- Entretien avec l’écrivain Ali Bouaziz,
“La littérature est par essence une prise de position”
Ali Bouaziz, jeune journaliste, originaire de Draâ El Mizan vient de publier son premier roman aux éditions “Le savoir” de Tizi Ouzou. C’est un livre qui relate une histoire d’amour sur fond de terrorisme. Son second ouvrage est en cours d’impression. D’où vient l’inspiration inépuisable du jeune Ali Bouaziz ? Il tente de répondre à cette question et à d’autres dans cette interview.
La Dépêche de Kabylie : Pourquoi ce titre sensationnel ?
Ali Bouaziz : Il y a toute la littérature de la connaissance et la littérature de la puissance. La fonction de la première est d’enseigner ; celle de la seconde est d’émouvoir. Et pour émouvoir dans un pays où la mort est devenue banale, il est bien de se positionner dès le commencement. Ne dit-on pas que « la littérature est par essence prise de position » ? Pour se démarquer et se distinguer dans n’importe quel art en général, et en littérature en particulier, il faut avoir l’engagement dans l’âme, et pour ce faire, il faut choisir le bon moment, les meilleurs mots et le titre qui, quelquefois, ajoute au poids de l’œuvre un je ne sais quoi de mystérieux, c’est pour cela qu’un tel titre s’est imposé.
Comment est né ce roman ?
Cela m’amène à raconter toute une vie. La souffrance profonde ennoblit et elle m’a acculé à l’esseulement. J’ai perdu un moment le rire, mais je n’ai jamais perdu l’envie de crier. Rassuré que mon seul pouvoir était dans les mots, je m’étais mis à l’écriture après tant d’années qui m’avaient séparé d’avec mon enfance. Donc le roman est né à travers les méandres d’une vie pleine et tumultueuse. Quand on a 20 ans dans un pays livré à une guerre sans merci où l’on est menacé sur chaque regard rencontré, si on n’écrit pas de suite on ne devient que fou. Ma génération est la première victime de ce drame qui nous a ensanglanté et qui continue à faire des ravages entre nous.
En général, les écrivains commencent par écrire de la poésie pour ensuite passer au roman, vous avez directement commencé par un roman. Avez-vous brûlé les étapes ? Oui. Puisque je n’ai pas édité des poèmes. Cela expliquerait que j’ai brûlé des étapes, mais il n’y a pas de règles qui disent qu’il faut commencer par des poèmes pour faire un écrivain. Hélas ! Les poèmes m’étranglent et ravivent mes blessures qui m’exigent de plus en plus de liberté pour me panser.
Vous étiez journaliste à Tizi-Ouzou, mais vous n’avez jamais laissé transparaître votre facette d’écrivain, est-ce par modestie ou par souci de discrétion ?
J’ai appris tardivement que la discrétion est le meilleur art de vivre qui puisse exister sur terre.
Quels sont les trois écrivains qui vous ont le plus marqué et qui vous ont poussé à l’écriture ?
J’ai goûté à toutes les littératures, la littérature africaine, chinoise, les auteurs de l’Amérique latine, libanaise, égyptienne, maghrébine, germanique en trois langues, arabe, français, allemand, mais celui qui m’a marqué le plus au premier c’était Jules Vallès, (on a presque la même vie) Tahar Ben Jelloun et Tahar Djaout à qui j’ai rendu un grand hommage. J’étais touché par la souffrance avant tout de Jules Vallès et par son combat, soit d’anti-conformiste vis-à-vis de l’école française, de ses parents, son combat politique par le journalisme. J’aime le côté de l’engagement identitaire de Ben Jelloun et cette poésie avec laquelle il a réussi à tisser des pages et des pages aussi sublimes qu’un corps féminin en toute fraîcheur, par amour pour son Maroc, mais Djaout est mon aiguillon sur le plan des idées, puisqu’on a une source d’inspiration commune. Enfin, ces noms se sont imposés dans les esprits des millions de nos semblables, ils sont éternels et j’aimerai bien devenir comme eux modestement.
Votre premier roman est-il autobiographique ?
à titre personnel, je dirais qu’on ne peut pas écrire son premier roman indépendamment de ce qu’on a vécu. Ce que j’ai écrit peut être vécu par tout le monde. Ces faits sont rapportés tels qu’ils se sont déroulés et d’après la chronique d’un quotidien algérien encore frais et tout à fait mûr. Les divers épisodes importants de cette aventure sont tellement patents que je ne trouve pas la nécessité de changer les noms de ces personnages et essaie d’éviter les méandres et les détours scripturaux qu’impose la force de l’imagination et de la fiction à laquelle ne peut s’échapper nul écrivain.
Les personnages de ce récit, ceux qui ont collaboré à cette aventure, vivent toujours et porte inextricablement et douloureusement ces incidences dans leurs tripes. Je n’ai cependant pas de raisons de mentir à autrui. Pourquoi me mentirai-je à moi-même ? Chaque ligne est vraie. Que gagnerai-je d’ailleurs à tout gâcher avec un imaginaire falsifiant et des contrevérités ?
Quels sont vos projets d’écriture ?
Après mon premier roman Long est notre chemin, Monsieur le président !, j’ai déposé aux même éditions “Le Savoir” le deuxième roman intitulé Moissons du sang qui a presque la même consistance, écrit dans un style souple.
Vous vous apprêtez à vous installer à l’étranger, pourquoi d’après vous cette obsession des écrivains algériens à aller s’installer ailleurs ?
Ce n’est pas une obsession plutôt une obligation. Dans un flux d’attentes où on ne subit que des rejets, quand la mort nous sourit de partout, il faut partir, il faut s’installer ailleurs. Certes, je sais qu’à l’étranger, il n’ y a pas la belle vie, mais on s’assure une vie plus au moins décente, une existence du moins morale et physique. Quand on se regarde passivement avec le désir de parler, l’on se dévisage béatement et puis on comprend que ça ne va plus et tout va à vau-l’eau. Quand ces millions de passants, de fuyants, de noctambules se plaisent continuellement à ne pas se reconnaître les uns les autres, car ils ne parlent plus le même langage, il est préférable de partir. Il y a aussi la question de moyens financiers qui fait que les auteurs préfèrent l’étranger puisque là-bas il y a une société qui consomme massivement. اa fait vivre. Quand en 2007 un responsable tente de remettre en cause notre africanité à coup de milliards de dollars en accueillant à longueur d’année des danseurs arabes en Algérie, cela veut dire qu’on n’est plus chez soi. Ce sont-je pense- les facteurs directs qui poussent les intellectuels algériens à se prononcer pour cette vie de nomadisme à visage moderne.
Reste à dire que, me concernant, la France ne me dit rien, j’ai plutôt un rêve et c’est le summum de mes objectifs de voyage. J’espère rencontrer Günter Grass avant sa mort, et un talent de ce poids, on ne le rencontre pas malheureusement dans les beautés mystérieuses et particulières des rues de Bab El Oued ou de Tizi-Ouzou. اa ne peut se vivre qu’en Allemagne. Donc, ma première destination si Dieu veut sera l’Allemagne.
Propos recueillis par Aomar Mohellebi
http://www.depechedekabylie.com/popread.php?id=42738&ed=1556
12 juin 2009
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