Les deux orphelins (1re partie)
Il y avait une fois une famille qui vivait à la campagne, dans le bonheur. Elle se composait du père, un fellah dur au travail et doux envers les siens, de sa femme qu’il aimait tendrement et qui se dévouait à leurs deux enfants : l’aînée Meriem, très belle fillette, et son frère, de deux ans plus jeune qu’elle.
Le temps s’écoulait dans la paix et la joie, rythmé par les fêtes de la nature et celles du foyer. Lorsque survint la catastrophe familiale : la mère tomba malade et mourut.
Après quelques mois de repli dans la solitude de cette maison toute pleine encore du souvenirs de leur maman très aimée, les enfants se remirent à fréquenter les gens du village. Il y avait notamment une voisine qui attirait la fillette chez elle, la comblait de sucreries, essayait de la faire parler, de pénétrer les secrets de sa famille. Elle ne cessait de lui dire que son père était beaucoup trop jeune pour rester sans femme au foyer, qu’elle serait très capable de tenir leur maison, de préparer la nourriture des enfants, de les soigner, de veiller au jardin.
La jeune Meriem rapportait ces propos à son père. Mais, celui-ci, très attaché au souvenir de sa femme et redoutant pour ses enfants l’introduction d’une nouvelle épouse à la maison, éludait les incitations de l’intrigante voisine. Pour mettre un terme lointain à tout projet de mariage, il prit une des plus belles robes de sa femme et la donna à Meriem en disant :
«Lorsque tu seras assez grande pour porter cette robe, nous reparlerons de mon mariage avec la voisine.»
L’enfant enfila le vêtement et, mesurant dans sa petite tête de gamine le temps qu’il lui faudrait pour que cette belle robe ne s’allonge pas sur le sol en une immense traîne, elle en conclut que le mariage était reculé pour de très nombreuses années.
La voisine en fut marrie.
Elle attendit encore quelques mois et finalement trouva une solution. Meriem fut invitée à venir chez elle en apportant la robe.
Elle mesura avec force empans de mains la taille de l’enfant, puis celle de la robe, prit ses grands ciseaux et fit tant et si bien à tailler, à découdre, à recoudre que la robe se trouva adaptée à la fillette.
L’enfant revint à la maison et sauta au cou de son père. Celui-ci respecta la parole donnée et épousa la femme. Un an après, elle lui donnait une autre petite fille.
Son attitude, d’abord conciliante envers les orphelins, devint insupportable du jour où elle fut mère. Car, sa propre petite fille était très laide. La mère éclatait de jalousie au sujet des enfants de la première femme de son mari. Meriem surtout était de plus en plus belle. Quant à Ahmed, c’était un garçon, alors que son rejeton était une fille.
Profitant de ce que le père, à cause de l’agrandissement de sa famille, était obligé de travailler au dehors toute la journée, elle ne nourrissait les orphelins que de soupe à l’eau et au son. Les enfants comprirent qu’ils n’étaient pas aimés et ils évitaient de paraître à la maison. Le père leur avait confié la garde d’une vache qui était un bien personnel de leur mère. Ils passaient donc toute la journée dans la nature à faire paître la vache. Cette bête était d’ailleurs très douce et patiente avec eux. Ils buvaient à son pis à tour de rôle. Grâce à ce bon lait, ils ne souffraient pas du tout des privations que leur imposait leur marâtre. Au contraire, ils grandissaient et embellissaient chaque jour, alors que leur jeune sœur, comblée de douceurs par sa mère, était chétive et de plus en plus laide. (à suivre…)
Tiré des Contes mystérieux d’Afrique
du Nord de Jeanne Scelles-Millie
9 juin 2009
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