- 16e anniversaire de la mort de Kateb Yacine
Un idéal, une esthétique et un combat
Le 28 octobre 1989 disparaissait l’un des géants de la littérature algérienne et maghrébine. Celui que Jean Déjeux appellera le ‘’Maghrébin errant’’ aura marqué de son empreinte l’histoire de la culture moderne en Algérie et du combat pour la démocratie et la justice sociale et cela sur un parcours d’une quarantaine d’années. Kateb Yacine, qui fait partie du ‘’quatuor‘’ (avec Dib, Feraoun et Mammeri) qui allait émerger à partir des années cinquante du siècle dernier, était caractérisé par son style fougueux, son caractère entier et son humanisme débordant.
Ayant abandonné le collège à l’âge de seize ans après son arrestation lors des manifestations du 8 mai 1945 à Sétif, il a pu démontrer que le combat pour les causes justes, la conscience patriotique et la passion de la littérature ne dépendent pas uniquement d’un diplôme universitaire. Hanté depuis son adolescence par l’image de Nedjma et pris dans la tourmente de la violence du Mouvement national, Kateb découvrira en prison la relation ombilicale, l’intimité, qui existe entre l’amour et la révolution, comme il l’avouera un peu plus tard. Cela le conduira à devenir le défenseur de tous les peuples opprimés au cours des années 1970 et 1980 (Vietnam, Afrique du Sud, Palestine,…), le défenseur aussi des franges les plus vulnérables de la société (femmes, paysans, ouvriers) et de la revendication identitaire et culturelle berbère.
Le sublime de la poésie
A l’origine, il y a la poésie ! La plupart des romanciers et des dramaturges ont d’abord taquiné la muse de la poésie. Même des historiens et sociologues, à l’image de Jacques Berque, ont pour premiers écrits des poèmes. La parole italienne dit : « Ce que la poésie fait de plus sublime, c’est donner aux choses insensées sens et passion ». Kateb Yacine ne déroge pas à cette enivrante fatalité. « A la base de tout chez moi, il y a la poésie (…) En général, la poésie est la première source. C’est évident. Notre enfance est là pour témoigner que nous sommes tous avant tout des poètes. Ce que j’appelle poésie, c’est l’acte révélateur, l’acte créateur par lequel on prend conscience de la vie et des choses. Il n’y a qu’à voir les enfants quand ils commencent leur petit délire par des petites phrases et des chansons. Ensuite, cela prend d’autres formes : le théâtre, le roman. Mais, au fond, c’est toujours la même chose », affirme-t-il dans un entretien avec Hafid Gafaïti (in ‘’Voix multiples’’- Laphomic 1986).
C’est à l’âge de 17 ans, en 1946, qu’il publie à Annaba une plaquette de poésie intitulée ‘’Soliloques’’. C’était juste après sa libération de prison. Arrêté juste après les manifestations de Sétif, Kateb verra sa mère atteinte de démence lorsqu’elle s’imagina que son fils était fusillé comme les milliers d’Algériens qui furent massacrés ce jour-là et les jours suivants.
« Pour moi, je suis mort
D’une mort terrible :
Mon âme faisait des vers
Quand d’autres vers
Me rongèrent jusqu’aux os.
Mon char était suivi
De tous mes ennemis.
Et le prêtre, pour une fois
Intelligent,
Sifflotait une de mes
Rengaines préférées…
Mon père jouait à la belote
Et cracha son mégot
Quand mon cercueil passa.
Seule, ma mère
Démolissait une poitrine
Qui avait sa fierté.
(…) Le Coran seul
M’accompagna jusqu’au cimetière. »
Kateb Yacine est né le 6 août 1929 à la Casbah de Constantine. Il sera enregistré le 26 août sur l’Etat-civil de la commune de Condé-Smendou (actuelle Zighoud Youcef) où son père maternel exerçait la fonction de bach-adel (auxiliaire de justice). Issu d’une famille de lettrés originaire de Sedrata, son père, Oukil judiciaire (avocat indigène), est homme de double culture. Après un passage à l’école coranique, Kateb entre à l’école française en 1936. Les fréquentes mutations de son père l’obligèrent à effectuer plusieurs déplacements. En 1945, il est en classe de 3e au lycée de Sétif.
L’amour et la révolution
Interne au lycée, Kateb verra son destin se transformer par cette journée du 8 mai 1945. « Ce jour-là, c’était la fête, la victoire contre le nazisme. On a entendu sonner les cloches, et les internes étaient autorisés à sortir. Il était à peu près dix heures du matin. Tout à coup, j’ai vu arriver au centre de la ville un immense cortège. C’était mardi, jour de marché, il y avait beaucoup de monde, et même des paysans qui défilaient avec leurs vaches. A la tête du cortège, il y avait des scouts et des camarades du collège qui m’ont fait signe, et je les ai rejoints, sans savoir ce que je faisais. Immédiatement, ce fut la fusillade, suivie d’une cohue extraordinaire, la foule refluant et cherchant le salut dans la fuite. Une petite fille fut écrasée dans la panique. Ne sachant où aller, je suis entrée chez un libraire. Je l’ai trouvé gisant dans une mare de sang. Un ami de mon père qui passait par là me fit entrer dans un hôtel plein d’officiers qui déversaient des flots de propos racistes. Il y avait là mon professeur de dessin, une vieille demoiselle assez gentille, mais comme je chahutais dans sa classe, ayant parlé une fois de faire la révolution comme les Français en 1789, elle me cria :’’Eh bien, Kateb, la voilà votre révolution ; alors, vous êtes content ?’’
Kateb décida alors de quitter le lycée et d’aller rejoindre son père gravement malade à Bougâa. Il sera le 13 mai au matin par des inspecteurs et conduit vers la prison de la gendarmerie. C’est là qu’il fera une intime connaissance, dit-il, avec les gens du peuple. ‘’Devant la mort, on se comprend, on se parle plus et mieux’’, ajoute-t-il.
Transféré à la prison de Sétif, puis dans un camp de concentration entouré de barbelés, il y restera plusieurs mois. Après sa libération, il tombera dans un état d’abattement. Exclu officiellement du lycée, le jeune Kateb aura à faire face à un autre destin : sa mère perd la raison et son père tombe gravement malade. Ce dernier proposera à son fils d’aller ‘’changer d’air’’ à Annaba chez des parents habitant cette ville. C’est là-bas que Kateb fera la connaissance d’une cousine, prénommée Nedjma, dont il tombera follement amoureux. Cependant, elle était plus âgée que lui et était déjà promise. Cet amour impossible marquera à jamais l’auteur de…’’Nedjma’’ et lui sera une source inépuisable d’inspiration.
» Loin de Nedjma
Déchus par notre faute
Loin de Nedjma.
Nedjma, si je t’ai bue
Tu fermentais.
C’est une excuse
Maintenant
Je suis esclave
Je ne sais
Que ramper vers ta cuisine
De caserne encerclée.
Qui fausse le rayon ?
Qui nous exile du Centre ?
A la belle étoile
Rapprochons-nous
Même si le vent nous disperse
C’est par nous que communique le feu
Notre chaleur est détournée. «
Docker, journaliste et intellectuel
En 1946/47, Kateb Yacine milite au sein du PPA et donne des cours pour illettrés. Il fera son premier voyage en France en 1947 et donnera une conférence sur ‘’’Emir Abdelkader et l’indépendance algérienne’’. Le 27 mai 1947 à la Salle des Sociétés Savantes. S’étant mis en contact avec les milieux littéraires de gauche, il publie son premier poème ‘’Ouverte la voix’’ dans la revue ‘’Les Lettres françaises’’. Il immortalisera son premier voyage en France dans un article publié par le journal ‘’Le Monde’’ du 20 octobre 1970. Il y écrit notamment : « Lorsque je vins à Paris pour la première fois, en 1947, jeune poète algérien à la recherche d’un éditeur, j’eu pour mécène inattendu un émigré de Kabylie, homme squelettique de haute taille, à la barbe blanche en broussaille. Il avait épousé, lui, l’exilé analphabète, une noble Française en rupture de ban qu’il appelait ‘’madame Jeanne’’, avec une pointe d’humour affectueux. C’était deux êtres réellement nobles, de la noblesse des pauvres, la plus belle de toutes : non seulement j’avais chez eux le gîte et le couvert, mais le vieux Si Slimane poussait la générosité jusqu’à m’offrir, en plus du paquet de Gauloises, des journaux et des livres…Ils tenaient à eux deux, lui crachant ses poumons, elle à moitié paralysée, un débit de boissons , rue du Château-des-Rentiers. Ironie de ce nom de rue ! Le café était, à vrai dire, une cave humide où ne venaient dans la journée que de rares manœuvres, des chômeurs et de invalides. Il s’animait un peu le soir, mais ne s’emplissait qu’en fin de semaine. Il devenait alors un coin de Kabylie. On parlait du pays et de l’indépendance .Des musiciens errants nous apportaient parfois le cri de la tribu. On buvait du café ou de la limonade. Quand on mangeait, c’étaient des pommes de terre dans une sauce rouge épicée, sans viande, mais avec du pain à volonté- l’éternel plat de résistance qui permet d’économiser pour le mandat de la famille, car, la plupart des émigrés laissaient en Algérie des femmes et des enfants, faute d autre logis que la cave, le taudis ou la baraque de bidonville.
Ils m’apportaient les lettres reçues dans la semaine. Je lisais pour eux et répondais sous leur dictée. Combien ils me brûlaient les 50 centimes si durement gagnés que ces hommes s’obstinaient à mettre dans ma poche en s’excusant de ne pas pouvoir rétribuer plus largement ma besogne de scribe ! Mais ce travail me passionnait. Je devenais leur confident, leur Cyrano de Bergerac, leur ‘’alter ego’’, leur secrétaire de cellule « .
En 1948, Kateb Yacine publie le poème ‘’Nedjma ou le poème ou le couteau’’ dans ‘’Le Mercure de France’’. De retour à Alger, il devient collaborateur à Alger-républicain. Il y publiera un reportage sur le pèlerinage à la Mecque et fera un voyage à Moscou le 14 août 1948. Après la mort de son père en 1950, il s’installe avec sa mère et ses sœurs à Alger. Il retourne en France à la recherche d’un travail.
Revient à Alger pour travailler comme docker au port. Sa sœur Ounissa raconte cette période : « C’était une période trop dure pour nous. Yacine rentrait le soir fatigué, les poches pleines de grains de blé. Pour égayer l’atmosphère de notre logis, il nous chantait une chanson qu’il avait apprise auprès des dockers : ‘’Un bateau plein d’oranges attendait le portefaix, des sardines au déjeuner, des sardines au dîner, et Yacine est devenu handicapé’’. Yacine était le père et la mère. Souvent, il nous laissait sa part de repas, prétextant ne pas avoir faim’’.
En 1952, il repart pour la France. Il exercera plusieurs métiers avant de rencontrer Bertold Brecht (1954). Le Cadavre encerclé est paru dans la revue Esprit’ fondée par Emmanuel Mounier. Découvert par Jean-Marie Serreau, Kateb apprend auprès de celui-ci le métier de théâtre.
Kateb entreprend plusieurs voyages en Italie, Belgique, Suède, Yougoslavie et Tunisie. C’est en 1956 qu’il publie son œuvre maîtresse, Nedjma, aux éditions du Seuil.
« Le succès du roman de ‘’Nedjma’’ s’est ajouté au succès des mitraillettes ; c’est-à-dire s’il n’y avait pas eu la révolution, ‘’Nedjma’’ serait passé inaperçu, ou alors il serait paru chez une petite catégorie de gens ; on lui aurait donné une place chez les gens qui écrivaient le français, mais d’outre-mer. Il ne faut pas oublier qu’avant la révolution, tout ce que nous pouvions écrire était frappé du sceau de l’infériorité à sa naissance ; par exemple, quand on parlait de littérature algérienne, on disait Albert Camus. On n’aurait jamais dit Mohamed Dib ou Mouloud Feraoun. Mon premier roman a été effectivement un succès ; il a été un succès en France. Fort heureusement pour moi, je n’ai pas été grisé par ce succès, parce que le succès dans ces conditions-là aurait pu être très dangereux ; il aurait pu m’enfermer dans la langue française, alors que ce n’est pas ma langue. ‘’Nedjma’’, c’est l’Algérie, voilà ! L’Algérie telle que je la voyais, telle que j’essayais de l’exprimer. Au bout d’un certain temps, je me suis dit : il faut que j’aille à Paris. J’étais encore fragile, je sentais qu’il fallait me renforcer, apprendre ; et puis aller dans la gueule du loup, dans la capitale de l’impérialisme. C’est là où l’épreuve décisive devait se passer. Alors, j’y suis allé, et à ce moment-là, je sentais qu’il était nécessaire de parler le français mieux que les Français ; c’est-à-dire qu’il fallait écrire un livre dans une langue telle, que les Français soient réellement ébranlés et se disent : c’est ça l’Algérie ».
Beaucoup d’analyses et de commentaires ont été faits à propos d’un roman qui a véritablement marqué son temps par le souffle, la verve et la complexité qui le caractérisent. L’écriture elliptique, à la Faulkner, ne fait pas des traditions de la littérature francophone si on exclut quelques vagues comparaisons avec le surréalisme. Des universitaires de par le monde ont écrit des mémoires et des thèses pour tenter de pénétrer ‘’Nedjma’’. Benemar Médiène, un ami intime de Yacine et un intellectuel averti écrit à ce propos : « Quand on dit que la poésie ou la littérature de Kateb est difficile, elle l’est, parce que également difficile pour lui. Elle est le produit d’un long travail de douleur, de souffrance, d’insomnie, de rage, de faim de froid ! Tout son être, tout ce qu’il est, est entièrement mobilisé pour dire : Ce peuple auquel j’appartiens, peuple d’Algérie mais aussi peuple du monde, je lui donne ce qu’il y a de plus douloureux en moi, ce qu’il y a de plus beau en moi, c’est-à-dire, à la fois l’amour, la rage, la passion, la liberté…Je la donne et je la donne à travers la poésie. Kateb était particulier parce qu’il créait quelque chose de volcanique, d’extraordinaire, par la force des mots et par la beauté du rythme. C’était un poète qui saisissait la vie de son peuple et qui la transcrivait dans le plus fabuleux des langages : dans le langage poétique, mais sans faire de concessions au peuple, sans faire de concessions à la littérature, parce que précisément il était proche et du peuple et de la littérature. Il voulait leur donnait non pas ce qu’il y a de plus simple ou ce qu’il y a de plus compréhensible, mais ce qu’il y a de plus beau… « .
Le théâtre ou l’audience élargie
Hormis Nedjma et un deuxième roman, Le Polygone étoilé, paru en 1966 au Seuil, Kateb Yacine consacra tous ses efforts au théâtre. Après Le Cadavre encerclé (1955), il écrira Le Cercle des représailles, La Poudre d’intelligence et Les Ancêtres redoublent de férocité (1959), La Femme sauvage (1963). Peu après l’indépendance, Kateb rentre au pays. Il ne cessera de se déplacer entre Alger, Paris et Moscou. En juin 1967, après un voyage à Moscou, il continue sur Pékin et Hanoi. En 1971, il écrit une nouvelle pièce : L’homme aux sandales de caoutchouc’, un hommage à la révolution vietnamienne. En 1971, il rentre définitivement en Algérie pour écrire ses pièces en arabe dialectale et les jouer avec sa troupe appelée Théâtre de la mer. Cette troupe prendra par la suite le nom de L’Action culturelle des travailleurs sous l’égide du ministère du Travail dirigé à l’époque par le patriote et homme de lettres, Ali Zamoum.
Dans un entretien avec Abdelkader Djaghloul (1986), Kateb déclare à propos de son choix de faire du théâtre en arabe populaire : « Le théâtre est pour moi le moyen de toucher le grand public. Lorsque j’écrivais des romans ou de la poésie, je me sentais frustré parce que je ne pouvais toucher que quelques dizaines de milliers de francophones, tandis qu’au théâtre nous avons touché en cinq ans près d’un million d spectateurs. (Même traduit en arabe littéraire cela revient au même) ; avec l’arabe littéraire, je ne touche que des intellectuels. Je suis contre l’idée d’arriver en Algérie par l’arabe classique parce que ce n’est pas la langue du peuple ; je veux pouvoir m’adresser au peuple tout entier même s’il n’est pas lettré, je veux avoir accès au grand public, pas seulement les jeunes, et le grand public comprend les analphabètes. Il faut faire une véritable révolution culturelle ».
En avril 1978, il est nommé directeur du Théâtre régional de Sidi Belabbès, et en Avril 1980, il s’installe à Alger. Sa mère meurt en octobre 1980 et lui ne cesse de faire le va-et-vient entre Alger et Belabbès. En Janvier 1987, il reçoit le Grand Prix des Lettres décerné par le ministère français de la Culture. Pour le bicentenaire de la Révolution française de 1789, il montera une pièce à Avignon sur Robespierre sous le titre Le Bourgeois sans-culotte ou Le Spectre du parc’. Kateb Yacine meurt d’une leucémie le 28 octobre 1989.
Achour Cheurfi écrit dans son Dictionnaire biographique des écrivains algériens, (Casbah Editions-2002) : « De l’écriture éclatée du ‘’Polygone étoilé’’ (1966) aux déclarations du ‘’Poète comme boxeur’’ (1994), une même fureur passionnelle, une même douleur vécue dans l’errance et soutenue par l’éblouissement de la création. Poète et boxeur, Kateb témoigne, à travers une œuvre peu abondante mais assez dense, de cette absolue volonté de demeurer ce qu’il a toujours voulu être : au sein de la perturbation, un éternel perturbateur ».
Amar Naït Messaoud
Quelques extraits des déclarations de Kateb Yacine :
l »Je crois que tous les artistes, tous les créateurs doivent être habités par le doute. Ils doivent toujours se demander s’ils ont bien fait, s’ils ont bien fini leur travail ; s’ils ont été jusqu’au bout de ce qu’ils ont écrit. D’où la tentation chez moi, perpétuelle, de toujours refaire ce que j’ai fait.
Par exemple, n’importe qu’elle page, même si elle me semble très belle, je l’écris maintenant, puis je la relis six mois plus tard. Il me vient d’autres idées, j’y reviens, je démarre sur autre chose et puis j’y reviens une troisième fois. Tout s’embrouille, s’emmêle. Si je garde la dernière version, je la publie et je suis délivré pendant un certain temps, mais si elle revient sous ma main, je réécris encore. »
In entretien avec Hafid
Gafaïti-Laphomic-1986
lLe choix de ne pas utiliser l’arabe classique au théâtre : « Ce sont des limites volontaires. Je ne veux pas connaître l’arabe classique. Si on prend la langue française par exemple, ce sont des poètes comme François Villon qui l’ont créée en la dégageant du latin.
Qu’est-ce qui est resté de tout le fatras des écrivains de la Sorbonne qui écrivaient en latin ? Rien ! Ce sont plutôt des voyous comme Villon et Rabelais qui ont fait la littérature française, la langue française même.
Ce n’est pas une question de méconnaissance de la langue. Aurais-je été Rimbaud, aurais-je fait des vers latins, comme il l’a fait lui, que je n’en aurais pas moins adopté la forme moderne qu’il a adoptée. Parce que ça ne va pas avec notre temps, c’est tout. (…) Je préfère les langues de la vie, parce que la littérature, pour moi, c’est la vie. (…) A l’heure actuelle, la langue que le peuple algérien parle et entend n’est pas l’arabe littéraire. Il a sa langue à lui, celle qu’il a faite. Il s’y reconnaît mieux et son génie y passe. Il est ridicule des fois quand il se met à parler l’arabe littéraire (…) Pour un art vivant, il faut une langue vivante. Ce n’est pas encore le cas de l’arabe littéraire. Il faudra que celui-ci se modernise et fasse la jonction avec la langue du peuple, au lieu d’être celle des perroquets et des pédants”.
ibidem
l L’Algérie arabo-islamique, c’est une Algérie contre elle-même, une Algérie étrangère elle-même.
C’est une Algérie imposée par les armes parce que l’Islam ne se fait pas avec des bonbons et des roses. Il s’est fait dans les armes et le sang ; il s’est fait par l’écrasement, par la violence, par le mépris, par la haine, par les pires abjections que puisse supporter un peuple. On voit le résultat (…) C’est Africain qu’il faut se dire. Nous sommes africains ; tamazight, c’est une langue Africaine : la cuisine, l’artisanat, la danse, la chanson, le mode de vie, tout nous montre que sommes Africains.
Le Maghreb arabe et tout ça, c’est des inventions de l’idéologie, et c’est fait pour nous détourner de l’Afrique. A tel point qu’il y a maintenant une forme de racisme. Un jour, j’ai entendu la musique malienne, j’étais bouleversé d’ignorer ça. C’est honteux.
Et pourtant, avec le Mali, nous sommes sur le même palier. Là aussi on voit l’arabo-islamisme sous sa forme maghrébine nous occulter l’Afrique, occulter notre dimension réelle, profonde.
In : entretien avec Tasadit Yacine : 1987
Réalisé à Ben Aknoun
Publié dans ‘’Awal’’- Cahier d’études berbères-1992
http://www.depechedekabylie.com/popread.php?id=11287&ed=1034
N° :1034 Date 2005-10-27
12 juin 2009
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