Histoires vraies
Une mère inquiète (2e partie)
Résumé de la 1re partie : La marquise «débarque» chez le curé tard dans la soirée pour lui parler de son fils. Un fils pas très porté sur la religion.
La marquise ne semble pas entendre cette remarque un peu ironique :
— Mon fils est un grand sportif, robuste, taillé en armoire à glace, comme son père. Il a la tête près du bonnet. Je suis inquiète : il a une nouvelle folie en tête… Vous savez, ces petits appareils volants à moteur…
— Vous voulez dire les Ulm
— ULM, oui je crois.
— C’est un sigle : Ultraléger motorisé. Effectivement, quand je vois ces jeunes gens s’élancer depuis la falaise du saut du Diable, je les envie un peu. Ce doit être une sensation grisante d’être seul au-dessus des vagues. Ils parviennent même à suivre les mouettes dans leur vol…
— Mais vous ne connaissez pas mon fils, Jean-Yves. Il ne se contente pas d’utiliser les modèles classiques en suivant les règles. C’est un passionné, il veut toujours inventer des nouveautés, faire des essais. Et des acrobaties… J’ai beau lui dire d’être plus raisonnable, rien n’y fait. Il ne veut rien entendre.
La marquise semble de plus en plus fatiguée.
Elle a du mal à retrouver son souffle :
— Dans une semaine, Jean-Yves organise une réunion de… comment dites-vous ? d’ULM. Il mijote quelque chose : un nouveau type d’appareil qu’il a construit en secret dans les dépendances du manoir. Il veut, comme il dit, «leur en mettre plein la vue» ! Je suis venue vous demander d’intervenir pour qu’il renonce à cette démonstration. Son appareil n’est pas au point, il va se tuer…
— Chère madame, toutes les mères du monde s’inquiètent quand leurs enfants prennent des risques. Bien sûr, ces petites machines volantes semblent à peine capables de soutenir un homme en vol. Mais je crois que vous vous inquiétez à tort, je suis certain que votre fils est très capable de mesurer les risques…
La marquise interrompt l’abbé :
— Non ! Je sais ! Je suis certaine que mon fils va se tuer quand il voudra l’essayer !
Et elle ponctue sa phrase d’un coup de canne sur le soI. François Le Dantec voit le geste de la canne mais il n’entend pas le bruit du choc sur le carrelage…
— Eh bien, chère madame, j’irai dès demain vous rendre visite. Cela me fera une occasion de faire la connaissance d’un de mes paroissiens les plus en vue. Et peut-être cela lui redonnera-t-il un goût de la messe. Dans la chapelle, les tombes de vos ancêtres sont en bonne place mais les plaques qui marquent vos prie-Dieu sont devenues un peu ternes…
— Ne pourriez-vous lui rendre visite dès ce soir ? Demain matin, il a prévu un essai sur sa machine…
L’abbé objecte que l’heure est bien tardive pour aller jusqu’au manoir des Genêts noirs.
— Allez-y maintenant, je vous en conjure ! Sinon, il va se tuer !
Elle joint brusquement les deux mains dans un geste de supplication. A son annulaire droit, une fine chevalière ornée d’un blason jette un éclat presque fulgurant. (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
9 juin 2009
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