- Entretien avec Yves-Julien Pescheur, responsable des éditions Safraber (France)
“Nous allons aider les jeunes auteurs à éditer leur œuvres”
Yves-Julien Pescheur est un éditeur français qui vient de créer sa propre maison d’édition, 44 ans après son passage en Algérie, en tant que jeune appelé au Sahara. Il revient dans notre pays, où il constate qu’il continue à découvrir encore bien des choses. Ce n’est qu’en 2005, qu’il découvre la Kabylie et la culture berbère. Depuis ça été pour lui un coup de cœur. En Kabylie, il découvre des potentialités importantes parmi les jeunes, particulièrement dans leur faculté d’écrire et de créer des œuvres. Conscient des difficultés, i
l a mis sa maison d’édition au service de ces jeunes écrivains aux énergies bloquées, afin d’éditer et d’assurer la promotion de leurs œuvres qui ont trait à la culture berbère particulièrement. Rencontré dans la soirée de mercredi à Tizi Ouzou, Yves-Julien Pescheur a bien voulu répondre à cœur ouvert aux questions de la Dépêche de Kabylie.
La Dépêche de Kabylie : Qui est Yves-Julien Pescheur ?
Yves-Julien Pescheur : Je suis un aventurier rêveur. J’ai découvert l’Algérie dans les années 60, à une époque où je n’étais pas forcément bien en phase avec moi-même. Le contact avec le désert m’a totalement transformé. Je suis resté deux ans dans la compagnie militaire de l’époque. Je suis resté en France avec une petite différence. J’ai découvert que la vie était différente de ce qu’ils m’ont appris au préalable. A partir de ce moment-là, je suis resté en contact permanent avec l’Algérie. J’y suis revenu en 1969, au cours d’un stage d’échange entre jeunes algériens et jeunes français. Nous avons étudié l’autogestion. Par la suite, j’ai eu la chance d’être adopté par une famille qui avait vécu avant l’Indépendance à Constantine, puis en Tunisie. J’ai gardé beaucoup de liens à travers cette famille avec d’autres Algériens. J’ai fêté mon mariage en 1989, il y avait à la cérémonie 700 Algériens. Nous n’étions que deux Français. J’ai rencontré beaucoup d’autres jeunes algériens, sans trop me rendre compte qu’il y avait des Kabyles. A l’époque en France, on ne faisait pas la distinction. Jusqu’en 2005, je suis resté sans savoir la réalité de l’identité kabyle. J’ai découvert cela très récemment après ma rencontre avec Mohamed Lounnas.
Plus de 40 ans après votre passage en tant que jeune soldat appelé, ayant fait son service au Sahara, vous revenez et vous redécouvrez l’Algérie, comme si quelque chose vous liait à ce pays ?
Je ressens beaucoup de choses sans pouvoir les décrire. Il existe en moi un lien depuis plus de 40 ans, depuis que j’ai eu un le contact avec les étoiles. اa m’a mis en valeur, ce sont des choses qui m’ont beaucoup marqué, sans trop savoir pourquoi.
Peut-être que je découvrirais plus à travers projet que nous allons mettre en route. Et de ce fait, découvrir la culture berbère avec une joie immense et une passion vivante.
A présent, vous êtes pour quelques jours en visite à Tizi Ouzou, peut-on connaître l’objet de ce séjour en Kabylie ?
A partir du moment où j’ai découvert qu’il y a tout un patrimoine culturel qui ne s’est transmis à travers des siècles que par l’oral, avec Mohamed Lounnas issu du terroir, j’ai décidé de créer une société qui permettrait à des jeunes auteurs, jeunes écrivains et moins jeunes de s’exprimer à travers l’édition de leurs livres qui serait faite dans le système classique français, c’est-à-dire avec des droits d’auteur et la propriété intellectuelle. Non pas à compte d’auteur comme c’est la pratique apparemment en Algérie. Nous avons commencé à travailler sur ce projet depuis un an. Maintenant nous arrivons à la phase finale, puisque je suis venu ici pour chercher un local et créer une SARL. En même temps, nous avons loué un local et crée une SARL en France. Il y aura deux sociétés : droit algérien et droit français, afin de développer l’activité sur les deux continents.
En Algérie, il existe par mal de talents et de jeunes voués à l’écriture, mais éditer un livre en Algérie relève du parcours du combattant. Les jeunes ont la matière, mais n’ont pas les moyens d’éditer et faire connaître leurs œuvres. Est-ce qu’avec votre entreprise, les choses seront plus faciles ?
Avec tout ce que j’ai lu et tout ce qui a été dit par les éditeurs algériens, on a l’impression que c’est très difficile d’imprimer et diffuser le livre. J’estime que ce sont des impressions. Il faut oser aller au-delà. On va mettre des moyens pour cela. On va établir des contrats avec de jeunes auteurs algériens, particulièrement de la Kabylie, du fait que c’est l’histoire des Berbères qui nous intéresse. On va proposer des contrats d’édition, payer les droits d’auteurs. On va imprimer et diffuser des livres, tant sur le territoire algérien que français. Faire le porte-à-porte chez les librairies et les grandes maisons d’édition en France, pour faire connaître tous ces jeunes auteurs. On va les rencontrer et leur proposer toute cette littérature et culture berbères.
Vous venez de signer des contrats avec Kamel Sabi et Noufel Bouzboudja pour éditer leurs livres en France. Est-ce que vous vous intéressez à une catégorie bien précise ou à tous les auteurs ?
On a commencé à poser des affiches au sein de l’université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, il y a huit mois environ. On a rencontré quelques auteurs à l’époque. Ces quelques auteurs sont 45 actuellement. Les manuscrits, nous les confions au comité de lecteurs, composé souvent d’enseignants, et de littéraires en France qui travaillent dans l’anonymat, c’est-à-dire sans connaître les auteurs. A partir de là, ils nous font des comptes-rendus. Nous nous décidons sur la base de la majorité des 2/3 de ce comité. Nous acceptons absolument tout : la littérature, la poésie, la cuisine à condition que cela ait une référence avec l’identité berbère.
Avez-vous d’autres projets afin de libérer les énergies bloquées des jeunes créateurs de notre pays ?
Nous avons un projet très avancé que nous avons prévu pour le mois de mars 2007. اa sera un séminaire à Takuna, un petit village berbère en Tunisie. Pourquoi dans ce pays, car à ce niveau, il est beaucoup plus aisé de faire venir des écrivains algériens en Tunisie qu’en France. Et l’accueil qui nous a été réservé à Takuna était également excellent. La gestionnaire du musée est une femme, qui nous aidera beaucoup à tenir ce séminaire. Nous allons tenté aussi de faire intervenir à l’occasion de manifestations en France, tous les écrivains qui auront été édités par cette faveur.
Pour conclure, quel est votre message aux jeunes auteurs et à la population de Kabylie ?
Aux auteurs, je leur dirai : “ةcrivez”. Depuis que je lis les auteurs kabyles, j’ai l’impression de renaître. Je découvre de plus un français qui n’est plus utilisé en France. C’est tellement beau. On a l’impression que tous ces jeunes font un travail de recherche que beaucoup de Français n’osent plus faire. Il faut que les jeunes Berbères osent et aillent jusqu’au bout de leur recherche et de leurs envies, et c’est l’épanouissement qu’ils obtiendront.
Quant à la population kabyle, je la remercie de son accueil fantastique, à travers les rencontres que je fais depuis 8 jours. Jamais je n’aurais pu trouver autant d’enthousiasme en France. Il y a une authenticité. Je ne sais comment les remercier. Même si on ne peut faire qu’un travail de fourmi pour eux, pour les faire connaître, travailler sur cette ignorance qui a génèré tant de malentendus au sein des cultures occidentales. Je suis ému. J’ai envie de continuer et foncer avec eux jusqu’au bout.
Entretien réalisé par
Mourad Hammami
http://www.depechedekabylie.com/popread.php?id=29766&ed=1343
12 juin 2009
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