- Paul Verlaine
Les incommensurables quêtes du plaisir
C’est l’un des plus grands poètes de la littérature française de tous les temps. Paul Verlaine inspire Rimbaud et bien d’autres géants.
Paul Verlaine est né en 1844 à Metz en France. Sa mère Elisa Julie Josèphe Stéphanie est née aux environs d’Arras. Il a son baccalauréat en 1862 et s’inscrit dès la rentrée à l’Ecole de Droit. C’est l’époque de ses premières lectures de poésie et prose modernes (Hugo, Baudelaire, Gautier, Sainte Boves, Maistre, Al. Bertrand, Pétrus Borel…) et écrit son premier poème conservé, Chanson d’Automne, où il est déjà tout entier, un poète de talent.
Il en donne bientôt d’autres à La Revue du Progrès, fondée par L X de Ricard, dont la mère, générale et marquise, tient un salon littéraire boulevard des Batignolles où il y rencontre Banville, Villiers de l’Isle-Adam, Heredia, Coppée, Chabrier, Catulle Mendès. Un poste dans les assurances, un autre à l’Hôtel de Ville assurent successivement sa subsistance. Il collabore au Hanneton, la feuille républicaine d’Eugène Ver Mersch, L’Art, de Ricard, qui insère quelques-uns de ses vers et sa longue et remarquable étude sur Baudelaire que l’intéressé n’approuve pas. Il participe au Parnasse contemporain, Recueil de Vers nouveaux, fondé par Catulle Mendès; il y côtoit, parmi nombre de médiocrités, Baudelaire (Nouvelles Fleurs du Mal), Mallarmé, Villiers, Hérédia (1863-1866). Lors d’un voyage à Bruxelles, il est généreusement accueilli et félicité par Hugo, qui a lu des vers du jeune poète. Les Poèmes saturniens paraissent chez Alphonse Lemaire, éditeur des « Parnassiens », grâce aux subsides de sa cousine Elisa Dehée, et en même temps que Les Exilés, dernier grand livre de Banville; un élogieux article, des lettres flatteuses leur viennent d’Anatole France, Sainte-Beuve, Banville. Verlaine est présenté par le compositeur Charles de Sivry aux parents de sa future femme, Mathilde Mauté de Fleur-ville. Il retrouve ses confrères du Parnasse rue Chaptal, chez Nina de Villard, excellente musicienne et poète, amie et inspiratrice de Charles Cros. A Bruxelles encore (ville décidément pour lui fatidique, on le verra plus loin), sous le manteau et le pseudonyme de Pablo de Herlagnez, Poulet-Malassis, l’éditeur des Fleurs du Mal, imprime en cinquante exemplaires Les Amies, Scènes d’Amour saphiques, sonnets qui ne reparaîtront en volume que vingt ans plus tard, en tête de Parallèlement (1867-1868). Lemaire édite Fêtes galantes, dont plusieurs pièces sont présentées à L’Artiste d’Arsène Houssay. Fiancé à Mathilde Mauté, Verlaine compose les premières pièces de La Bonne Chanson; leur mariage est célébré le 11 août 1870.
Le lendemain de la déclaration de guerre; Verlaine est mobilisé dans la Garde nationale. Peu de jours après, Jean-Arthur Rimbaud prend connaissance des Poèmes saturniens et des Fêtes galantes et communique son enthousiasme à Georges Izambard, son professeur à Charleville. Installé chez ses beaux-parents, rue Nicolet, Verlaine y reçoit le premier message de Rimbaud, accompagné de poèmes, et y répond par une invitation pressante à le joindre. L’arrivée du génial et sauvage adolescent (10 septembre 1871) ne contribue pas à l’entente du jeune ménage, déjà désuni et que ne raccommoderont ni la naissance du petit Georges (30 octobre), ni la mise en vente de La Bonne Chanson, que les événements ont contraint Lemaire à différer. En janvier 1872, après de violentes altercations auxquelles l’abus de l’alcool n’est point étranger, Verlaine quitte son foyer pour cohabiter avec Rimbaud, rue Campagne-Première, d’où celui-ci regagne Charleville, pour revenir à Paris au bout de quatre mois. Bien qu’ayant obtenu le pardon de Mathilde.
Rimbaud-Verlaine, une saison en enfer
Verlaine part en compagnie de son nouvel ami pour Arras, en est expulsé par la police, puis emmène Rimbaud vers les Ardennes et la Belgique. Ils séjournent deux mois à Bruxelles et à Charleroi avant de s’embarquer pour Londres. Une instance en séparation de corps est introduite. Pendant que Rimbaud est rentré à Paris et retourne à Charleville, Verlaine, tombé malade, appelle sa mère à son chevet. Les deux « compagnons d’enfer » reprennent à Londres leur vie commune et y vivent misérablement de leçons de français. Verlaine y laisse bientôt Rimbaud sans ressources, revient à Bruxelles, y fait venir sa mère et sa femme, puis Rimbaud. A la suite d’une querelle et de la menace d’abandon par ce dernier, il tire sur lui deux coups de revolver qui le blessent légèrement. Arrêté sur déposition de la victime, Verlaine est écroué à la prison des Petits-Carmes et condamné à deux ans de détention par le tribunal correctionnel. Transféré à la prison de Mons, il y demeurera en cellule jusqu’au 16 janvier 1875. En octobre 1873, Rimbaud a fait imprimer à Bruxelles Une Saison en Enfer, transposition poétique de l’aventure. L’année suivante, les Romances sans Paroles, d’abord intitulées La Mauvaise Chanson, sont tirées sur les presses d’un journal de Sens grâce à l’intervention de Le Pelletier; distribuées à la critique, elles sont tout à fait passées sous silence.
En apprenant, fin avril 1874, la décision judiciaire de sa séparation d’avec Mathilde, Verlaine confesse ses erreurs dans le sein de l’aumônier de la prison, qui lui donne à lire le catéchisme et le communie. Il commence alors à composer sous l’exergue provisoire de Cellulairement les plus beaux vers, alternativement mystiques et profanes, qui figureront un jour dans Sagesse. Jadis et Naguère, Parallèlement. Sa peine purgée, il se retire à Fampoux et fait une retraite à la Trappe de Chimay.
Un essai de réconciliation avec Mathilde étant resté infructueux, il rejoint Rimbaud à Stuttgart sous le prétexte de le convertir. Il obtient ensuite un poste de professeur dans une école de Stick Ney (Lincolnshire) dirigée par M. Andrews; il y exercera jusqu’à la fin de l’année scolaire 1875-76. Dans l’intervalle, des fragments de la future Sagesse sont écartés par le comité du Parnasse contemporain, que préside Anatole France, comme « mauvais vers dus à un auteur indigne ». Rimbaud, parti pour l’Italie, puis débardeur à Marseille, demande en vain des subsides à Verlaine, qui lui écrit en décembre 1875 pour la dernière fois. Depuis la rentrée, Verlaine enseigne au St. Aloysius Collège de Bournemouth, tenu par M. Remington. Au bout d’un an, il remplace son ami Ernest Delahaye (autre futur biographe) comme professeur chez les jésuites de Rethel; il occupera cette chaire sans incident jusqu’en juillet 1879. C’est durant cette période qu’il s’éprend d’un fort tendre attachement pour l’un de ses élèves, sans doute peu doué, Lucien Létinois, fils de paysans ardennais. Il l’emmène par la suite outre-Manche, à Lymington, où il vient de trouver un nouvel emploi pédagogique chez M. Murdoch. Dès leur retour en France, à Coulommes, pays de Lucien, Verlaine, grâce aux subsides maternels, fait emplette de la ferme de Juniville et se lance dans une exploitation vouée à un rapide et désastreux (sauf pour lui) échec. Rentré de Coulommes avec sa mère, le poète se met en rapport avec Victor Palmé, éditeur catholique de la rue des Saints Pères, qui accepte d’imprimer Sagesse (toujours à compte d’auteur, soit cinq cents francs); malgré quelques articles élogieux (Le pelletier, Blé mont – l’un de ses amis les plus dévoués, Claretie…) et une active propagande de Verlaine auprès de la petite presse confessionnelle, le volume n’a aucun succès; presque tout le tirage, mis en cave, en sera racheté en 1888 par Léon Vanier, devenu son éditeur attitré. Ayant en vain sollicité, par l’entremise de Le Pelletier, sa réintégration dans les bureaux de la Ville, Verlaine obtient par Delahaye un poste de professeur à l’Institution Esnault de Boulogne-sur-Seine, tandis que Létinois est casé dans un modeste emploi industriel, sa famille ayant émigré à Ivry. Paris moderne, que vient de fonder Vanier, insère alors plusieurs poèmes, dont l’extraordinaire Art poétique, en vers de neuf syllabes, composé à Mons en avril 1874 et qui s’affirme soudain l’un des actes de foi du Symbolisme naissant. Mais Lucien, atteint de typhoïde, meurt le 7 avril 1883 à l’hospice de la Pitié. Ce cruel événement inspire à celui-ci, privé de son fils légitime, une suite d’élégies qui s’égalent, dans l’expression de la douleur, au thrène voué par Hugo à sa fille dans Les Contemplations; elles seront le plus bel ornement du second recueil catholique de Verlaine. Le nom du grand poète, jusque-là inconnu et bafoué, commence de se répandre, au-delà des milieux de la jeune poésie, jusque dans les salons littéraires et même parmi les universitaires. Le premier livre que Yanier consent à publier, et à ses frais, est un triptyque d’études en prose, Les Poètes maudits, consacrées à Tristan Corbière (que Verlaine vient de découvrir presque seul), à Mallarmé et à Rimbaud (1884); une réédition, accrue d’articles sur Marcelline Desbordes-Valmore, Villiers de l’Isle-Adam et Pauvre Lelian (anagramme de Paul Verlaine), paraîtra quatre ans plus tard. Or le poète, à ce moment, mène une existence des plus troubles à Coulommes et à Attigny. Le divorce d’avec Mathilde, qui bientôt convolera pour devenir Mme Delporte, est prononcé en février 1885 et l’époux est condamné à verser une pension alimentaire. Au printemps suivant, Verlaine, pris de boisson, a une violente querelle avec sa mère, tente de l’étrangler et, inculpé de coups et blessures, passe trois mois dans la prison de Vouziers; il n’en continue pas moins, aussitôt élargi, ses « repues franches » (plutôt louches) dans la campagne avoisinante. Cependant Vanier vient de donner Jadis et Naguère, l’avant-dernier beau livre, qui est formé d’éléments d’époques disparates, et qui apporte au moins le sonnet Langueur, autre credo des Décadents, et Crimen Amoris, hymne à la gloire de Rimbaud. Verlaine transporte ses pauvres pénates dans un galetas de la Cour Saint-françois, rue Moreau, étiqueté Hôtel du Midi. Mais il fera par la suite de fréquents et longs séjours dans les hôpitaux, Broussais surtout, pour y soigner une vieille arthrite, favorisée par l’abus des alcools et les traces d’une affection vénérienne.
La mort de sa mère, le 21 janvier 1886, accentue encore la précarité de son existence, secourue par plusieurs amis, exploitée, en revanche, par deux pauvres créatures, plus misérables qu’intéressées, pas toujours insensibles au fait d’être les compagnes d’un grand homme déchu, mais déjà honoré : Eugénie Krantz et Philomène Boudin méritent, à ce titre, de passer à la postérité, plutôt que pour avoir inspiré les versiculets égrillards des Chansons pour elle des Odes en son Honneur, des Elégies.
L’auteur des Fêtes galantes, des Romances sans Paroles et de Sagesse jouit en effet d’une renommée et d’un respect désormais incontestés parmi les adeptes batailleurs mais fervents des récentes écoles, symbolistes et décadents de la première heure, cinq ans avant que ne lui surgisse un rival en la personne remuante de Jean Moréas, quand celui-ci publiera, à grand fracas, Le Pèlerin passionné. De garni en garni, d’hôpital en hôpital, de café en café, il traîne la jambe et, en somme, s’accommode assez bien, non sans humour gentil, de cette vie de bohème, en proie à des alternances de mysticisme et de lubricité également sincères.
En 1888 et 1889 paraissent Amour et Parallèlement (dont les épreuves sont corrigées pendant une cure à Aix-les-bains), qui reflètent cette déconcertante dualité de nature. Parallèlement est en partie constitué du reliquat de Cellulairement, le manuscrit des prisons; cet ouvrage brille encore de pages du premier ordre. La célébrité du poète dépasse les frontières françaises; elle lui procure des tournées de conférences qui, sans l’enrichir, aident quelques mois à sa subsistance. C’est ainsi que, de novembre 1892 à décembre 1893, il est invité en Hollande, en Belgique (Charleroi, Liège, Bruxelles), en Lorraine (Nancy et Lunéville), en Angleterre (Londres, Oxford, Manchester), où il est chaleureusement accueilli par l’élite des jeunes écrivains. Un important Choix de Poésies, paru chez Charpentier, a répandu le meilleur de son oeuvre. Un banquet triomphal lui a été offert par La Plume, vaillante revue qui draine toute la littérature significative du temps. Succès qui l’enhardit au point de se présenter à l’Académie (fauteuil de Taine). Une compensation au retrait de cette candidature lui est donnée par son élection, en août 1894, au principat des Poètes à la mort de son vieil ennemi Leconte. Un comité de quinze admirateurs, dont Maurice Barrès et Robert de Montesquieu, se fonde sous la présidence de la duchesse de Rohan afin de lui assurer une rente mensuelle.
Il a encore pu rassembler plusieurs recueils de vers et de prose, le plus souvent circonstanciels et fort plats, de Bonheur, et Liturgies intimes, très pâles séquelles de Sagesse et d’Amour, aux Dédicaces et aux Epigrammes, sans compter les petits livrets amoureux dont nous avons parlé ni les priapées, parues sous le manteau, de Femmes, dont l’étonnante virtuosité voile à demi l’audace. Enfin, une autobiographie, restée inachevée mais pleine de précieux souvenirs et de charmante bonhomie, paraît sous le titre de Confessions.
Reconnaissance de ses pairs à sa mort
Mais sa santé, déjà fort ébranlée, rongée par la misère et l’alcoolisme, décline de jour en jour. Hébergé depuis quelques mois au 39 de la rue Descartes, par Eugénie (qu’il avait failli épouser), il y est trouvé mort, le 8 janvier 1896, sur le carreau de sa misérable chambrette. On lui fait de fort belles funérailles à Saint-ةtienne-du-Mont, puis au cimetière des Batignolles dans son caveau de famille; le cortège comporte l’élite des lettres et des arts et une foule considérable, en grande partie composée d’étudiants. Le deuil est conduit par Vannier et le jeune F.-A. Cazalès, l’inlassable iconographe du grand poète, qui l’appelait « ma plus belle amitié, ma meilleure… ». D’émouvantes oraisons sont prononcées par Mallarmé, Moréas, Barrès, Coppée, Gustave Kahn. Pour la partie durable, c’est-à-dire vraiment neuve, de sa longue production, on la peut évaluer à un quart environ, et sans égard pour des proses pratiquement négligeables et le plus souvent dépourvues de style.
Paul Verlaine occupe dans la poésie française, et même, on peut l’affirmer, dans celle de tous les pays, une place éminente et sans équivalent. Il ne s’est pas borné, en effet, à une époque d’inquiétante déficience de notre lyrisme, soit aussitôt après la mort de Baudelaire et à l’heure où Hugo jetait ses éclairs (les plus puissants), à vivifier, à réhabiliter la poésie française : il a créé une nouvelle sensibilité, une musique inouïe, tout un univers d’expression gratuite dans un art où la littérature, l’histoire, la morale ne devraient jamais s’immiscer sous peine de le dessécher ou de le corrompre. Il a été aussi peut-être, depuis Ronsard et après les conquêtes de Marcelline, de Hugo, de Baudelaire et de Banville, le plus étonnant et riche inventeur de rythmes et a préparé, fût-ce à son corps défendant et même à regret, les voies de l’affranchissement de la prosodie qui lui a succédé. Certes, il lui a manqué d’être aussi, comme le furent (pour ne mentionner que des artistes de son siècle) Vigny, Hugo, Musset, Baudelaire surtout, un grand écrivain. Mais, en vers, quand il se montre tout à fait original, nul d’entre ses aînés ou rivaux anciens et modernes, de son premier précurseur François Villon à ses égaux et contemporains Stéphane Mallarmé et Arthur Rimbaud, ne mérite de lui être préféré.
Yasmine Chérifi
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17 juin 2009 à 18 06 30 06306
l’étoile Verlaine ne s’est pas éteinte; elle a traversé les âges et les décennies.
27 juin 2010 à 9 09 28 06286
Toutes mes très sincères et vives félicitations à Yasmine Chérifi qui parle si bien de Verlaine.
Un bel hommage à un poète si cher à nos coeurs.
Hervé VILEZ.