RSS

Les apports de Abdallah Laroui

12 juin 2009

LITTERATURE

La dépêche de kabylie

N° :1080     Date  2005-12-22

  • Histoire du Maghreb/ Les apports de Abdallah Laroui
    Au-delà des faits : les hommes, les structures et les mentalités


L’historiographie maghrébine a été pendant longtemps l’apanage des chercheurs et des historiens étrangers, particulièrement français. Cette partie importante du bassin méditerranéen et de l’Afrique du Nord a joué un rôle historique dans la formation du monde antique, médiéval et contemporain. Indépendant ou colonisé, terre ayant accueilli les autres civilisations ou propagatrice elle-même de civilisation et de culture, le sous-continent maghrébin ne laisse pas en tout cas indifférents les analystes de l’histoire et les chercheurs de tous bords ayant pour objet d’étude les faits du passé, l’organisation des sociétés et l’analyse géostratégique du monde moderne.

Les auteurs de l’“Anthologie maghrébine’’ (Hachette, 1965) écrivent dans leur préface : « Terre de civilisation, le Maghreb occidental doit à sa situation géographique d’avoir attiré, au cours des siècles, l’attention, la convoitise, aussi bien que la défiance des peuples à vocation méditerranéenne. Sa position excentrique dans un ensemble méditerranéen anciennement organisé, ne pouvait manquer de lui valoir cette accablante faveur. Sommet d’un continent clos, crête de l’Afrique, le Maghreb occidental se présentait au monde antique, isolé, entre une mer fermée et un désert de sable.
Pourtant, cette position ingrate devait lui valoir d’être une des bases de départ de la grande aventure humaine (…) Terre de civilisation, le Maghreb porte en ses flancs, dans ses campagnes comme dans ses cités, dans son architecture comme dans ses peuplements et dans ses modes de vie, dans ses parlers comme dans son patrimoine culturel artistique, la marque, le signe de tous ceux qui, l’un après l’autre, l’un contre l’autre parfois, mais contre l’homme de ce sol toujours, tentèrent- sans y réussir réellement et définitivement- d’imposer leur domination, leurs lois, leur langue.”
L’histoire du Maghreb écrite par les Maghrébins aux temps reculés de l’Antiquité et du Moyen-âge reste une denrée rare. Nous connaissons quelques exemples de voyageurs et d’hommes de lettres versés dans la connaissance des faits sociaux, politiques et économiques de ces époques : Tertullien, Abou Zakaria, le géographe El Idrissi, El Tidjani, Hassan El Wazzane dit Léon l’Africain,…Mais celui qui donnera ses lettres de noblesse à l’étude de l’histoire, c’est bien le grand Ibn Khaldoun qui fut à l’origine des méthodes modernes de l’analyse historique basée sur l’observation des faits sociaux et économiques.
Une grande masse d’informations historiques sur le Maghreb a été le fait d’historiens étrangers depuis Hérodote, Polybe et Salluste jusqu’à Charles André Julien, Jacques Berque en passant par les ethnologues coloniaux.
Dans le Maghreb moderne, des essais importants ont été réalisés par certains historiens même si une vision d’ensemble de l’histoire reste toujours à faire. Certains segments ou périodes de l’histoire ont bénéficié plus que d’autres de l’attention des historiens maghrébins. Dans ce contexte, Tawfiq El Madani, Mohamed Cherif Sahli, Mostefa Lacheraf, Mohamed Harbi, Mohamed Taguia, Slimane Rahmani ont accompli un travail remarquable dans la connaissance de certaines périodes précises de l’histoire de l’Algérie. D’autres auteurs ont vulgarisé des pans particuliers de l’histoire ou ont fait connaître certaines personnalités qui ont fait l’histoire de notre pays. Nous pouvons citer dans ce domaine Ahmed Akkache, Tahar Gaïd et Tahar Oussedik. Quant à Mahfoud Kaddache, il se présente comme étant celui qui a embrassé la plus longue période de l’histoire de l’Algérie, livrée sur plusieurs volumes, allant du néolithique maghrébin jusqu’au Mouvement national qui a enfanté Novembre 1954.
Reste le traitement de la ‘’matière’’ historique elle-même et de la méthodologie adoptée par les auteurs pour aborder un sujet aussi sensible de la vie des peuples et des nations. Sans entrer dans le débat philosophique et la polémique entretenue par les écoles et les tendances de l’écriture de l’histoire, il y a cependant lieu de noter au moins les deux grandes visions ou pratiques en vigueur dans ce domaine. Nous connaissons l’écriture de l’histoire qui consiste à relater les faits et les événements politiques, les succession des pouvoirs, les luttes de sérail, les invasions, les guerres,…C’est généralement la plus connue et la plus répandue au point de s’imposer dans la plupart des manuels scolaires.
Cette forme d’écriture privilégie les personnes/personnages, les dates et les événements. Une forme améliorée de cette tendance est nourrie par les chroniqueurs, voyageurs et pérégrins qui, dans leurs tentatives de rapporter certaines curiosités culturelles, culinaires et religieuses, ne sont pas loin de la littérature.
L’autre méthodologie, qui suppose un sens aigu de l’observation, un regard critique sur la vie des hommes, les systèmes et les modes de production, la distribution des richesses, le prélèvement de l’impôt, la différenciation des classes sociales et l’utilisation de la technique, se donne pour tâche de parler de l’histoire dans toute sa complexité et dans tout ce qui fait d’elle le moment présent, l’actualité, d’une époque donnée. Des esprits bien pensants ont vite classé ce genre d’auteurs parmi les historiens marxistes ou marxisants. Qu’importent les qualificatifs, la description des faits économiques, sociaux et culturels dans une perspective de l’écriture de l’histoire a été d’un apport considérable dans la connaissance des sociétés du passé et dans l’explication de leur situation actuelle. En France, personne ne peut se passer aujourd’hui des outils et instruments mis à la disposition des historiens par Fernand Braudel, ancien professeur à Constantine et à Alger qui a su distinguer ce qui est structurel, conjoncturel ou simplement événementiel dans la vie des peuples.

Laroui et l’histoire du Maghreb

Parmi les historiens maghrébins, nous trouvons une méthodologie ‘’fédératrice’’ entre Mostefa Lacheraf, Mohamed Harbi et Abdallah Laroui. Tout en étudiant particulièrement l’histoire du Mouvement national algérien et de la guerre de Libération nationale, les deux auteurs algériens présentent de fortes similitude avec le Marocain Abdallah Laroui dans l’appréhension des faits sociaux et économiques en tant qu’éléments moteurs de l’histoire en général et de l’histoire des pays maghrébins en particulier. Pour reprendre une affirmation de Jean Pierre Doujon dans son ‘’Histoire des faits économiques et sociaux’’ (OPU, 1993),  » Les idées et les systèmes d’idées ne sont pas à l’origine des processus historiques, ils ne sont que les reflets, dans la pensée, des questions matérielles auxquelles les groupes humains sont confrontés (…) Les idées expriment les activités sociales des hommes, leurs réussites, les problèmes qu’elles posent, les conflits qu’elles suscitent (…) Si le mouvement vers la conscience n’est pas le moteur de l’histoire il s’avère nécessaire pour qu’aboutissent, au plus vite et au mieux, les processus inconscients auxquels les différentes périodes historiques ont donné naissance ».
La publication, aux éditions Maspero (1975), de ‘’L’Histoire du Maghreb’’ a été un événement considérable dans la nouvelle historiographie maghrébine assurée par les Maghrébins eux-mêmes. Les deux tomes de cet ouvrage totalisent quatre cent pages et abordent l’histoire de cet espace appelé Maghreb de l’Antiquité à la décolonisation.
Un défi que Abdallah Laroui a relevé avec une vision de l’histoire qui se situe au-delà de l’approche factuelle et événements conjoncturels.
Dans son introduction, Laroui pose déjà les jalons de ce que sera sa vision et sa méthodologie : « Un thème bien familier à toute l’historiographie de la période coloniale est celui de la malchance du Maghreb : malchance de n’avoir pas reconnu la valeur civilisatrice de la conquête romaine, malchance d’avoir dû accepter l’Islam, malchance d’avoir subi l’invasion hilalienne, malchance d’avoir servi de base à la piraterie ottomane…Mais, n’a-t-on pas plus de raisons de parler d’une autre malchance ? Celle d’avoir toujours eu des historiens d’occasion : géographes à idées brillantes, fonctionnaires à prétentions scientifiques, militaires se piquant de culture, historiens de l’art refusant la spécialisation et, à niveau certes plus élevé, des historiens sans formation linguistique ou des linguistes ou archéologues sans formation historique ; les uns renvoyant aux autres, les premiers s’appuyant sur l’autorité des seconds, il se forme ainsi une conjuration qui fait circuler les hypothèses les plus aventureuses pour finalement les imposer comme des vérités acquises. Il est vrai que du côté des Maghrébins on n’est guère mieux servi : tiraillé entre les ruminants d’un autre âge, les chefs politiques et les instituteurs, le lecteur ne peut se consoler qu’en se disant qu’après tout leur quiète certitude n’est pas plus infondée que celle de leurs adversaires, qu’ils honorent d’ailleurs souvent plus que de raison ».
Laroui reconnaît que son entreprise apporte peu de nouveauté sur le plan des faits historiques. C’est par l’interprétation de certains faits d’histoire que l’auteur diffère des historiens coloniaux.
C’est lui-même qui l’affirme et ce n’est pas peu de chose lorsqu’on sait les manipulations et les déviations qu’a subie l’histoire du Maghreb à cause de ces interprétations pas toujours bien intentionnées.
« L’histoire ne fut jamais envisagée par moi en tant que métier. Elle est par ailleurs un élément fondamental des sciences dites humaines et sociales et les sciences administratives ou politiques ne sont pas autre chose que sa conceptualisation.
L’enseignement de l’histoire tel qu’il était dispensé à Science-Po me familiarisa avec les grandes fresques sociales et économiques, le développement des grands ensembles, loin des études minutieuses sous l’angle événementiel qui avait cours à la Sorbonne », affirme Laroui dans un entretien au ‘’Jeudi d’Algérie’’ du 16 juillet 1992. Il ajoute : « Mon univers intellectuel familier est composé pour l’essentiel de ce que l’on pourrait appeler des philosophes sociaux, c’est-à-dire, des hommes qui ont pris pour objet de réflexion la société, le mouvement historique, ou même l’humanité. Je ne les confonds pas, je tiens à le souligner, avec les sociologues de métier. Ibn Khaldoun, Montesquieu, Machiavel, Marx,…et ceux de ma génération qui ont réfléchi sur leurs œuvres, voilà ceux qui m’accompagnent. »
Au sujet de la modernité, un concept par ailleurs trop galvaudé qu’on affuble de toutes les acceptions qui lui sont étranges et étrangères, Laroui dira : « Les Arabes attendent qu’on leur dise ce qu’est la modernité. La modernité se sent, se vit, elle s’exprime au travers de deux phénomènes majeurs de notre temps : la guerre et le commerce international (…) L’homme traditionnel, c’est l’homme plein, plein d’idées, de certitudes j’entends. Alors, il y a réponse à tout. Pas de place pour l’incertitude, ce que je nommerai le vide. Sa force, croit-il, ce sont ses valeurs. C’est seulement quand ses croyances (ce à quoi il croit) perdent de leur validité, quand sa belle assurance est ébranlée, par l’expérience, l’histoire, la critique, qu’il se découvre soudain ‘’vide’’. A ce moment là, il devient moderne. Ce face-à-face avec le vide le force à agir, à entreprendre, le pousse à une action continuelle (…) Certes, chaque individu est là par la modernité dépouillé de sa quiétude. Mais la société y gagne. Car, l’inquiétude, aussi inacceptable que cela puisse paraître, rend les individus productifs. C’est le principe même du fonctionnement de l’économie politique. La quiétude, c’est ce qui détourne du travail ».
Le livre de Abdallah Laroui nous plonge dans les réalités sociales maghrébines de la période berbère/romaine, de l’ère de l’islamisation, des moments forts des Etats autonomes musulmans du Maghreb, de l’occupation turque et de la colonisation française.
L’œuvre est d’une saisissante modernité par l’approche qu’elle fait des faits sociaux et économiques, de leur substratum et des enjeux de pouvoir et de classe auxquels ils donnent naissance.
Abdallah Laroui  est né le 7 novembre 1933 à Azemmour (Maroc). Diplômé d’études supérieures d’histoire et agrégé d’arabe en 1963. Professeur à la Faculté de Lettres de Rabat.

Principales œuvres de Laroui (aux éditions Maspero) :
-L’Idéologie arabe contemporaine, 1967
-La Crise des intellectuels arabes, 1974
-L’Histoire du Maghreb, 1975
-Les Origines sociales du nationalisme marocain, 1977

Amar Naït Messaoud

 

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

Voir tous les articles de Artisan de l'ombre

S'abonner

Abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir les mises à jour par e-mail.

Une réponse à “Les apports de Abdallah Laroui”

  1. laroui djilali Dit :

    vous pouvez donner une référence ou un non de son écriture.merci

Académie Renée Vivien |
faffoo |
little voice |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | alacroiseedesarts
| Sud
| éditer livre, agent littéra...