Histoires vraies
L’hôtesse (2e partie)
Résumé de la 1re partie : Wong fait face à ses associés qui veulent soumissionner dans un projet d’aéroport qui sera construit sur un cimetière…
Et cette bague, est-ce qu’on l’a retrouvée en définitive ?
— Jamais. Peut-être a-t-elle fondu dans le brasier. Peut-être est-elle encore enfouie dans l’herbe plus ou moins près du lieu du drame !
— On n’a jamais su exactement ce qui s’était passé. L’avion a fait un atterrissage en catastrophe. Il a explosé au soI. En tout cas, on a déploré trente victimes.
La réunion de la société de construction immobilière s’achève sans qu’aucune décision ait été prise. Les actionnaires continuent à en discuter dans les couloirs :
— Si Wong est contre le projet, il ne nous reste pas beaucoup d’espoir. De toute manière, je ne vois pas comment nous pourrions aller contre ses croyances. Trop de gens pensent comme lui à Singapour. Nous serions l’objet de la force d’inertie des Orientaux et, comme par hasard, tout irait de travers sur le chantier…
En définitive l’ancien terrain d’aviation de Kallang retourne à la nature et une végétation folle l’envahit à nouveau. Cela devient une sorte de parc sauvage où les jeunes de Singapour viennent pique-niquer et organiser des petites fêtes.
Dans les quelques bâtiments qui subsistent de l’aéroport, on a installé des dortoirs provisoires pour héberger des colonies de vacances et des groupes d’étudiants en voyage d’agrément. C’est ainsi que, deux ans après la réunion au sommet chez M. Wong, plusieurs jeunes assiègent un soir la chambre où leur directeur de colonie essaie de mettre de l’ordre dans ses comptes :
— Monsieur, monsieur, venez vite voir. Il y a une femme qui a l’air perdue. Elle se promène dans la nuit. Elle porte un uniforme et on dirait qu’elle cherche quelque chose…
Le directeur de la colonie est un peu grognon.
Il n’aime pas les plaisanteries de mauvais goût :
— Eh alors, si cette dame aime se promener au clair de lune, c’est son affaire. Que voulez-vous que je lui dise ?
— C’est drôle ! Quand on lui a parlé, elle n’a pas semblé nous entendre. Et puis, ce qui est encore plus bizarre, c’est qu’à un moment elle est passée devant un bouquet de bambous…
— La belle affaire ? Elle en a coupé ?
— Non mais, quand elle était devant… on pouvait voir les bambous à travers elle. Elle était complètement transparente.
Or, près du bosquet de bambous, le directeur ne voit personne. Les étudiants sont pourtant tous d’accord :
— C’était une jeune femme mince. Elle portait un uniforme rouge, comme une hôtesse de l’air.
— Oui, mais elle n’était pas impeccable comme les hôtesses. Elle était décoiffée et elle avait de grandes taches noires sur le visage.
— Même son uniforme ! Il était en charpie.
Comme s’il avait brûlé. Elle boitait : il me semble qu’elle n’avait plus qu’une seule chaussure.
— Tenez, la voilà. Là-bas ! Au bout de l’ancienne piste !
Le directeur consignera le lendemain qu’il a bien aperçu une silhouette de jeune femme. Apparemment une hôtesse de l’air, avec l’air égaré de quelqu’un qui vient d’échapper à un terrible accident. Il note dans son rapport :
«La femme — mais s’agissait-il bien d’une femme ? — marchait en regardant le sol, comme quelqu’un qui cherche quelque chose. Plusieurs fois elle s’est agenouillée et s’est mise à gratter la terre avec ses ongles. J’entendais distinctement ses sanglots. (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
9 juin 2009
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