- Interview: Youcef Zirem, écrivain
»La vie est une urgence »
Youcef Zirem est poète et journaliste originaire et vivant dans la wilaya de Bgayet. Il vient de publier son premier roman sept ans après la parution de son recueil de nouvelles L’âme de Sabrina ». Il a édité plusieurs recueils de poésies et un essai politique
La Dépêche de Kabylie : Parlez-nous de votre roman “La vie est un grand mensonge”…
Youcef Zirem: Mon roman? “La Vie est un grand mensonge” raconte l’histoire de deux couples sur plus de vingt ans, dans un pays assez tourmenté. Le lecteur suit les pérégrinations de Farid,
Sabrina, Khaled et Malika dans différentes époques et dans des espaces variés. Il n’y a aucune chronologie dans cette fiction où en plus du narrateur, chaque personnage peut prendre la parole à n’importe quel instant. Un lecteur peu attentif peut perdre la boussole dans cette histoire qui tente de décrire tous les événements importants que l’Algérie de ces dernières années a vécu et subi. “La Vie est un grand mensonge” ne s’est pas écrit en un seul jet, c’est un texte qui porte le poids des jours. Il raconte plusieurs histoires d’amour et parle aussi de cet océan de haines multiples qui empêchent une société et un pays fabuleux d’avancer…
A la lecture de votre livre, on reconnait facilement la ville de Boumerdès où vous avez vécu. Est-ce une histoire autobiographique?
C’est vrai, Boumerdès est présente dans ce livre. A l’instar d’Alger, de Béjaia, de Tizi Ouzou ou encore d’Oran, elle constitue le lieu des errances incommensurables des personnages principaux de cette fiction. Ce roman est un texte réaliste sans pour autant être totalement autobiographique. Boumerdès est une ville extraordinaire où j’ai fait mes études d’ingéniorat en hydrocarbures. C’est une cité où, avec des copains, j’ai été heureux. Le livre est d’ailleurs dédié à Bouchariguène Ahmed, un ami intime qui est mort dans un accident de voiture entre Ouargla et Hassi Messaoud. Avec Bouchariguène Ahmed, j’ai fait le lycée Abderahmane-Mira de Bouira et ensuite nous avons continué nos différentes quêtes à Boumerdès. Fervent lecteur, Ahmed était un être rare, d’un engagement et d’une sincérité rares…Le livre est aussi dédié à Kheireddine Ameyar, un artiste, un poète et l’un des plus grands journalistes de l’Algérie indépendante.
Dans ce roman, on retrouve deux styles d’écriture, le premier est lyrique, voire poétique quand il s’agit d’évoquer l’amour et le deuxième est proche de ce qui est communément appelé l’écriture de l’urgence, là où vous évoquez des questions politiques et sécuritaires.
Pourquoi cette ambivalence dans le style d’écriture?
L’écriture de l’urgence n’existe pas. C’est un concept absurde. La vie, toute la vie, est une urgence. L’écriture est soit de bonne qualité, soit de qualité moindre ou encore de mauvaise qualité. Il y a effectivement de la dénonciation dans “La Vie est un grand mensonge”; elle servira à éclairer les générations prochaines, car en Algérie, nous avons souvent la mémoire courte. Il s’est passé des choses horribles dans notre pays; il ne faut jamais l’oublier. Le système politique algérien a généré des monstres. La littérature sert aussi à témoigner, à situer le mérite des uns et des autres…La littérature tente parfois de sauvegarder la mémoire collective si nécessaire à la construction d’un futur sain… Il y a aussi de la poésie dans “La Vie est un grand mensonge”…Cette poésie apporte un souffle et des questionnements douloureux…Le roman est construit à la manière de William Faulkner qui , sans chronologie, expérimente des mélanges de vécu et de fiction.
Par endroits, votre roman ressemble à un réquisitoire contre ceux qui ont gouverné l’Algérie depuis l’Indépendance. Ne trouvez-vous pas que vous avez exagéré par endroits s’agissant d’une fiction?
“La Vie est un grand mensonge” n’est un réquisitoire contre personne. C’est seulement un roman qui essaie de dire la réalité algérienne qui n’est pas toujours joyeuse. C’est un cri contre tant de gâchis pour dire que nous pouvons faire mieux…Pour dire que nous pouvons installer la démocratie, la justice sociale, le respect des droits de l’Homme, le respect de l’individu, le respect de la diversité, le respect de la culture, la liberté d’ expression (Pourquoi donc faut-il demander un agrément pour une publication ? Pourquoi donc la télévision algérienne ne peut-elle pas devenir la Télévision des Algériens ?)… C’est vrai aussi que les amateurs du « tout va bien » ne vont pas se retrouver dans ce texte. C’est vrai aussi que
ceux qui pensent que la littérature ne s’occupe pas du vécu des plus opprimés seront déçus…
Pourquoi un court roman, est-ce une panne d’inspiration ou un choix délibéré ? Pourtant, on retrouve dans votre livre les traces de Milan Kundera qui, lui, écrit des livres volumineux…
Aujourd’hui, on ne lit pas, en général, les romans volumineux. Il n’y a qu’aux Etats-Unis d’Amérique qu’on écrit vraiment des romans volumineux.
J’ai la prétention de vouloir être lu, de communiquer avec mes lecteurs…A travers un roman volumineux, ce n’est pas évident…Pour revenir à Milan Kundera, lui aussi a écrit des petits textes comme, par exemple, “la Lenteur”.
Ecrire un roman, est-ce une entreprise facile ou difficile pour vous qui avez l’habitude d’écrire des poèmes et des nouvelles?
Ecrire un roman n’est pas aussi difficile qu’écrire des poèmes…Pour moi, le genre le plus difficile c’est justement la poésie…Un roman peut être retravaillé, ce n’est pas vraiment le cas pour la poésie…
Vous êtes en France pour faire la promotion de votre roman ?
Non, mon roman n’est pas distribué en France. Je suis dans le pays de Victor Hugo pour des raisons personnelles. Je suis à Paris, la capitale mondiale de la culture. “Paris est en fête”, écrivait Ernest Hemingway; il n’a pas tort.
Parlez-nous des écrivains contemporains qui vous intéressent…
Il y a plein d’écrivains contemporains qui m’intéressent: Nabil Farès, Ali Malek, Bachir Mefti, Yassir Benmiloud, Mohamed Badaoui, Driss Chraibi, Jean-Marie Gustave le Clezio, Patrick Modiano, Ernesto Sabato, Paul Auster et tant d’autres que j’oublie…Je suis un fervent lecteur de tous les textes qui me paraissent apporter un plus à l’humanité…
Entretien réalisé par
Aomar Mohellebi
La dépêche de Kabylie
N° :1080 Date 2005-12-22
12 juin 2009
Non classé