- Trois questions à..
Tahar Ben Jelloun
Son nouveau roman, « Partir » est classé parmi les meilleures ventes actuellement en France. Ben Jelloun est l’écrivain maghrébin le plus lu et le plus célèbre. Il a reçu le prix Goncourt en 1987 pour son roman “La nuit sacrée”.
Comment se situe ce roman dans votre œuvre ?
Faire une œuvre c’est comme construire une maison ; on ajoute une pièce à l’ensemble sans défigurer l’architecture globale. Il y a une cohérence, même si les thèmes traités dans les autres livres sont différents les uns des autres. Témoin de mon époque, témoin de ma société, j’observe et j’écris, je regarde et je recrée. De Harrouda (1973) à “Partir” (2006) on peut retrouver des thèmes récurrents, des sujets inépuisables, des personnages qui me hantent et qui reviennent sous d’autres noms ou en gardant leur nom comme Moha. Je suis parti d’un constat simple : de plus en plus de jeunes Marocains désirent partir travailler et faire leur vie ailleurs, en Europe principalement et parfois en Amérique du Nord.
Ce désir est violent, obsessionnel, inquiétant, voire névrotique. Partir à tout prix, même si on risque sa vie.
Cette volonté de s’en aller avec une telle détermination, n’existait pas à mon époque, c’est-à-dire dans les années 60-70. Certains quittaient le Maroc pour fuir la répression et pour mener le combat pour les libertés à partir de l’étranger, mais la plupart ne rêvaient que d’une chose, c’est de revenir dans leur pays.
Aujourd’hui, les difficultés économiques ont remplacé le malaise politique et le manque de liberté. On cherche à s’en aller parce qu’on pense qu’ailleurs on trouvera du travail. Mon personnage principal, Azel, est un diplômé chômeur ; il a fait des études supérieures, il a voulu servir son pays, mais il n’a pas trouvé de travail ; il passait ses journées à traîner dans les cafés, à ressasser son désir de s’en sortir et à mariner dans l’échec. C’est pour cela qu’il n’hésitera pas à accepter l’offre d’un dandy homosexuel espagnol. En partant avec Miguel, il répond à une de ses attentes, mais il évalue mal le prix à payer : trahir sa sexualité. Cela ne pardonne pas.
Le roman n’est pas très optimiste, pourquoi cette noirceur ?
Ce n’est pas le roman qui n’est pas optimiste, c’est la réalité. Le romancier n’est pas là pour enjoliver la vie ; il doit montrer à travers la fiction combien cette vie est chargée d’injustices, de blessures, de problèmes.
Cela dit, la fin est pour moi une ouverture sur quelque chose de meilleur, mais ce n’est pas le happy end traditionnel, la fin reste ouverte sur plusieurs possibilités. Le roman se situe dans les années 90 au moment où Hassan II décide d’assainir le Nord du pays où sévissaient des trafiquants de drogue, des mafieux, des délinquants etc. Il s’achève à l’arrivée de Mohamed VI et cette arrivée est perçue par un des personnages comme la promesse d’une vie propre, un avenir pour le respect des droits de l’Homme et des libertés.
C’est un livre politique ?
Tout regard est politique. Ce n’est pas idéologique, mais la littérature s’empare du réel avec sa complexité et le redonne dans une fiction qui souvent est en deça de la réalité.
Le Maroc est un pays qui bouge et qui avance, certes lentement, mais qui promet de ne plus tomber dans les années de plomb qui ont endeuillé des dizaines de milliers de familles. Ce roman qui vient après «Cette aveuglante absence de lumière » (2001) accompagne ce nouveau Maroc. Optimiste mais prudent, vigilant.
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12 juin 2009
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