aux jours de fête religieuse
et cela pendant très longtemps.
Donc dès l’origine de l’institution scolaire au sens
large, c’est-à-dire permettant l’acquisition d’un savoir à
(1) Arch. dép., 15 TI, 1892.
travers une forme particulière d’enseignement, une interruption
est ménagée pour permettre un retour aux activités
primaires, premières et fondamentales. Et cela non seulement
pour recueillir l’apport du travail des « écoliers »,
mais aussi en vue d’un retour au sein du monde du
travail. Ceci est surtout vrai lorsque l’enseignement, sous
sa forme scolaire, est étendu à l’enfance, en raison d’une
prise de conscience de la particularité de cet état qui
réclame une protection, une « enceinte » (2). Une telle
formation nécessite dans un premier temps une coupure
avec le monde. Il n’est pour s’en convaincre que de
considérer les revendications du courant dit de « l’Ecole
Nouvelle ». Ce danger est né dès qu’a été abandonné la
formation au sein de la famille et du monde qui était liée
à une non reconnaissance de la spécificité de l’enfance.
Cette coupure s’aggrave encore avec la révolution industrielle,
l’ascension de la bourgeoisie, la prolongation des
études. Aussi la nécessité reconnue d’une interruption des
études théoriques pour une formation par la « praxis »
apparaît-elle dans le système adopté par les régimes
socialistes.
L’idée d’une formation théorique dans le cadre de
« l’enceinte » scolaire ne parvient donc pas à réaliser
une coupure parfaite avec « le monde » tel qu’il va. Les
nécessités imposées par l’adaptation au milieu ouvrent dès
l’origine une brèche importante dans le système scolaire.
Si l’institution pédagogique vise à constituer une enceinte,
elle est prise par ailleurs dans un autre contexte, celui
de la cité. Les pratiques religieuses qui en sont un aspect
fondamental, au moyen âge par exemple, imposent des
interruptions de l’activité scolaire. Ces pratiques pourraient
certes s’effectuer à l’intérieur de l’enceinte, ce
qu’elles font d’ailleurs partiellement, mais là encore
existe un danger de coupure qui porte en germe des
bouleversements. La notion d’école comporte peut-être
l’idée d’une régénération si l’on va au fond des choses,
mais elle ne peut l’imposer dans les faits sans détruire
le type de société qui la promeut. Sous l’ancien régime
les fêtes religieuses réalisent une unité, c’est pourquoi
elles impliquent une interruption de toutes les activités
singulières. Cela permet de leur donner un relief particulier
et une signification élevée : l’interruption des activités
vitales est à la fois une offrande, une marque de
confiance, une prière à la divinité. Mais réciproquement
c’est une manifestation de la puissance de cette divinité
et de son clergé. Celui-ci déplore – dès le moyen âge que
la signification religieuse disparaisse et qu’il ne reste
plus que l’aubaine d’un jour chômé, et pas seulement
pour les écoliers! Avec l’allongement des vacances les
jours de congé se concentreront autour de ces fêtes
religieuses. Là encore il n’est guère tenu compte des
motifs proprement scolaires; et lorsqu’on voudra le faire,
(2) J. Chateau. _ La culture générale, p. 60.
de nos jours, on se heurtera au problème des fêtes mobiles.
Le contexte politique a une influence assez comparable
sur l’activité scolaire. Du reste la Révolution française
voit s’effectuer une substitution des cérémonies
patriotiques aux fêtes religieuses. Nous recueillons actuellement
l’héritage des deux systèmes. Les jours de fêtes
légales se traduisent automatiquement par un congé.
Même s’il n’en a pas toujours été ainsi, la participation
des écoles aux cérémonies entraÎnait une perturbation
des enseignements. On pourrait tout aussi bien fêter certains
événements non par une cessation mais par une
orientation particulière des activités scolaires. En fait
c’est une sorte d’attitude morale relâchée qui prévaut :
la plus belle manière de fêter un événement consisterait
à donner licence à chacun de négliger ses « devoirs » 1
A travers cette coutume apparaît l’essence même de la
formation scolaire : plus qu’à l’acquisition de connaissances
elle vise à une contrainte éducative. Un événement
important est celui qui lève ces contraintes mais inversement
un moyen de créer des événements Importants nous
est fourni. C’est ainsi qu’à l’origine ce caractère était
donné aux fêtes religieuses ou aux cérémonies patriotiques
mais Il s’estompe avec le temps et la répétition. Le
jour de congé exceptionnel relève de cette Interprétation
et fait apparaître clairement la nature du procédé.
En voici un exemple frappant. Le 20 novembre 1873
un télégramme du ministère de l’Instruction publique
avertit les préfets qu’ « à l’occasion du vote de l’Assemblée
sur la prorogation des pouvoirs du président de la République
tous les cours vaqueront le lundi 24 novembre
dans tous les établissements d’enseignement primaire ».
Le 22 novembre le préfet de la Gironde (3) fait connattre
cette décision à l’inspecteur d’Académie et avertit les
maires qu’ « en présence de la solution heureuse que
l’Assemblée nationale vient de donner à la question de
la prorogation des pouvoirs de M. le Maréchal Président
de la République » un jour de congé est accordé aux
écoliers. Ainsi ce sont uniquement des considérations
politiques qui imposent une modification du régime d’enseignement
: les services académiques sont invités seulement
à assurer l’application de cette mesure. Mais
cette affaire est extrêmement intéressante car elle a des
développements ultérieurs. Le 1er décembre la préfecture
adresse de nombreuses lettres de rappel aux maires
« qui n’ont pas encore fait connaÎtre les mesures prises»
« en exécution des instructions données ». Sans doute
des résistances à de telles mesures existaient-elles car
des maires ont été inquiétés à cette occasion. Parmi les
lettres de justification envoyées en réponse on peut en
relever douze qui indiquent l’absence d’école dans la
commune, ce qui a pour effet « d’appeler l’attention des
autorités sur la situation de ces communes au point de
(3) Arch. dép.
47
vue du service scolaire ». De toute évidence cet intérêt
pour l’école obéit à des motifs uniquement politiques. On
aura une idée de l’importance accordée à l’enseignement
si l’on considère qu’un maire a pu répondre par erreur
qu’il n’y avait pas d’école dans sa commune!
Ainsi dans l’attribution d’un jour de vacance aucune
attention n’est accordée aux aspects pédagogiques et
psychologiques. C’est, nous l’avons vu, un moyen d’attribuer
de l’importance à un événement. A une époque où
les techniques d’information n’étaient guère développées
ce procédé permettait de toucher des millions de personnes
même dans les campagnes. C’est un instrument
de propagande. Il n’est pas sûr que cette signification
cachée des vacances ait cessé d’exister. L’action exercée
sur l’écolier dans ses activités scolaires, et extra-scolaires
surtout, est un moyen d’atteindre les parents utilisés
par les techniciens de la publicité.
Nous serons amené à nous demander plus loin si la
liaison établie entre les notions de loisirs et de vacance
n’est pas influencée de façon occulte par des considérations
de ce genre.
Mais avant d’envisager une formulation très actuelle
de la signification des vacances il nous faut faire une
place à des facteurs constitutifs et indispensables de
l’activité scolaire. L’enceinte destinée à instaurer un type
de formation autre que celui de la famille se matérialise
d’abord par une école. Les périodes d’essor de la
scolarisation se traduisent par une consécration de locaux
à cet usage exclusif ainsi qu’on le voit pour l’enseignement
secondaire sous l’influence des Jésuites et pour
l’enseignement primaire sous celle de Jules Ferry. L’absence
de local crée une vacance qui, dira-t-on, est
exceptionnelle, mais qu’on rencontre en fait à toutes les
époques. Les problèmes de construction, de réfection
sont ceux qui donnent naissance à la correspondance la
plus abondante et aux dossiers d’archives les plus fournis.
Les instances politiques évaluent l’effort fait par référence
à cet aspect et l’on voit alors les services d’enseignement
agir pour hâter les travaux et rétablir l’activité scolaire.
la présence de maîtres est non moins indispensable à
cette activité. Alors que la nécessité de celle-ci est
reconnue on voit certaines époques et certains lieux
subir le phénomène de vacance prolongé à l’état endémique.
Cela a été le cas en France avant la création
d’un corps de remplaçants, mesure qui dénote une prise
en considération assez nouvelle de l’intérêt de l’écolier.
Le problème n’est d’ailleurs pas réglé pour autant : une
étude expérimentale faite à Bordeaux montre les répercussions
du changement de maître sur le travail scolaire.
Ainsi les nécess!tés de l’organisation scolaire (locaux,
personnel, mutaltons, examens) sont une justification
profonde des vacances dont on ne saurait faire abstraction
lorsqu’on tente une formulation plus nouvelle du
problème en termes de loisir.
48
Les « grandes vacances » existaient bien avant que
l’étude des loisirs soit mise à l’ordre du jour. Un glissement
discutable s’effectue du travail adulte à l’activité
scolaire lorsqu’on envisage le problème des vacances
sous cet angle. Le péril à conjurer serait celui de l’inactivité
dans une civilisation où le progrès technique réduit
de façon massive et accélérée le temps de travail. Dans
un tel contexte il est urgent de prévoir des activités de
remplacement et d’y former ceux qui en bénéficieront.
Ce phénomène ne touche en fait que la population
adulte car rien ne laisse à penser que le progrès technIque
entraîne une réduction du travail scolaire. Bien que
le nombre d’années d’études s’accroisse de façon importante
le surmenage scolaire est constamment dénoncé.
Le phénomène est donc inverse. Cependant la promotion
des loisirs a des répercussions sur la scolarisation.
D’abord parce qu’on refuse d’étendre à la période des
vacances cette séparation de l’enfant et des parents
que réalise la scolarité, même dans les cas les plus
favorables à l’unité familiale. Tendance qui s’accuse pourtant
avec l’extension des colonies de vacances. Ensuite
parce que certains phénomènes qui dérivent de la généralisation
des loisirs à des masses humaines de plus en
plus considérables doivent être pris en compte lors de la
fixation des vacances scolaires. Ainsi l’engorgement des
voies de communication ou des lieux de séjour. Paradoxalement
ce sont donc des considérations tout à fait
étrangères à l’éducation qui apparaissent comme prépondérantes
dans l’établissement des rythmes de cette éducation.
C’est pourquoi il sera nécessaire de ramener au
premier plan des impératifs proprement éducatifs après
une recherche de l’influence des vacances sur les écoliers.
Si l’accent est mis actuellement sur l’importance des
loisirs c’est que seul l’aspect positif des vacances est
envisagé. Les arguments invoqués en faveur d’une promotion
des loisirs ne sont d’ailleurs pas sans poids. Car
la civilisation technicienne se traduit par une déshumanisation
du monde du travail, si elle apporte une amélioration
des conditions de vie. On assiste à un renversement
de perspective : les loisirs qui à l’origine étaient
créés pour meubler le vide des vacances exercent à leur
tour une influence sur la durée de ces vacances. En
effet pour être à la fois éducatif et réparateur le loisir
ne doit pas se restreindre à un moment fugitif d’arrêt du
travail : il doit consister en une rupture marquée. L’accroissement
de durée de ces interruptions de l’activité
commune, dans le domaine scolaire comme dans celui
du travail, se justifie aussi par un souci démocratique
d’égalité vis-à-vis du droit au loisir. A l’inverse de ce qui
se passait à l’origine, les loisirs créent pour ainsi dire
des vacances. Nous en trouvons un exemple particulièrement
net dans le domaine des colonies de vacances.
Elles étaient destinées au début à meubler les vacances
d’une minorité d’enfants défavorisés. Maintenant la durée
des vacances d’été doit permettre l’organisation de trois
séjours en colonies de vacances ainsi que le rappelle
la motion du bureau national du Syndicat national des
instituteurs du 6 mars 1963.
Ceci nous amène à parler de la nature de ces
loisirs qui constituent actuellement la justification essentielle
des vacances. Car on ne peut mener une étude
sur les vacances si l’on fait abstraction de leur contenu.
D’un point de vue pédagogique une période d’arrêt prolongé
des activités scolaires ne peut manquer d’avoir
une influence sur la formation éducative qui est le but
même de l’école. Cet aspect qui semble capital n’est
pour ainsi dire presque jamais abordé, aussi ne pouvonsnous
faire état que de conjectures. On est en droit de
penser que les activités éducatives, qui sont maintenant
pratiquées en colonie de vacances, ont une influence
bénéfique sur le rétablissement du niveau scolaire à la
rentrée. Mais peut-on affirmer que la promotion des
loisirs, qui influe sur la durée des vacances, comme nous
l’avons vu, a toujours des conséquences aussi heureuses?
Que penser des loisirs à grande dépense d’énergie et de
matériel dont le choix est influencé par une publicité
puissamment orchestrée? De nombreux articles de revues
qui proposent une réorganisation de l’année scolaire
s’appuient sur une critique hâtive du système antérieur.
Mais ne prêtent-ils pas le flanc à une semblable critique
dans la mesure où ils font, avec complaisance, une très
large place à certains types de loisirs dont la vogue
actuelle n’est peut-être pas étrangère à de gros intérêts
financiers (sports d’hiver, tourisme, etc…)?
Dans notre recherche des motifs allégués pour justifier
les vacances, nous n’en avons guère trouvé jusquelà
qui prennent exclusivement en considération l’intérêt
de celui pour qui est créée l’activité scolaire. La prise
de conscience de l’aspect négatif des vacances, de la
perturbation causée par leur prolongement est un premier
pas dans ce sens. Mais le problème n’est jamais abordé
directement, en .se demandant quel type de vacances est
nécessaire à l’écolier ou à l’étudiant. En elles-mêmes les
Vacances ne sont pas un remède au surmenage, elles
contribueraient plutôt à le créer. La recherche d’une
alternance d’activités différentes, destinée à apporter un
regain d’intérêt, a des bases psychologiques plus solides.
La liaison originelle de l’école et des vacances traduit
un rythme fondamental qui oppose un type d’activité et
sa cessation. Certaines tendances pédagogiques nouvelles
voudraient nier, dépasser cette opposition. Une interruption
de l’activité scolaire pourrait être rendue inutile par
un changement de nature de cette activité. Le loisir
masquerait le travail comme dans les classes de neige
par exemple.
Si la pédagogie de l’intérêt représente un idéal qu’on
souhaiterait voir se réaliser, on ne doit pas pour autant
renoncer à l’étude expérimentale de ses applications. Il
est nécessaire de comparer les résultats obtenus par les
élèves à toute une série d’épreuves administrées avant
et après une expérience pédagogique. Ces épreuves ne
doivent pas seulement être de nature scolaire, de manière
à apprécier des acquisitions ou des détériorations, mais
aussi de nature psychologique et s’appliquer aux attitudes
profondes. Or il n’est pas sOr que l’effacement de cette
coupure qu’Alain voulait très nette entre le travail et le
loisir ait une influence bénéfique sur les attitudes d’ordre,
d’obéissance comme de ma1trise de soi, de concentration,
qui sont requises par une éducation véritable.
Si l’étude du passé nous a révélé différentes justifications
des vacances, parfois assez étrangères à la
considération de l’intérêt de l’enfant, il n’est pas sOr que
la manière actuelle d’aborder le problème sous l’angle
des loisirs ne soit pas justiciable du même type de critique
historique. Chercher comment meubler d’activités
éducatives le temps libre et comment le répartir pour
concilier les exigences supposées de l’enfant et de
l’adulte est une action qui dépend trop du contexte d’une
économie, d’une civilisation. Certes il existe alors un
certain intérêt pour l’enfant, mais seulement dérivé puisqu’on
vise plutôt l’adulte actuel dont il dépend ou l’adulte
qu’il deviendra. A parler de réalisations comme les colonies
de vacances, qui permettent de rendre éducatif un temps
considéré comme perdu, on remet en cause, non seulement
des méthodes, mais encore ce qui fait l’essence
même de la « discipline» scolaire (au sens large). Dans
une telle situation, sans adopter une attitude conservatrice
intransigeante, il faut s’astreindre, avant tout bouleversement
du système antérieur, à une étude de la nature
de l’activité scolaire, de ses apports espérés et effectifs
et des influences exercées par ses modulations (arrêts,
changements de rythme ou de type d’activité).
Ainsi posé le problème des vacances ne se réduit
pas à un aspect négatif qu’on n’aborde guère parce qu’il ~,.
semble évident. Il figure en bonne place dans une étude ..
en profondeur de l’action éducative. Il traduit des néces- .
sités profondes dont une attitude réformiste moderne a
tendance à faire abstraction sans pour autant les faire
disparaître. Tout système éducatif doit prendre position
sur cette question des vacances et l’étude de la solution
adoptée nous conduit à l’essence même du système, que
cette solution soit l’acceptation, la restriction et l’aménagement
ou même la négation. A partir de là s’ébauche
une étude de pédagogie comparée particulièrement riche
qui consiste à confronter, sur ce point particulier, les
différents systèmes réalisés selon les lieux et selon les
époques, et à tenter une explication qui tienne compte
de ces deux facteurs fondamentaux: l’espace et le temps.
Henri BOlRAUD,
assistant à la Faculté des Lettres de Bordeaux.