- Friedrich Nietzsche
Humain ou surhomme ?
Nietzsche est incontestablement un grand philosophe. Même si nombre de ses idées demeurent non admises par beaucoup de penseurs à travers le monde.
Friedrich Nietzsche est né le 15 octobre 1844, jour de la fête du roi Frédéric-Guillaume IV, d’où ses prénoms, à Roecken. Il n’avait que quatre ans lorsque son père mourut accidentellement, encore très jeune, et le souvenir de cette fin dramatique et prématurée sera pour lui déterminant, d’autant plus que la mort de son père sera suivie de celle de son jeune frère. Sa mère quittera avec lui Roecken
pour Naumbourg-sur-Saale. A douze ans il entra au collège de Pforta, ancien monastère cistercien, pris autrefois par les révolutionnaires luthériens et qui devint un foyer de la Réforme. Son père et sa mère étant de familles ecclésiastiques luthériennes, sa place y était marquée. Il se signala tout de suite par un exploit. Les camarades de Nietzsche s’accordant pour traiter de légende l’histoire de Lucius qui avait mis sa main dans le feu, il plongea la main dans le poêle et en ramena un charbon ardent. A dix-sept ans il décida de ne pas se faire pasteur et à dix-huit ans entra à l’université de Bonn où il vécut isolé. En 1863, étudiant à l’université de Leipzig, il fut bouleversé par la lecture du Monde comme volonté et comme représentation de Schopenhauer; et il écrivit à sa soeur : «Que cherchons-nous? Le repos, le bonheur ? Non, rien que la vérité, toute effrayante et mauvaise qu’elle puisse être…» A cette époque, il se lia avec Erwin Rohde qui demeura longtemps son meilleur ami. Il admirait Bismarck. Incorporé dans l’armée en 1867, il fut renvoyé chez lui après une chute de cheval. On lui demanda des études historiques pour une revue importante de Berlin. Mais il s’intéressait à tout, sauf à la politique. «Décidément, disait-il, je ne suis pas un animal politique.» Après la lecture de Schopenhauer, le deuxième événement important de sa jeunesse fut sa rencontre avec Wagner, pour lequel il avait la plus grande admiration. Aussi accepta-t-il, avant d’avoir obtenu tous ses diplômes, d’être nommé professeur de philologie grecque à Bâle (1868), ce qui lui permettait de voir plus facilement Wagner qui habitait Triebschen, sur le bord du lac des Quatre-Cantons, avec Cosima, la fille de Liszt, qu’il venait d’épouser. Nietzsche devint un assidu de leur maison et un ami intime. En 1870, il consacra ses loisirs à l’étude des origines de la tragédie grecque. A l’annonce de la victoire allemande, il s’engagea et fut envoyé en France comme ambulancier, puis à Carlsruhe où il tomba malade. L’Allemagne lui parait alors prendre la suite de la Grèce : Bismarck étant son chef, Moltke son soldat, Wagner son poète, Nietzsche son philosophe. En 1871, il publia le résultat de ses travaux sous le titre : La Naissance de la tragédie ou Hellénisme et pessimisme, sans obtenir de succès. Depuis Winckelmann, la critique classique ne reconnaissait qu’un aspect de l’art grec, celui que symbolise Apollon, art fait de mesure et de pondération, qui est l’objet d’une contemplation sereine s’élevant au-dessus d’un monde condamné à la souffrance. Nietzsche lui oppose un autre aspect, symbolisé par Dionysos : c’est l’extase dans laquelle plonge la vue du vouloir-vivre universel, et qui permet d’échapper à la souffrance non pas en la niant, mais en niant sa cause qui est ce vouloir vivre lui-même poussé à son point suprême. L’influence de Wagner, combinée avec celle de Schopenhauer, est prédominante alors, et durera même après que le premier se fût installé à Bayreuth grâce à l’amitié que lui portait le roi de Bavière, Louis Il. Une première crise intellectuelle éclata pour Nietzsche lorsqu’il se détacha du pessimisme de Schopenhauer et de l’esthétisme de Wagner et qu’il commença à répudier l’art comme moyen d’évasion. C’est alors qu’il publia les premières Considérations inactuelles, où l’histoire est dénoncée comme un poison pour l’être sain et joyeux de vivre. L’université de Bâle où il était professeur lui avant accordé un congé, il partit en Italie avec deux amis, Alfred Brenner et Paul Rée, et il y retrouva Wagner dont l’esprit était alors occupé, par un opéra. Pour Nietzsche cet opéra marque le point culminant (la dégénérescence européenne : la négation du vouloir vivre n’est autre qu’une extinction de l’instinct vital. C’est l’idée qu’il développa dans Humain, trop humain) (1878) et Le Voyageur et son ombre (1880). A ce moment il lisait les moralistes français, surtout La Roche foucauld, Chamfort, et aussi Pascal. Il admirait leur lucidité et leur amour de la vérité pour elle-même, leur rigueur et leur clarté.
Début de l’érrance…
A partir de 1879, tombé malade, il abandonna sa chaire de philologie et commença une vie errante. Sa soeur l’emmena d’abord dans l’Engadine où il retourna chaque été, l’altitude lui étant bienfaisante. Désormais, il sera toujours égrotant et forcé de vivre avec la pension de quatre mille francs par an que lui fait l’université de Bâle. Les livres qu’il publiera n’auront aucun succès et ses amis l’abandonneront, excepté l’un d’eux, Peter Gast. Après un court séjour à Naumburg dont le climat ne lui réussit pas, il décide de se rendre de nouveau en Italie, séduit cette fois par Venise où habitait Gast qui y vivait dans la gêne mais librement, et y composait de la musique. Gast servait de lecteur, de secrétaire et de musicien. Une nouvelle philosophie vaudra par elle-même et sans besoin d’opposition, tirant la joie d’une affirmation passionnée. C’est dans cette atmosphère que naissent les aphorismes composant Aurore dont le sous-titre est alors : L’Ombre de Venise et dont le titre est emprunté à un passage des Védas. Nietzsche, après une nouvelle tentative de séjourner à Naumburg, passa l’hiver à Gênes où il vécut de la vie populaire. Son livre parut en 1881. A cette époque, il repartit pour l’Engadine et, début d’août, y connut l’extase très singulière du Retour éternel. La lecture d’Empédocle, celle des philosophes hindous connus à travers Oldenberg, celle plus récente de Karl Vogt (La Forre), l’avaient mené à considérer l’Univers comme animé d’un mouvement cyclique. Un après-midi, se promenant à travers bois du côté de Silva-Plana, Nietzsche s’arrêta au pied du rocher de Surlei, aujourd’hui consacré à sa mémoire, qui surplombe les eaux du lac de Sils. C’est là «à six mille cinq cents pieds au-dessus de la mer et beaucoup plus au-dessus des choses humaines» qu’il eut l’intuition que la durée du monde n’ayant pas de terme et les éléments dont il se compose étant un nombre fini, les combinaisons qui le constituent à chaque instant sont également limitées. C’est ainsi que le monde du devenir se rapproche du monde de l’être au point de coïncider presque avec lui. Cette ancienne croyance est renouvelée par Nietzsche qui la fait passer du domaine mythique au domaine mystique : l’important pour lui est moins la répétition de l’événement que la joie dionysiaque avec laquelle cette répétition est accueillie, et l’éter-nité du retour des choses n’a de signification que par l’instant qui marque pour nous ce retour, instant qui, lui, porte le caractère de l’éternel. L’homme, en même temps, devient un héros lorsqu’il accepte ou plutôt lorsqu’il veut cet éternel retour, l’apparence absurde et désespérant, et qu’il dit à la Nature : «Encore une fois!».
Nietzsche, fut tenté à trois reprises par le suicide. Puis il passa un hiver relativement heureux, malgré l’insuccès total de Aurore, à Gênes où il fréquenta l’Opéra. A Venise il avait retrouvé la musique de Chopin; à Gênes ce fut celle de Rossini, de Bellini, de Bizet : «Carmen me délivre», disait-il. Il publia un nouveau recueil : Le Gai savoir. Au printemps il partit pour la Sicile, puis pour Rouie. Là Malcvida lui présenta une jeune fille russe, Lou Salomé, avec laquelle elle espérait le marier et dont Nietzsche tomba amoureux. Mais, après une période de réflexion, Lou Salomé refusa le mariage proposé et d’ailleurs se rendit à Bayreuth et elle finit par rompre. Nietzsche retourna passer l’hiver en Italie, à Rapallo. C’est là que prit corps la conception du Surhomme – ou plutôt du Surhumain – et que Nietzsche écrivit la première partie de Ainsi parlait Zarathoustra ; l’un des meilleurs livres qui se vendent en Algérie. Un grand livre prophétique dans lequel il exalte les valeurs vitales aux dépens des valeurs de connaissance. Wagner venait de mourir à Venise après avoir connu un succès triomphal. Un retour en Engadine permit à Nietzsche d’écrire sur le lieu même de «la vision» la deuxième partie de Zarathoustra, qui contient aussi des réminiscences d’un séjour à Rome en juin 1883, sous une forme lyrique. L’hiver suivant se passa à Nice qui enchanta le voyageur et le retint plus que ses autres résidences : la troisième partie y fut écrite et publiée en même temps que la deuxième, en 1884. Quant à la quatrième, elle ne put être tirée qu’à quarante exemplaires, faute d’éditeur. Le sous-titre du livre était : Un livre pour tous et pour personne. Il se présentait, en effet, comme un substitut de l’Evangile, destiné à être répandu aussi largement que celui-ci, et en même temps comme une annonce, difficile à comprendre, des temps nouveaux. La culture moderne a besoin d’être fondée sur une croyance à des valeurs qui ne soient pas celles d’une décadence, comme celles qui inspirent le christianisme, le pessimisme, le rationalisme, le moralisme et le socialisme. Zarathoustra est l’homme fort qui brise les anciennes tables de valeurs et les remplace par d’autres : ce n’est pas un pur destructeur, c’est un messie. Les mêmes idées sont développées dans un livre d’aphorismes dont un grand nombre se réfère à un plan systématique : La Volonté de puissance, avec pour sous-titre : Essai d’une transmutation de toutes les valeurs, qui ne fut publié qu’après sa mort et qui l’occupa plusieurs années, en Allemagne et à Nice où il vécut tour à tour. Entre-temps il reçut la visite de lecteurs très rares attirés par ses idées mais qui ne viendront plus le revoir, tel un jeune écrivain, ami de la veuve de Wagner, Heinrich et un dilettante errant, Paul Lawzky, qui fut son compagnon occasionnel à Nice. En 1886, Nietzsche publia à ses frais un essai improvisé sur le sujet qui lui tenait à coeur : Par delà le bien et le mal, avec pour sous- titre : Prélude à une philosophie de l’avenir, après un voyage à Venise où il revit Peter Gast, et un autre en Allemagne. Malgré ses déplacements, Nietzsche menait une vie monotone. Pendant cinq étés de suite il logea à Sils-Maria dans une chambre solitaire qui donnait sur une pinède et qu’il payait un franc par jour. Il y travaillait chaque matin en déclamant ses phrases et en martelant la cloison à coups de poing pour souligner leur rythme. Il se rendait ensuite à l’auberge voisine où il déjeunait en compagnie de dames qui revenaient chaque année et qui lui rendaient le service de remplir son assiette, car il y voyait à peine. Il n’aimait pas à parler de son oeuvre ni de ses idées, mais il se plaisait à faire de longues promenades avec ses compagnes d’occasion envers lesquelles il se montrait délicat et serviable, aussi effacé dans sa vie qu’il l’était peu dans son oeuvre. Le soir, il dînait seul d’une tranche de cake et d’une tasse de thé qu’il préparait lui-même, comme le matin en se réveillant il avait préparé son café.
Rattrapé par ses démons…
Il aurait voulu aller en Corse et particulièrement à Corte : «C’est là que Napoléon a été conçu. N’est-ce pas un lieu tout indiqué pour entreprendre la transmutation de toutes les valeurs ?». Il y aurait terminé La Volonté de puissance. Mais c’était un voyage trop difficile à entreprendre, et le livre ne trouvait du reste pas d’éditeur. Nietzsche se mit à écrire des préfaces pour des réimpressions de ses livres déjà parus. A Nice où il passait l’hiver il lisait Stendhal, Maupassant, Baudelaire, et il fit la connaissance de Guyau dont il lut l’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction; il avait des affinités avec lui, bien que le malentendu fût fondamental entre eux, Guyau ne faisant que renforcer la morale traditionnelle avec l’arme qu’employait Nietzsche pour la renverser : l’exaltation de la vie. Plus importante et significative fut la rencontre que fit Nietzsche de l’oeuvre de Dostoïevski, c’était avec les Mémoires écrits dans un souterrain où l’homme humilié devient à son tour un humiliateur; cette analyse du ressentiment aura une répercussion sur les derniers livres. Entre-temps, il avait reçu des témoignages d’admiration de la part de Jakob Burckhardt, le philologue de Bâle, et de Taine, ce dernier témoignage lui étant particulièrement sensible, car il tenait à l’opinion de Paris où se faisait «la musique de chambre de la littérature», bien qu’il n’estimât pas la politique de la pauvre France, malade de la volonté. En effet, en 1887, dans La Généalogie de la morale, Nietzsche voit dans le ressentiment, dans la révolte contenue et refoulée des esclaves contre les maîtres, le principe initial de l’ascétisme qui donne aux faibles et aux impuissants le pas sur les forts; les valeurs serviles l’emportent alors sur les valeurs héroïques, d’où le triomphe par la ruse des Sémites sur les Romains. Georg Brandes, le critique danois, lui écrivit pour l’approuver. C’est à Turin que Nietzsche fit la dernière étape de sa vie consciente. Il y découvrit une traduction française des Lois de Man. La crise de démence dont souffre le philosophe éclata démesurément à Turin en janvier 1889. Deux ans après, Nietzsche mourut sans avoir repris sa lucidité le 25 août 1900.
Yasmine Chérifi
http://www.depechedekabylie.com/popread.php?id=33808&ed=1406
9 septembre 2009 à 23 11 19 09199
détail : Sauf document encore inédit, Nietzsche n’a jamais rencontré Guyau, Halévy (dans sa biographie de N) et ses suiveurs se trompent.Fouillée, beau-père de G, en aurait parlé dans ses écrits sur Guyau et sur Nietzsche.
jcleroy
1 février 2010 à 19 07 22 02222
Frédéric NIETZSCHE tomba effectivement malade en 1889, mais mourut onze ans après (non 2). Par ailleurs, il semble que la crise de démence dont souffrait NIETZSCHE ait comme origine une syphilis congénital.