Histoires vraies
La voyante de Palma (1re partie)
Bernard Lefol passe ses vacances chez sa tante Xaviera. C’est la sœur de sa mère. La tante Xaviera est charmante mais le plus grand de ses charmes, c’est qu’elle habite à Palma, la capitale de Majorque, la plus grande des îles Baléares. Rien ne vaut une tante qui possède une propriété à trois kilomètres de la mer.
Nous sommes en 1956, le 1er août très exactement, et Bernard vient d’arriver à Majorque le matin même par le bateau de Barcelone.
Ce jour-là, sur la plage sauvage d’Es Trenc, la conversation porte sur une personnalité de Palma, une voyante mystérieuse dont tout le monde parle :
— Elle est extraordinaire ! Mais très difficile à contacter. On la voit beaucoup chez les riches Majorquins. Bien que beaucoup d’entre eux la considèrent comme une sorcière. Certains ne veulent en aucun cas lui laisser franchir le seuil de leur palais…
Bernard s’éloigne du groupe et se met à marcher en solitaire. La plage de sable blanc s’étend sur plusieurs kilomètres et l’eau bleue, la forêt de pins désertée par les chasseurs en font un paradis du bout du monde.
— Jeune homme, pourriez-vous me dire l’heure ?
Bernard n’a pas remarqué une femme assise au creux de la dune, face à la mer. Sa longue robe de lin, le foulard qui entoure ses cheveux couleur d’aile de corbeau font qu’elle se distingue à peine dans le creux de sable où elle s’est mise à l’abri du vent.
— Il est deux heures et demie, madame.
— Auriez-vous du feu ?
Bernard sort un briquet de sa poche. La dame, Majorquine sans le moindre doute, allume une longue cigarette à bout doré. Turque ou égyptienne.
— Vous êtes Français, n’est-ce pas ?
— Oui : je suis Bernard Lefol, de Perpignan, mais je suis en vacances chez ma tante, la marquise del Piombo.
— Ah oui, je la connais. C’était une demoiselle Catayun, n’est-ce pas ?
Bemard s’est assis dans le sable près de la dame. Quel âge peut-elle avoir ? Entre cinquante et soixante ans ? Elle regarde Bernard. Plus exactement elle regarde les mains de Bernard. Elle dit :
— Je suis Palmira Diaz del Belveder. Vos mains sont intéressantes.
D’autorité, elle saisit la main gauche de Bernard. Elle la retourne, paume au-dessus. Elle examine rapidement les lignes principales qui la sillonnent et dit presque à mi-voix, comme si elle se parlait à elle-même :
— Je vous vois chez les médecins. En France, à l’étranger. Partout, vous allez à l’hôpital. Mais ce n’est pas pour vous.
Bernard n’apprécie pas beaucoup les hôpitaux. Et ses études le porteraient plus vers la littérature, le théâtre, le cinéma que vers la médecine. Palmira continue d’un ton monocorde, sans émotion apparente :
— Avant que quatre ans soient passés, quelqu’un de votre famille va mourir dans un avion. Mais cela vous laissera assez froid. C’est comme si c’était un parent lointain… Je vois la mort pour vous a cinquante-six ans…
Décidément, Palmira n’est pas une voyante du genre à remonter le moral…
Elle poursuit sa litanie. Sur un thème moins sinistre. Elle annonce des amourettes plus ou moins heureuses, une grande passion qui n’aboutit à rien. Une liaison qui va durer plus de vingt-cinq ans et de l’argent, beaucoup d’argent mais… en fin de carrière.
— Nous verrons bien, conclut Bernard.
Et il se lève en s’excusant :
— Je dois partir, ma tante déteste que l’on soit en retard pour le déjeuner.
— Venez me voir chez moi. Calle San Juan. J’y suis tous les soirs à partir de 20 heures. Nous ferons la dînette. Vous pouvez même venir avec votre amie Marie-Louise. Disons après-demain soir…
Bernard s’entend répondre :
— Calle San Juan, au numéro 7. C’est entendu, je viendrai avec Marie-Louise.
— J’habite au premier étage à droite.
C’est un peu plus tard qu’il réalise que Palmira ne lui avait pas donné le numéro de la Calle San Juan. Et surtout qu’il n’avait jamais mentionné l’existence de son amie Marie-Louise venue de Perpignan pour les vacances. Tout cela est étrange… Le diable pourrait-il prendre une forme féminine ? (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
6 juin 2009
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