Histoires vraies
Une mère inquiète (1re partie)
Nous sommes en Bretagne, il y a une dizaine d’années. La petite paroisse est tout émue. L’évêque vient enfin de se décider à nommer un nouveau curé. Cela fait au moins dix ans que les catholiques sont obligés d’aller faire leurs dévotions au village voisin, à plus de dix kilomètres.
— Les jeunes, avec leur voiture, ça va encore, mais les gens âgés… ils sont obligés de compter sur les autres…
Le boulanger est le plus amer :
— Autrefois, à chaque fête carillonnée, cela donnait un coup de fouet à mon commerce, avec les gâteaux… Maintenant, les paroissiens achètent tout ça à Glemor. Espérons que la réouverture de l’église au culte va redonner du cœur à mon commerce !
L’abbé François Le Dantec est Breton mais il vient du sud du Morbihan et ne connaît pas du tout la région. Il est sympathique et on l’a vite adopté. Il s’inquiète des habitants du domaine qui niche dans la forêt auprès d’un étang un peu inquiétant.
— Oh ! Ce sont les châtelains des Genêts noirs, ils ne sont pas très intéressés par la religion. Mais vous aurez l’occasion de les voir à l’occasion du comice agricole.
Un soir d’automne, à la nuit tombée, le village est tout endormi. Les petites ruelles sont noyées de brouillard. Quelqu’un sonne à la porte du presbytère.
François Le Dantec va ouvrir et se trouve face à une dame aux cheveux blancs. Elégante mais sans ostentation. Elle est vêtue d’un tailleur de très bonne qualité et s’appuie sur une fine canne à pommeau d’or. Ses chaussures sont de toute évidence signées d’un très bon faiseur. François Le Dantec se dit : «Cette personne est venue jusqu’ici en voiture. Pas une trace de boue sur ses chaussures. Elle n’a pas dû faire trois pas dans la rue.»
Il jette un bref coup d’œil au-dehors mais n’aperçoit pas l’ombre d’un véhicule. D’ailleurs, il n’a pas entendu de moteur. Sans doute cette dame possède-t-elle un chauffeur qui attend sur la place de l’église :
— Bonsoir, madame, je suis le nouveau prêtre de la paroisse. L’abbé François Le Dantec.
La dame entre comme en glissant sur le sol :
— Oui, je sais, je suis la marquise du Faré, j’habite au manoir des Genêts noirs.
— Entrez donc, asseyez-vous, je vous en prie. Vous voudrez bien excuser l’inconfort de la cure. Mais, pour l’instant, je dois me contenter du strict minimum. Les deniers du culte ont mieux à faire que d’améliorer mon mobilier.
La marquise du Faré prend place sur l’unique fauteuil de paille cannée. L’abbé s’assied devant elle sur un petit tabouret.
— Que puis-je faire pour vous ? Etant donné l’heure tardive… De quoi s’agit-il ?
— Monsieur l’abbé, si je viens vous voir, c’est à cause de mon fils. J’ai un grand service à vous demander.
Le visage de la marquise devient un peu terreux, presque livide. L’abbé, avec un petit sourire, répond :
— Votre fils ? Ah oui ! On m’a parlé de lui. Si j’en crois la rumeur publique, il ne faut pas trop compter sur sa visite à l’église. Il serait un peu… disons «indifférent» aux choses de la religion. (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
9 juin 2009
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