Histoires vraies
Voyage posthume (3e partie et fin)
Résumé de la 2e partie : Après le raz de marée, le cimetière de Galveston a été inondé, c’est ainsi que les eaux charrient nombre de cercueils à la mer…
Allez-y, souquez ! Qu’on voie un peu ce que la chance nous apporte…
Effectivement, le filet ne remonte rien de bien comestible :
– C’est une caisse en bois ! Ç’a l’air ancien !
Le mousse crie :
– C’est peut-être un trésor. On dit que des pirates ont enfoui des caisses de pièces d’or sur la côte…
– La ferme, moussaillon ! Tu parles d’un trésor ! Tu ne vois pas que c’est un cercueil ?
Du coup, tout l’équipage se tait. A part les marins qui souquent dur pour remonter le filet, tous les autres ôtent leurs bonnets de laine. Certains font un signe de croix. Là, dans le filet, c’est bien un cercueil couvert d’algues et de coquillages : qui apparaît, au milieu d’un tas de poissons frétillants.
Une fois le cercueil à bord du bateau, tout l’équipage se rassemble. Certains sont partisans de rejeter immédiatement à l’eau la sinistre découverte. D’autres veulent l’ouvrir, histoire de voir si, par hasard, il ne serait pas rempli d’or et de pierreries…
Regardez, il y a une plaque gravée ! Ce doit être le nom du mort.
On nettoie la plaque de cuivre verdi :
– «Edward Weston Mackenzie, acteur, l846- 1899.»
Le capitaine déchiffre péniblement une citation gravée dans le métal :
«Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre que n’en rêve notre philosophie.»
Personne à bord ne sait qu’il s’agit d’une réplique du Hamlet de Shakespeare. En définitive, le capitaine décide que le cercueil ne sera pas ouvert :
– On ne doit pas déranger un mort. S’il a décidé de venir dans nos filets… :
– Mais, patron ! S’il y avait un trésor dedans !
– La ferme ! De toute manière, s’il y avait un trésor, c’est moi le maître à bord et c’est donc moi qui le récupérerais…
Bien évidemment, lorsque le chalutier arrive au port, la nouvelle se répand plus rapidement qu’une traînée de poudre :
– La «Marie-Rose» rapporte un cercueil !
Certains considèrent qu’il s’agit d’un mauvais présage. Mais l’étonnement est à son comble quand on apprend l’identité du mort :
– C’est Edward Weston Mackenzie ! C’est lui !
Pourquoi les habitants de ce port minuscule du Canada connaissent-ils le «grand» acteur shakespearien ? Tout simplement parce que le port d’attache de la «Marie-Rose» est Ouskamegui, le village même où Mackenzie est né…
Quelle est la force qui l’a poussé à revenir ici ? Quel est le miracle qui a permis que son cercueil de plomb dérive à travers le golfe du Mexique, qu’il aille se perdre dans les courants du Gulf Stream, qu’il remonte toute la côte Est des Etats-Unis et qu’il se manifeste enfin en s’accrochant dans les filets de la «Marie-Rose» après avoir parcouru sept mille cinq cents kilomètres en mer, pendant huit ans ? Comprenne qui pourra.
Depuis 1908, Edward Weston Mackenzie repose dans l’église même où il avait été baptisé soixante-deux ans plus tôt…
D’après Pierre Bellemare
11 juin 2009
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