- ll est sorti récemment chez “Gallimard”, à Paris
Le roman jubilatoire de Romain Gary
On ne se lasse jamais de parler de lui et de son oeuvre monumentale. Romain Gary est une nouvelle fois l’objet d’un autre livre. Un de plus, en attendant les autres. Car il y en aura d’autres.
Les textes sont rassemblés et présentés par Jean-François Hangouët et Paul Audi. La traduction de l’anglais est de Pierre-Emmanuel Dauzat, J.-F. Hangouët et P. Audi. Le tout dans 354 pages. Ce n’est pas peu.
Quand il vivait, beaucoup de bons esprits le trouvaient infréquentable. Comme souvent, les clercs assurés et parlant haut ne voyaient pas celui qu’ils voulaient nier. « La liberté et le talent offusquent ceux qui en sont privés et qui se réclament du privilège de penser et d’écrire », estime le magazine l’Express. Mais le temps a vite travaillé pour Romain Gary. Vingt-cinq ans après son suicide, sa présence grandit. L’Affaire homme, ce nouveau livre, rassemble des textes d’intervention et des interviews, dont certains inédits en français. Un écrivain parle de ses loyautés. Esthétiques, poétiques et politiques, elles participent toutes à la cohérence de son œuvre et s’adressent directement à notre temps. A la quête de soi. Au bonheur de surpasser sa douleur et d’aller vers l’art. La volonté de roman est présente dans presque chacune de ces pages. La fiction ne passionne pas seulement Gary parce que c’est son métier de construire du réel avec ses rêves, mais parce qu’il pense que le salut de l’Homme passe par l’accomplissement de cette quête créatrice. L’homme est toujours en attente de l’Homme, mais le « roquet humain » peut devenir un « mangeur d’étoiles ». Seuls les mythes, la sublimation de l’imparfait de la vie et la puissance de l’imaginaire lui permettent d’affirmer l’existence de valeurs morales ou spirituelles qui fondent une civilisation. « C’est de la fidélité à ce qui n’est pas que naît ce qui est », écrivait Gary. Emile Ajar, alias Gary, avait, on s’en souvient, intrigué le milieu littéraire français. Rien de grand en littérature ou dans la vie sans une aspiration à quelque chose qui nous dépasse et se dérobe toujours dans les faits. Le philosophe Paul Audi s’est attaché à décrypter cette approche irréaliste de l’homme qui nourrit tous les romans de Gary. Son essai La Fin de l’impossible explore sa littérature comme un art qui a « pour vocation de rêver d’éternité ». L’impossible, c’est tout ce qui notifie notre finitude, et dont seule la folie de créer nous délivre. « L’homme en tant que notion de dignité n’est pas une donnée mais une création » (très belle explication de texte dans le livre d’Audi par Gary lui-même, en partant de l’exemple de la France libre).
Le regard de Gary sur le monde est celui d’un contemporain épris de fraternité. Il reste toujours rafraîchissant, que l’écrivain parle du colonialisme, de l’Algérie, du non-enseignement de l’histoire, de la criminalisation parfois abusive et souvent anachronique du passé, ou des limites de la politique pour répondre aux questions de la condition humaine.
On n’est pas surpris de le trouver si proche d’Albert Camus, à qui il emprunte une devise toujours susceptible de servir: « Je suis a priori contre tous ceux qui croient absolument avoir raison. » Oui, Camus avait impressionné de nombreux génies.
Camus avait le don d’être simple, humain et intransigeant avec ceux qui profitent de la détresse des autres. Pour rappel, Romain Gary est né le 8 mai 1914 à Wilno, en Lituanie. Il est élevé par une mère qui place en lui de grandes espérances. « Cosaque un peu tartare mâtiné de juif » il arrive en France, à Nice, à l’âge de 13 ans, fait son droit, s’engage dans l’aviation, rejoint la France libre en 1940, termine la guerre comme compagnon de la Libération et commandeur de la Légion d’honneur.
Le succès de son premier roman Education européenne prix des Critiques en 1945, coïncide avec son entrée au Quai d’Orsay. En poste à Sofia, Berne, New York, La Paz, il n’en continue pas moins d’écrire. Les racines du ciel (Prix Goncourt 1956) est une fresque de la vie coloniale en Afrique Equatoriale française. Il quitte la diplomatie en 1961. Après un recueil de nouvelles Gloire à nos illustres pionniers (1962), et un roman humoristique Lady L. (1963), il se lance dans de vastes sagas : La Comédie américaine, Les mangeurs d’étoiles et Adieu Gary Cooper (1969), La danse de Gengis Cohn (1967), La tête coupable (1968), Charge d’âme (1977). Pour Sganarelle (1965), définit, face aux nouvelles théories sa propre doctrine romanesque. Après la réalisation de deux films : Les oiseaux vont mourir au Pérou (1968) et Kill (1972), il exprime dans Chien blanc (1970) une profession de foi anti-raciste.
Gary laisse percer son angoisse du déclin dans Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable (1975) et Clair de femme (1977).
Après la fin tragique de la comédienne Jean Seberg, son épouse de 1962 à 1970 un dernier roman Les cerfs volants (1980) précède de peu son suicide. Un document posthume révèle que, avec la complicité de son neveu Paul Pavlowitch, Gary se dissimulait sous le pseudonyme du mystérieux Emile Ajar, dont les romans Gros Câlin (1974), La vie devant soi (Prix Goncourt 1975), Pseudo (1976), L’angoisse du roi Salomon (1979), marquent un tel renouvellement d’écriture que la supercherie ne fut jamais découverte du vivant de l’auteur qui la révèle dans un testament, Vie et mort d’Emile Ajar (1981 posthume).
L’élément unificateur du périple que fut sa vie, la question centrale à propos de Gary est le problème de l’identité. Dans, sa vie, dans son œuvre, dans son apparence physique même, Gary n’a cessé de changer, de superposer les visages, les noms, les identités, finissant par écrire sa vie comme l’une des pièces de son œuvre.
Dans Vie et mort d’Emile Ajar le romancier s’explique sur sa « nostalgie de la jeunesse, du début, du premier livre, du recommencement », son angoisse existentielle face à l’enfermement dans un personnage, son désir d’échapper à soi-même et son malin plaisir d’avoir joué un bon tour au « parisianisme » honni. « Je me suis bien amusé, au revoir et merci ».
Farid Ait Mansour
http://www.depechedekabylie.com/popread.php?id=28965&ed=1330
12 juin 2009
Non classé