- Au pays des Amrouche
Retour aux sources
Arrivés au centre-ville d’Ighil Ali, la place principale, en ce jour du marché hebdomadaire, ouvre ses bras accueillants aux villageois venus remplir leurs couffins pour préparer «Tchiw Tchiw» ou le «Meqefoul», un plat bien local préparé à base de légumes et de couscous, le tout cuit à la vapeur.
Un vent froid étale son écharpe sur les plaines luxuriantes de la vallée de la Soummam en ce début mai. A l’embranchement menant vers Ighil Ali, village des Ait Abbas connu pour être le sanctuaire de la famille des Amrouche, des villageois attendent avec impatience l’arrivée des bus de transport qui pour rallier la ville de Sidi Aich vers l’Est, qui pour atteindre Akbou, vers l’Ouest. Dans un fourgon Kersan, nous prenons place aux côtés de Abdelhak, notre guide du jour. Celui-ci en fin connaisseur de la région nous apprend qu’Assif Ath Abbas, majestueux autrefois, est devenu un simple filet d’eau car dompté au niveau du barrage de Koudiat Aserdoune sur les hauteurs de Tikhjda. Chemin faisant, la route tortueuse dévoile dans un décor féerique, des maisonnettes altières encore restées debout face à l’incursion gloutonne du béton et l’acidité moribonde de l’usure. Arrivés au centre-ville d’Ighil Ali, la place principale, en ce jour du marché hebdomadaire, ouvre ses bras accueillants aux villageois venus remplir leurs couffins pour préparer «Tchiw Tchiw» ou le «Meqefoul», un plat bien local préparé à base de légumes et du couscous, le tout cuit à la vapeur. Au centre du village, ce sont des membres de la très active association Jean et Taos Amrouche, dont Hakim Saib, qui viennent à notre accueil. Première destination : le siège de l’association. Hakim et son camarade déplorent le fait que leur conglomérat associatif, unique espace de réflexion, soit prisonnier de certaines pesanteurs. Le bureau n’a pas été encore renouvelé et l’association est réduite de facto à la fois au «silence» et au «chômage».Une jeune fille, en hidjab, nous ouvre la porte et quel fut notre émerveillement de voir un tel spectacle ! Des livres annotés, comme on en trouve rarement dans nos villages, trônent majestueusement sur des étagères. On peut y trouver de tous les genres. De la littérature française jusqu’au livres scolaires de tous les niveaux. Sur un tableau planté au mur, une carte postale envoyée par Malek Ouary, autre immense écrivain de la région décédé il y a cinq ans dans l’anonymat à Argelès-Gazost, en France, est accroché et sur laquelle l’auteur du Grain dans la meule, roman relatant l’histoire d’une vendetta en Kabylie, exprime ses vifs vœux aux villageois à l’occasion du nouvel An. A coté, des dessins géants mis dans des cadres de Fadhma, Taos Jean merveilleusement esquissés par de jeunes dessinateurs du village, rappellent l’épopée et la saga d’une famille pas comme les autres. Des hommes et des femmes qui ont tous donné le meilleur d’eux-mêmes pour la littérature algérienne d’expression française et la préservation de la culture et du patrimoine kabyle, mille fois millénaire. «Qu’est ce qu’ils ont eu comme reconnaissance ?», s’interrogent les siens. Le commun des Algériens connaissent-ils leurs œuvres restées jusque-là sous le boisseau, voire dans l’ostracisme sciemment entretenu par les forces du mal et de la haine. ? Leurs torts, selon des clichés moyenâgeux , étaient d’embrasser la religion chrétienne et de s’abreuver de la culture des colons. C’est pour briser ce carcan de silence assourdissant que cette dynamique association a tenu d’organiser à la mi-février 2006 le centenaire de la naissance de Jean Amrouche. Une date hautement célébrée par les habitants de la commune dans l’euphorie et le recueillement. De nombreuses festivités et des conférences-débats animées par le journaliste et enfant de la colline, Abdelkrim Djaâd, l’écrivain Younès Adli et les deux chercheurs Abdenour Abdeslam et Kamel Bouamara, ont permis aux présents, venus des quatre coins d’Algérie, pour s’imprégner de l’œuvre amrouchienne. Des chanteurs de la trempe de Ferhat M’henni, maquisard de la chanson, et Oulahlou, néo-rebelle, ont mis chacun de son côté leur grain de sel pour la réussite de cet événement. On nous fait voir sur un CD des images vidéo, de mauvaise qualité, en raison de l’effet du temps, Marie Louise-Taos Amrouche, ravissante dans sa tenue traditionnelle, exposer dans la langue de Molière, depuis sa demeure en France, toute la beauté des bijoux berbères avant d’entonner de sa voix d’anciens chants de sa Kabylie natale. «Taos avait même contribué à la création de l’Académie berbère de Bessaoud Mohand Arab, en mettant sa maison à la disposition des militants berbèristes comme lieu de rencontre», raconte un membre de l’association. 10H30. Virée à l’école du village. A l’entrée, une plaque en marbre accrochée au mur depuis les premiers jours de l’Indépendance rend hommage à la mémoire de Jean Amrouche, «écrivain et patriote». A l’intérieur, de nouvelles salles de classe sont érigées au milieu d’une vaste cour. Seul souvenir immuable du passage des Pères et des Sœurs de confession chrétienne qui occupaient les lieux à l’époque de colonialisme, une cloche, trônant dans un petit coin, attire notre curiosité à tel point que nous n’avions pas résisté à la tentation de la faire tinter. Le veilleur de l’école, sourire aux lèvres, raconte, avec beaucoup de fierté, le passé de collège dans lequel les Pères Duplant,médecin actuellement établi à Constantine, Bernard et sœur Ermeille, et beaucoup d’autres, dispensaient des cours aux enfants du village au même titre que le catéchisme chrétien. Sortie d’une salle de classe préparatoire, une enseignante, dans sa blouse blanche et en bonne conseillère, nous invite à lire Histoire de ma vie, roman poignant et autobiographique merveilleusement tissé par Fadhma Ait Mansour-Amrouche. «Je me souviens qu’il y avait une fontaine appelée Tala Tahsent au quartier Marie-Rose ou bien le quartier des M’tournis (renégats)», relate-t-elle avant de nous convier à franchir le seuil d’une ancienne salle de classe. Au milieu des clameurs des bambins inscrits au cours préparatoire, l’aimable éducatrice lâche la bride à son admiration face au génie des ces Pères blancs et leur sens de l’organisation dans la réalisation de ce lieu de savoir. Remontant une petite ruelle, nous passons à côté de l’ancienne maison de Belkacem-Antoine Amrouche, père de Jean, sise au village des Chrétiens, quartier dans lequel les Pères Blancs menaient une vie paisible aux cotés d’autres kabyles convertis au christianisme. Traversant la place du marché, nous nous engageons, sous un soleil radieux, sur un raidillon pour atteindre le cœur du village semblable à La Casbah. Ses ruelles serrées, bitumés et propres défilaient sous nos pas pressés vers la demeure des Amrouche. Nous filons des venelles étroites bordées de maisons à la pierre taillée. Derrière une porte cochère, un spectacle quand bien même désolant, dégageait une grande sérénité. De la maison familiale des Amrouche, il ne subsistait que des vestiges et des ruines. Cependant, aussi étrange que cela puisse paraître, un sentiment insaisissable d’émotion nous prend à la gorge devant un lieu immémorial mais surtout mémorable, tabernacle des déboires de Fadhma, fille naturelle, et berceau de la naissance au forceps de l’illustre Jean, éternel Jugurtha, une certaine nuit poudreuse du 6 février 1906. Dans la cour intérieure, le minuscule escalier menant à la chambre à provisions gît par terre. C’est dans cette petite pièce que Fadhma écrivait dans une lettre le 21 juillet 1950 à son fils à Paris ceci : «Pendant que j’écris la maison est silencieuse, j’écris à côté de la fenêtre. J’ai dû tirer un peu les volets car la lumière est aveuglante. Le grand figuier est chargé de fruits, mais ils sont loin d’être mûrs. J’habite l’étage seulement. Je ne rentre jamais dans les pièces d’en bas ; trop d’ombres les occupent, elles sont restées dans l’état où les a laissées ta grand-mère. Sur les murs on voit encore les traces des ses mains.» Après avoir eu sa retraite des chemins de fer tunisiens en 1953, Belkacem- Antoine en compagnie de son épouse Fadhma rentrent au village natal tandis que Jean ne rendit plus visite à ses parents depuis 1956.Auparavant, il avait pour habitude de visiter Ighil Ali tout comme il prenait place à Tajmaât, lieu de rencontre conviviale. Messaoud, jeune descendent des Amrouche, la trentaine, nous invite à visiter la maison familiale de ses aïeux. Il raconte, non sans fierté, que Taos est venue dans cette même maison en 1973. «Il y a eu un malentendu entre Taos et le Président Boumediene qui l’avait interdite de participer au Festival culturel panafricain d’Alger en 1969. Ce n’est qu’après l’intervention de l’ambassadeur de France qu’elle a pu regagner l’Hexagone », indique-t-il d’une voix rendue inaudible par les aboiements d’un chien de chasse devenu vigile de la maison «oubliée». Il ajoute que «Taos avait à l’époque la langue facile dès son jeune âge à tel point que les femmes l’enviaient». Le soleil encore au zénith, Hakim nous convie à visiter le nouveau siège de l’association. Nous filons à travers azriv Iwedrissen (rue des Dris), des Ath Kechida et celui d’Ath Moussa pour enfin déboucher sur un sentier escarpé et longé par un petit cimetière. Derrière une porte imposante sculptée par un citoyen des Ath Abla, tribu connue pour la finesse et la splendeur des portes sculptées, une salle grande et surmenée d’une petite scène, semblable au théâtre, renseigne sur la nature des activités dispensées par l’association Jean et Taos. La fierté de membres de cette association tient du fait que le nouveau siège a vu le jour grâce à leurs efforts. Difficile de nous séparer des sensations que procurent le «village d’en haut», comme Fadhma aimait l’appeler. Nous reprenons le même chemin et surtout les mêmes ruelles avec un air de nostalgie. Ces maisons, bien qu’en décrépitude, dégagent des effluves et des senteurs que seuls nos anciens villages de Kabylie savent en exhaler. Nous traversons L’hara Ath L’djoudi, au milieu du boucan créé par des jeunes en conciliabule. Messaoud Amrouche nous fait le vœu de voir la maison des ses aïeux, «squattée» après la mort de son cousin Belkacem, devenir un lieu d’histoire et de mémoire. «Un musée du village», espère-t-il. Une veille femme venu faire ses emplettes dans l’épicerie du coin, n’a pas tardé à se mêler à la discussion. «Eux (la famille de Belkacem et ses enfants) n’ont laissé que des souvenirs restés gravés dans nos mémoires. Etant enfant, je me souviens des visites fréquentes de Jean El Mouhoub chez mon père. Ils faisaient ensemble des randonnées dans les champs en chassant les perdrix», se rappelle-t-elle. Ces témoignages rappellent, si besoin est, que Jean était d’une infinie modestie et toujours en contacts avec ses amis d’enfance.
De la Maison des jeunes, le son d’une musique occidentale assourdissait nos oreilles. L’intérieur, véritable nid douillet ressemble à une fourmilière. Des tableaux chamarrés sont accrochés aux murs. Confortablement installé sur un canapé, Brahim, directeur du foyer et ancien cadre en sports, plante le décor d’une discussion amicale. «Ces jeunes ont besoin de formation et de sorties», dit-il d’emblée avant de nous rappeler que les fresques sur les murs intérieurs sont esquissées par des enfants qui n’ont rien à avoir avec l’école des Beaux-Art. «Magnifiques !», avions nous hasardez. Il affirme que les enfants suivent des formations en peinture d’arts plastique, en théâtre, chorale ou initiation à l’informatique. Sous les regards bienveillants d’un portrait de femme, notre interlocuteur lâche, un tantinet dépité : «il y a trop d’indifférence. Il n’y a aucune considération». En sus de la peinture et de tout l’attirail, il dit incapable à la longue de payer aux enfants une toile au prix de 850 DA. En dépit du manque de moyens, de nombreux jeunes amateurs inscrits aux différents concours ont réussi tant bien que mal à décrocher des premières places. C’est le cas de Nassima Hamouche, jeune adolescente qui a été primée pour une première place lors d’un concours national pour enfants et retenue pour participer à autre concours au pays des Pharaons. D’autres garnements, doués jusqu’aux ongles, ont réussi à décrocher la timbale en remportant, haut la main, les premiers prix dans des concours nationaux de théâtre et de chorales. Continuant notre périple, nous avons été frappés d’admiration, une fois à l’intérieur de la salle de lecture, en tombant sur des archives d’une grande richesse, soigneusement empilés dans des portes-documents. En fait, les archives en question sont des articles de presse, notamment française, datant pour certains de l’époque coloniale, relatant la grandeur et la sensibilité des œuvres des Amrouches. M.Brahim, émet le souhait de voir cette structure devenir plus importante pour répondre aux besoins pressants des jeunes d’autant plus que la population de la commune d’Ighil Ali est estimée à plus de 11 000 habitants. Nous quittons cette petite fourmilière… de graines de stars pour une escale à l’APC. Sur les murs, des appels placardés appellent naïvement les citoyens à participer aux élections du 17 mai prochain. Les Ighil Aliens semble avoir la tête ailleurs, occupées plus tôt à s’inquiéter de la disparition du sachet de lait. Qu’espèrent-ils ? Première revendication des élus de la commune est la zone d’activité industrielle et commerciale (ZAC) d’El Bouni. Derrière son bureau, l’adjoint du maire affirme que le dossier est entre les mains de toutes les instances concernées par ce projet, y compris la Chef du gouvernement. La demande semble tomber dans l’oreille d’un sourd puisqu’aucune suite n’a été réservée à un projet que la population, impatiente, attend depuis belle lurette. «Pour sédentariser la population, il faut des postes d’emploi. Ici, il n’y a pas d’assiettes de terrains. La région se vide de plus en plus de ses enfants. Il est primordial de créer des zones d’activités.», insiste-t-il. Intervenant, pour sa part, l’édile municipal explique que le seul moyen de trouver une solution à une requête vieille de plus de 20 ans, date des premières démarches, est l’arrêté gouvernemental. En effet, depuis l’Indépendance, la population locale, désenchantée par des lendemains incertains, ne croit plus à la terre nourricière d’autrefois. Face à la rudesse de la vie et les nouvelles exigences des temps modernes, inexistantes au demeurant dans les villages kabyles, des familles entières Ighilaliennes ont pris le chemin vers d’autres villes en quête de cieux plus cléments. Autre vœu ? L’installation d’un groupe d’intervention d’éléments de la Protection civile et le transfert de l’actuelle annexe en Centre de formation professionnelle afin d’épargner aux enfants stagiaires des navettes de trop, mais surtout onéreuses aux parents vers Tazmalt ou Akbou sur un parcours de plusieurs kilomètres. Jusque-là, que du vent. ! «Le siège de la Protection civile est disponible depuis belle lurette. Ils disent qu’il y a un manque d’équipements», lâche, dépité notre interlocuteur, las d’attendre. D’autres problèmes subsistent encore, notamment en matière de couverture sanitaire ou sociale. Cependant, le maire s’est montrée satisfait d’avoir apporté quelques changements puisque, dit-il, 80% des objectifs tracés par l’APC ont été atteints. Voulant étayer ses propos, il affirme avoir trouvé une APC endetté de 1.5 milliard de dinars. «Lors de notre installation des services allaient à vau-l’eau. On a dû assainir la situation administrative», rappelle-t-il. Mais, force est de constater que malgré les efforts, beaucoup reste à faire dans ce coin pittoresque. Autre destination : le cimetière chrétien, situé aux abords de la nouvelle école primaire. Sur une parcelle de terrain parsemé de violettes et d’herbes sauvages envahissantes, s’étalent majestueuses des sépultures abandonnés à leur triste sort. Sur l’une des tombes on peut lire «R.P.Marcel Le Diouron. Née 1906. Décédé : 29 juillet 1937». Sur une autre : «Réné Ouary» Des interrogations coulent de source. Ces oubliés ensevelis sous la terre reçoivent-t-ils la visite des siens ? Leurs familles savent-ils au moins que leurs enfants, époux ou proches dorment-t-ils du sommeil Eternel sur ici en terre kabyle. Personne pour nous répondre. Nous laissons les morts reposer en paix. A quelque mètres de là et derrière un portail peint en vert et criblé de balles, réminiscences douloureuses des évènements tragiques du Printemps noir, un espace vide s’offre à nos yeux. Jadis somptueuse, la batisse qui servait autrefois de couvent aux Sœurs blanches avant de devenir plus tard une brigade pour la gendarmerie, a été abattu, au sens propre du terme, par les autorités locales pour des raisons inavouées. Cela, en dépit de la protection garantie par des textes législatifs portant protection du patrimoine historique national existant. Pour les villageois, ceci est un véritable coup pour la mémoire collective des villageois, notamment ceux qui avaient côtoyé ces lieux d’apprentissage. «C’est un véritable gâchis ! On aurait dû en faire un lieu de mémoire et de pèlerinage», lâche-t-on un avec soupir d’impuissance et de regret.
Nous quittons la colline oubliée en dévalons les chemins escarpés avec un sentiment de bonheur d’avoir foulé la terre bénie, berceau d’une race d’hommes et de femmes restés debout, mais surtout révoltés par le sort inacceptable dont lequel sont confinés Fadhma, Jean, Taos, Malek ainsi que leurs descendants d’aujourd’hui.
Nabila Belbachir et Hocine Lamriben
14 octobre 2009 à 19 07 39 103910
Bonjour,
c’est en faisant des recherches sur le Père Blanc Marcel le Diouron (né à Bourbriac, département des Côtes d’Armor -autrefois Côtes du Nord) et dont la tombe est mentionné dans cet article très intéressant que j’ai trouvé votre site ; il est plein de vie. La famille du Père Le Diouron (mort en essayant de sauver un enfant de la noyade) espère aller un jour se recueillir sur sa tombe à Ighil-Ali. Heureux de savoir qu’elle existe encore.
Amical bonjour de notre Bretagne !
J. P
14 octobre 2009 à 19 07 40 104010
j’ai déjà envoyé mon commentaire !