Histoires vraies
Coïncidences (2e partie)
Résumé de la 1re partie n Grégoire T., en sortant de chez lui, est accosté par une inconnue qui lui demande si en 1923, il n’avait pas acheté une bible grecque. Sa réponse est positive, mais comment l’a-t-elle reconnu ?
L’inconnue s’éloigne en promettant :
— Comptez sur moi, dès la semaine prochaine je vous appelle et nous prendrons rendez-vous.
Puis elle disparaît au tournant de la rue.
Pendant cet échange très court, Victorien M., le vieil ami philosophe, arrive à côté de Grégoire qui l’aide à franchir le seuil de l’immeuble :
— Mon cher Victorien, il va vous falloir un peu de souffle. Vous savez que j’habite au quatrième étage, sans ascenseur.
— Mais mon cher Grégoire, malgré mon grand âge, je ne suis pas encore tout à fait mort. Vous verrez que vos quatre étages ne me font pas peur. Nous mettrons le temps qu’il faut.
Et les deux vieux amis s’engagent dans la montée des marches. Une fois arrivés dans le confortable appartement de Grégoire, après avoir repris son souffle, ce dernier dit :
— Mon cher Victorien, vous qui explorez les confins du visible et de l’invisible, du sacré et du profane depuis des dizaines d’années, laissez-moi vous raconter l’incident stupéfiant qui vient d’avoir lieu.
Quelques minutes plus tard, Grégoire a tout raconté de cette incroyable coïncidence, de cette conjonction fantastique entre la bible grecque offerte, la visite de Victorien et la rencontre, à la seconde près, avec cette inconnue qui passe sur le boulevard :
— N’est-ce pas inconcevable ?
Le simple fait qu’elle soit la détentrice de cette bible, le fait qu’elle soit en mesure de me reconnaître ? Je ne suis pas à ce point un homme public. On ne me voit que sur la couverture de mes livres.
Ou bien, furtivement, lors des séances de l’Académie française. Qu’en pensez-vous ?
Victorien pousse un soupir :
— Vous devez vous demander comment j’ai pu me séparer d’un si précieux cadeau venant de vous. Je ne l’ai pas égarée. Je ne l’ai pas vendue. Jamais je n’aurais fait une chose pareille. Elle était là, en permanence et bien en évidence sur mon bureau, à portée de ma main. Mais j’ai dû quitter Paris très précipitamment en 1942. Et puis… vous connaissez la suite…
La suite est en effet connue de Grégoire. La guerre, les vexations dont Victorien a été l’objet. Sa fuite aux Etats-Unis. Sa demeure pillée sans vergogne, ses collections, sa bibliothèque mises à sac. Grégoire avance :
— C’est sans doute quand la Milice est venue tout saccager que la petite bible grecque a disparu. Elle a sans doute tenté un de ces vandales, plus cultivé que les autres.
Victorien soupire :
— Oh ! Il n’y avait pas que des brutes incultes parmi eux…
Après le départ de son vieil ami Victorien, Grégoire passe plusieurs jours dans une sorte d’angoisse. Comment est-il possible que cette petite bible qui était complètement sortie de son esprit redevienne si présente ? Grégoire sent qu’il faut absolument qu’il la récupère. Il ne se dit d’ailleurs même pas : «Elle appartient à Victorien. Je la lui ai offerte il y a quarante ans. Elle n’est plus à moi. Comme dit la sagesse populaire : reprendre ce qui est donné, c’est voler.» Non, il piaffe d’impatience dans l’attente du retour problématique de «sa» petite bible reliée en maroquin. Comme s’il attendait le retour de quelque enfant prodigue : «Et si l’inconnue n’allait plus se manifester ? Et s’il lui arrivait quelque chose. Ou simplement si elle était du genre à oublier sa promesse ?» (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
1 juillet 2009
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