Histoires vraies
L’ascenseur (1re partie)
As-tu bien dormi ma chérie ?
C’est par cette question rituelle que Mme Lemonier réveille tous les matins sa fille, Béatrice. Béatrice ouvre les yeux en grognant :
— Maman, pourquoi ouvres-tu les rideaux ? J’ai le soleil en plein dans l’œil !
— Et, justement, le soleil brille. Tu vas prendre ton petit déjeuner dans le jardin. Allez, ouste ! Une grande fille de dix ans ne va pas passer toutes ses vacances au lit !
Béatrice se frotte les yeux et fait la moue :
— J’ai fait un drôle de rêve cette nuit…
— Comme de bien entendu ! Je me demande s’il y a une seule nuit où tu ne feras pas un rêve des plus fous !
Il est vrai que Béatrice est la grande spécialiste des rêves en couleurs qui la plongent dans des univers étranges. Elle rêve très souvent d’une villa qui pourrait bien exister quelque part en Italie. Devant la villa, des bassins en terrasse sont encadrés par des ifs. Le plus étrange est que, à chaque visite que Béatrice fait en rêve dans «sa» villa, elle y rencontre des personnes différentes. Parfois ce sont des Anglais très joyeux qui boivent du vin et qui chantent. D’autres fois, ce sont des demoiselles d’un certain âge qui se promènent sous des ombrelles. Lors d’une visite, Béatrice raconte :
— C’était triste : ma villa était toute abandonnée. Il y avait des mauvaises herbes dans les allées, les volets étaient fermés et la peinture des murs était pleine de moisissures.
Une autre fois elle se réveille très choquée :
— Quand je suis arrivée, il y avait des gens qui se baignaient dans les bassins. Ils s’amusaient bien. ll y avait des hommes, des femmes et des enfants, mais ils étaient tout nus. Je n’ai pas osé rester. Tu n’aurais pas été contente.
Mme Lemonier apprécie que sa petite Béatrice, malgré son très jeune âge, garde, même en rêve, un certain respect des convenances. Elle lui explique :
— Quand on rêve d’une maison, c’est qu’on rêve de soi-même.
Mais elle ne s’aventure pas à analyser le contenu psychanalytique des rêves de sa fille. Ce matin, donc, Béatrice a eu un nouveau rêve. Mme Lemonier s’assoit sur le bord du lit :
— Alors, mon poussin, raconte-moi ton rêve avant de l’oublier. On va bien voir si c’est du comique ou du tragique…
Béatrice se concentre et repart un peu dans son rêve.
— On était toutes les deux devant «ma» villa et j’ai vu sortir un gros monsieur barbu. Il avait le visage tout rouge, comme s’il allait exploser. Il avait une canne à la main, un chapeau de paille tout noir avec un ruban qui brillait comme de l’argent…
— Très intéressant, ma chérie ! Un chapeau noir avec un ruban argenté ! Ça devait être d’un chic ! Et qu’est-ce qu’il faisait, ce gros monsieur ?
Béatrice vit souvent des aventures époustouflantes de l’autre côté de la nuit mais, ce matin, Mme Lemonier doit rester un peu sur sa faim… Béatrice, un peu vexée, avoue :
Il ne faisait rien, il sortait de «ma» villa enfin, il m’a semblé que c’était «ma» villa, et il s’en allait dans la rue en faisant tourner sa canne…
Mme Lemonier rabat d’un seul coup la couette de Béatrice :
— Bon, ce n’est pas palpitant. Je me demande même pourquoi il s’est dérangé pour revenir se promener dans ton rêve.
Eh bien, Béatrice et sa mère vont très bientôt connaître la réponse à cette question un peu ironique…
Dans l’après-midi, Mme Lemonier annonce :
— Je vais aller faire des courses à Vichy et, s’il nous reste encore du temps, j’essaierai d’aller dire bonjour à Charlotte Duffaut. Elle fait une cure pour trois semaines. Elle est descendue à l’hôtel Taillefer. Tu viens avec moi ? (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
9 juin 2009
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