Le mensonge le plus doux (1re partie)
On rapporte qu’un Roi possédait une fille unique dont la beauté était incomparable.
Souhaitant lui choisir un époux doué à la fois d’un cœur tendre, d’un esprit délié et d’une imagination ardente, il fit annoncer par tout le royaume que la main de la Princesse appartiendrait à celui qui saurait raconter devant le Roi et sa fille le mensonge le plus doux. En cas d’échec, la sanction était la peine de mort.
Plusieurs candidats se présentèrent au Palais dont les discours ne plurent ni au Roi ni à sa fille. L’issue tragique de ces contes ne favorisèrent pas l’abondance des prétendants.
Pourtant, un jour, un homme se présenta, d’allure modeste, de vêtements simples. C’était un philosophe.
Le Roi lui demanda s’il connaissait l’enjeu en cas d’échec.
Il répondit par l’affirmative et commença aussitôt :
«Ne vous fiez pas, Sire, aux méchants habits que voici ! En réalité, je suis un homme très riche. J’ai quatre cents ruches. Chacune d’elles contient mille abeilles. Je les compte une à une chaque soir.
«L’autre jour, il m’en manquait une. Fort heureusement je l’ai vue voleter dans l’air. Je n’arrivais pas à l’attraper. Alors, j’ai sauté sur mon cheval pour la suivre. «Mais elle a pris de la hauteur. Et mon cheval m’a soulevé dans les airs sur son sillage.
«Elle m’a ainsi amené jusqu’au premier ciel, puis au second, puis au troisième et jusqu’au septième ciel.
«Arrivant au septième ciel, j’ai décidé de le visiter en promenade. J’ai eu soif. Mon cheval était, lui aussi, altéré. Un être aux l’apparences de femme s’est présenté à nous avec un seau. Mais cette créature m’a pris pour un ghoul et a eu peur. Elle a voulu me jeter son seau d’eau à la figure. Je l’ai saisie par le bras. Son bras s’est cassé. Il était en sucrerie J’ai baisé sa main. Mais comme cette main était excellente, je l’ai mangée ainsi d’ailleurs que la femme tout entière.
«Des hommes sont arrivés pour la défendre. Ils étaient en chocolat.»
«J’en ai cassé et mangé des milliers.»
«Les soldats sont arrivés à la rescousse. Ils m’ont arrêté et mis en prison. Les murs de la prison étaient en beurre.»
«Les soldats me jetaient pour toute nourriture des pains chauds (matlouh el-hammi) et plats. Je fendais ces pains en deux et les passais sur les murs pour m’en faire des tartines beurrées délicieuses. Comme mes geôliers constataient que mon arrestation me rendait de plus en plus gras et fort, ils m’ont libéré.
«J’étais si vigoureux qu’on ne pouvait plus me rattraper.
«Pourtant, j’ai été pris dans un piège et incarcéré à nouveau. Cette fois, les murs de ma prison étaient en miel. Les soldats me nourrissaient en me jetant des pains chauds à pâte fermentée et levée (khamir el hammi). Enduits du miel de mes murs, ils étaient délectables. Et j’embellissais et me fortifiais de plus belle.
«Le Roi a fini par en conclure que j’étais doué de pouvoirs particuliers et que le mieux était de me libérer. Il m’a dit :
— Ô ghoul ! D’où viens-tu ?
— De la terre, Sire. Mais je ne suis pas un ghoul. (à suivre…)
Tiré des Contes mystérieux d’Afrique du Nord de Jeanne Scelles-Millie
9 juin 2009
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