Histoires vraies
Trompe-la-mort (3e partie et fin)
Résumé de la 2e partie : Deux fois ressuscité, Ernesto a compris qu’à la vue de la lumière vive, il sombre dans le…néant.
Le docteur Rafael Gutierrez, le médecin de famille, arrive à la conclusion qu’il s’agit d’un phénomène d’autohypnose.
— Vous savez, don Ernesto, en Inde, les fakirs hindous arrivent à des résultats surprenants en pratiquant sur eux-mêmes l’hypnose. On dit qu’ils parviennent à sortir de leur propre corps. Ils sont en état de mort apparente et, paraît-il, ils parviennent à se déplacer par l’esprit.
Don Ernesto se met à rire :
— Ça doit être bien commode. J’irais bien faire un petit tour à Barcelone. Il y a un quartier où j’ai repéré quelques belles petites pouliches joliment bien tournées. Si je viens les voir en esprit, elles auront rien à me refuser et cela ne me coûtera pas cher !
A partir de ce moment, don Ernesto décide d’être prudent.
— Tiens, ma chérie, regarde. J’ai rédigé un petit carton que je porterai bien en vue à l’intérieur de mon portefeuille. Ecoute : «Le porteur de cet avis, don Ernesto Perdrigon, est sujet à des états cataleptiques accidentels qui présentent tous les symptômes de la mort apparente. Si tel est le cas veuillez contacter le docteur Gutierrez à La Granja ou l’hôpital de la ville, service du docteur Benavente, avant tout permis d’inhumer.» Et j’ai mis notre numéro de téléphone.
Don Ernesto Perdrigon a bien fait de rédiger ce petit avis car il va, à nouveau, tomber en état de catalepsie profonde.
La troisième fois a lieu lors d’une corrida quand une des trompettes de la banda lui envoie un grand coup de soleil dans l’œil.
La quatrième fois est provoquée par une porte en miroir à l’entrée d’un immeuble moderne. La cinquième a lieu devant la télévision. La sixième au cours d’un examen chez son ophtalmologiste. La septième en contemplant un vitrail frappé par le soleil à l’intérieur de la cathédrale. La huitième, simplement en regardant le feu qui flambe dans la cheminée. Cette fois-là, don Ernesto reste quatre jours sans reprendre connaissance. Les médecins se montrent particulièrement inquiets. Dona Asuncion, quand Ernesto se réveille, exige que son époux se fasse examiner sous toutes les coutures :
— Il faut savoir ce qui te provoque ça.
Don Ernesto se soumet à toute une batterie d’examens, mais on ne découvre rien d’anormal dans son métabolisme. Pas plus que dans ses fonctions vitales. Les examens du cerveau ne révèlent rien de particulier…
Ce qui finit par énerver don Ernesto c’est que, à chacun de ses retours à la conscience, il a la sensation d’être bredouille :
— C’est comme si je partais pour explorer la Lune ou Mars et qu’à chacun de mes retours sur Terre je revenais sans en savoir plus… Je me retrouve toujours devant cette fichue porte. Une lumière aveuglante en sort. Ceux qui y pénètrent sont comme absorbés par un grand feu. Par une lumière. Il n’y a ni son ni odeur. Personne ne semble avoir peur, au contraire. Mais je n’approche jamais assez près pour apercevoir ce qu’il y a à l’intérieur.
Le docteur Gutierrez remarque :
— J’ai l’impression qu’à chaque fois la mort se décourage un peu. Vous allez finir immortel. Je ne sais pas si vous êtes au courant mais, quand les gens du coin vous croisent dans la rue, ils font un signe de croix !
D’après Pierre Bellemare
9 juin 2009
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