De l’inconvénient d’etre né
Publié le : juin 06, 2007
Sous forme de fragments, Cioran nous livre d’impitoyables vérités concernant la malheureuse condition humaine : absurdité, non-sens… Les plaintes de cet ouvrage peuvent paraître vaines ; elles sont pourtant aussi lucides que réalistes. Et Cioran a ce don inégalable de teinter ses aphorismes dramatiques d’une
ironie cynique dont il a le secret. Un sens inné de la formule de la désillusion.
« Il est incroyable que la perspective d’avoir un biographen’ait jamais fait renoncer personne à avoir une vie. »
Cioran nait d’un père prêtre orthodoxe et d’une mère athée. Après quelques années de vie heureuse à Rasinari, petit village de Transylvanie alors sous domination austro-hongroise, Cioran est traumatisé par un déménagement vers la ville roumaine de Sibiu. Ce choc, ainsi que les relations difficiles avec sa mère et les nombreuses insomnies dont il souffre durant sa jeunesse façonnent rapidement sa vision pessimiste du monde et lui font penser au suicide.
Il fait ses études de philosophie à l’Université de Bucarest dès l’âge de 17 ans. Ses premiers travaux concernent Kant, Schopenhauer et, particulièrement, Nietzsche. Il obtient sa licence en 1932, après voir terminé une thèse sur Henri Bergson, dont Cioran rejettera plus tard la philosophie, qu‘il jugera n’avoir pas compris la tragédie de la vie. En 1933, il va à Université de Berlin.
À 22 ans, il publie Sur les cimes du désespoir, son premier ouvrage, avec lequel il inscrit, malgré son jeune âge, son nom au panthéon des grands écrivains roumains. Après deux années de formation à Berlin, il rentre en Roumanie, où il devient professeur de philosophie au lycée Andrei-Saguna de Brasov pendant l’année scolaire 1936-1937. Dans son pays d’origine, Cioran côtoya brièvement, en compagnie de Mircéa Eliade, des membres du mouvement fasciste et antisémite de la Garde de fer.
En 1937, son troisième ouvrage, Des larmes et des saints, fait scandale dans son pays. Cioran s’installe alors à Paris pendant l’occupation, grâce à une bourse, afin d’y terminer sa thèse sur le philosophe Bergson. Il abandonne alors toute idéologie pour se consacrer à l’écriture. Il est fortement influencé par la philosophie nihiliste, en particulier Schopenhauer et Spengler, mais également par Nietzsche.
Ces influences et son passé conduisent naturellement Cioran à détruire, à travers ses ouvrages, toute idéologie. Refusant les honneurs, il décline entre autres le prix Morand décerné par l’Académie française. Son œuvre, essentiellement composée de recueils d’aphorismes, marquée par l’ascétisme et l’humour, connait un succès grandissant ; en retour, il préserve un rapport ambivalent au « succès » : « J’ai connu toutes les formes de déchéance, y compris le succès. »
Les communistes qui ont pris le pouvoir en Roumanie après la Seconde Guerre mondiale ayant interdit ses livres, il restera à Paris jusqu’à la fin de son existence, vivant assez pauvrement, rédigeant dorénavant ses ouvrages en français, tout en traduisant par ailleurs les poèmes de Stéphane Mallarmé en roumain. Il y est entouré par des penseurs et des écrivains tels que Eugène Ionesco, Mircea Eliade, Samuel Beckett, Henri Michaux ou Gabriel Marcel, et par quelques lecteurs fanatiques mais peu nombreux.
Après la guerre, il écrit toute une partie de son œuvre en français, abandonnant totalement sa langue maternelle, le roumain : « En français, on ne devient pas fou », sous-entendu pour un non-Français en raison de la syntaxe particulière de la langue.
L’œuvre de Cioran, ironique et apocalyptique, est marquée au sceau du pessimisme, du scepticisme et de la désillusion. En 1973, Cioran publie son œuvre la plus marquante : De l’inconvénient d’être né. En 1987, il publie son ultime ouvrage, Aveux et anathèmes, avant de mourir, huit annéesp;La malhonnêteté d’un penseur se reconnaît à la somme d’idées précises qu’il avance. »
L’œuvre de Cioran comporte des recueils d’aphorismes, ironiques, sceptiques et percutants, tel De l’inconvénient d’être né, qui forment ses œuvres les plus connues, mais on peut aussi y trouver des textes plus longs et plus détaillés. D’une façon générale l’œuvre de Cioran est marquée par son refus de tout système philosophique. Son scepticisme est probablement son caractère le plus marquant, bien plus que son pessimisme. Il est d’ailleurs à noter que Cioran, dont les écrits sont assez sombres, était un homme de très bonne compagnie, plutôt gai. Il disait lui-même qu’il avait passé sa vie à recommander le suicide par écrit et à le déconseiller par oral, car dans le premier cas cela relevait du monde des idées alors que dans le second il avait un être de chair et de sang en face de lui.
On ne peut cependant pas accuser Cioran d’avoir pris dans ses écrits une « pose » de désespoir. Il semble qu’il était profondément triste de ne pas pouvoir établir de système qui donnerait un sens à sa vie, alors même que dans sa jeunesse il avait été extrêmement passionné (cf. les Cimes du désespoir).
Son désespoir n’est pas feint mais il est exclusivement philosophique et lié à cette impossibilité à comprendre le monde et l’Homme, ou peut-être de l’avoir trop bien compris.
3 juillet 2009
1.Lu pour vous