Le marabout et les chaumières (1re partie)
Il existe en Kabylie, près de Port-Gueydon (Azeffoun actuellement), un village du nom d’Issoumatène, au bord de l’oued M’lita.
Il a été fondé par un grand marabout : Issoumat, qui, parcourant le pays pour y visiter ses khouan et pour enseigner le Coran aux enfants, avait trouvé entre mer et montagne, ce lieu doté d’un beau panorama, agréable à vivre et propre au recueillement et à la prière. Il y avait construit une chaumière en branchages recouverts de diss (herbe longue séchée).
Bientôt l’y rejoignirent divers membres de sa famille avec leurs femmes et leurs enfants. La mer était particulièrement poissonneuse, la forêt riche en gibier et les arbres de tous les côtés offraient leurs fruits. Ils y installèrent donc leurs demeures. Ainsi naquit le village maraboutique des Issoumatène, où le patriarche avait donné une règle absolue d’urbanisme pieux : obligation de vivre en chaumière recouverte de diss. Etait-ce en esprit de pauvreté devant le spectacle grandiose offert chaque jour dans la nature par le Maître du Monde ? Ou en esprit d’humilité et de simplicité renonçant à tout matériau façonné de mains d’hommes pour ne s’abriter qu’avec des plantes fournies par le Créateur ? Ou tout simplement pour que rien ne distingue ces branchages des touffes de diss, de lentisques, d’arbousiers qui, parmi les oliviers, les figuiers et les grenadiers, accompagnaient la colline jusqu’à son rivage d’azur dans un site agreste enchanteur ?
Toutefois, lorsque l’agglomération eut son existence propre, des gens des montagnes environnantes, qui vinrent s’y installer, n’avaient pas les mêmes titres religieux ni le droit à l’appellation : «Si», qui caractérise la noblesse.
Ces Kabyles, en revanche, avaient la prétention — malgré la volonté du marabout de construire leur logis, non pas d’une façon primitive, mais en murs de pierre recouverts de tuiles comme c’est la coutume dans toute cette région. Le village voisin d’Aïn Trouna, sur la route de Tigzirt, fabriquait en effet de belles tuiles rondes d’un modèle semblable aux vieilles tuiles romaines.
La première maison de pierre en ce hameau de chaumières n’était pas encore habitée que, le lendemain de la pose des tuiles, son propriétaire la trouvait pulvérisée par un ouragan qui avait emporté toute la toiture.
En dépit de cet avertissement, d’autres Kabyles de l’extérieur voulurent tenter une expérience semblable : à chaque fois, un cataclysme imprévu venait anéantir les contrevenants : grêlons gros comme des œufs qui cassaient les tuiles, bourrasques qui les emportaient, inondations qui renversaient les maisons, etc. (à suivre…)
Tiré des Contes mystérieux d’Afrique du Nord de Jeanne Scelles-Millie
1 juillet 2009
1.Contes