Le café… et le lait (1re partie)
Il était une fois un Roi très équitable, très bon, aimant profondément ses sujets et si soucieux de bannir de son pays toute iniquité, qu’il se rendait lui-même, à travers monts et vallées, auprès de chaque tribu pour rendre, en personne, la justice.
Ce monarque était simple et modeste. Ses déplacements se faisaient sans apparat : quelques gardes du corps, son cuisinier et son préposé au café (cahouadji). Le Roi s’asseyait souvent au pied d’un arbre et écoutait comme un père de famille les plaintes de ses fellahs.
Le cahouadji recueillait dans la nature quelques sarments de vieux bois, quelques herbes sèches et préparait entre deux pierres un feu sur lequel il mettait sa petite bouilloire où mijotait un café dont le parfum était déjà un réconfort. Il achetait aussi à quelques pauvres gens le lait de leur chèvre ou de leur brebis qu’il chauffait séparément.
Le Roi, dans ses longues stations d’audience, était ragaillardi par ce café. Mais il prenait toujours soin de le mêler avec ce lait très pur qui adoucissait son breuvage et en blanchissait la couleur. De son coin de foyer improvisé, le cahouadji suivait du regard la succession des plaignants et profitait d’une pause pour se présenter au Roi avec son plateau en débitant à chaque fois sa petite chanson qui disait :
Ha el kahoua, el kahoua oul halib,
اala ‘ala nabi el habib
Elli ihafar houfra likhouhou
Fiha iaghib…
Voici le café, le café et le lait !
Vous tous saluez le Prophète aimé !
Que celui qui creuse contre son frère un puits
Soit le premier à y être englouti.
Peu de gens pouvaient discerner le sens de son petit quatrain. Le cahouadji, depuis trente ans où il suivait le Roi dans ses déplacements, avait adopté un style particulier d’habillement. Sur sa djellaba d’une propreté impeccable, il laissait retomber un pan de son hamama (turban). Ce hamama de mousseline immaculée lui entourait d’abord la tête, puis, dans un second tour lui voilait – à la manière des bédouins – tout le bas de la figure y compris le nez et la bouche, ne laissant à découvert que les yeux ; enfin il se servait de l’extrémité libre pour tenir le manche de sa bouilloire.
Un jour, un homme fut jaloux de la confiance que le Roi accordait depuis tant d’années à son cahouadji et désira remplacer ce dernier dans ses fonctions.
Profitant d’un instant de solitude du souverain, il s’approcha de lui et lui dit :
«Sire, excusez-moi de venir vous importuner. Mais je ne peux supporter ce que je viens d’entendre.
— Que veux-tu dire ?
— Savez-vous pourquoi le cahouadji qui est à votre service, a toujours le bas de son visage voilé par son hamama ?
— Non. C’est son habitude.
— Eh bien ! j’ai appris que ce garçon est pourri et que son haleine est si fétide que, s’il ne se voilait pas la figure, votre café dégagerait une odeur infecte.» (à suivre…)
Tiré des Contes mystérieux d’Afrique du Nord de Jeanne Scelles-Millie
28 juin 2009
Non classé