Histoires vraies
L’inconnue (2e partie)
Résumé de la 1re partie n Guthrie, après avoir été renvoyé par M. Platt, se décide à écrire à M. Ames, le grand producteur, pour solliciter un emploi.
Guthrie met un moment avant de comprendre. Mme Famann, la propriétaire, est une fervente spirite. A l’époque, c’est une mode qui fait fureur en Amérique. Elle interroge presque tous les jours les esprits de l’au-delà qui lui répondent, selon leur humeur, par l’intermédiaire d’un vieux guéridon.
— Prenez un crayon et un papier.
Une fois chez Mme Famann, Guthrie la voit qui pose les mains sur le vieux guéridon à trois pieds. Il attend et, au bout de quelques instants, sans aucun doute, le guéridon se soulève. Bientôt, il ne reste qu’un seul des trois pieds qui soit encore en contact avec le sol. Mme Famann dit, dans un murmure :
— Récitez les lettres de l’alphabet.
Guthrie commence :
— A, B, C, D…
Quand il arrive à la lettre E le guéridon retombe lourdement sur le sol. Puis il se relève. Les mains de Mme Famann l’effleurent doucement. Après le E, c’est le N qui provoque un coup de guéridon. La méthode est un peu longue mais Guthrie finit par aligner toute une série de lettres. Il ne comprend pas tout de suite. Mais si on découpe correctement la série, on obtient une phrase très claire : «Envoyez la lettre que vous avez écrite. Tout votre avenir en dépend.»
— La lettre ? Quelle lettre ? Ah ! la lettre que j’ai écrite pour Winthrop Ames.
Aussitôt, en pleine nuit, Guthrie court poster la lettre. Il n’a eu qu’à coller un timbre sur l’enveloppe.
Trois jours plus tard, Guthrie a la surprise de recevoir une réponse de l’Agence Ames. Winthrop Ames lui-même l’invite à lui rendre visite. Hélas, une fois à destination, une déception l’attend. La secrétaire lui annonce :
— M. Ames est souffrant. Il est resté chez lui. Revenez demain.
Le lendemain, nouvelle déception. L’état de santé de Winthrop Ames ne s’est pas amélioré. Il est toujours absent. Et de même le lendemain. Est-ce qu’on se paierait sa tête ?
Enfin, le quatrième jour, la secrétaire
annonce :
— M. Winthrop Ames a beaucoup aimé votre lettre. Il n’est pas en état de vous recevoir mais il vous propose le poste d’assistant metteur en scène pour la nouvelle pièce qu’il va monter. Avec un salaire de vingt-cinq dollars par semaine. Si cela vous convient, évidemment.
Comment vingt-cinq dollars par semaine pourraient-ils ne pas convenir à Guthrie ? Avec ça, il est sauvé. D’autant que, pour travailler avec le grand Winthrop Ames, il aurait renoncé à tout salaire s’il avait fallu. Le seul problème c’est qu’en acceptant cet emploi, Guthrie va se retrouver sous les ordres de M. Platt, dont il a renversé l’encrier quelques jours plus tôt.
Mais les dieux du théâtre veillent sur Guthrie : M. Platt a retrouvé son calme.
Quant à Winthrop Ames, il faudra attendre huit mois avant que Guthrie le rencontre enfin.
Et, à l’occasion de cette entrevue, Guthrie se voit proposer le poste d’assistant personnel du grand homme. Et la responsabilité d’une mise en scène. Quatorze mois après avoir renversé l’encrier, Guthrie s’assied derrière le bureau qu’il a lui-même taché d’encre. L’année suivante, on lui propose un contrat «à l’année» et non plus «à la pièce». Dix ans plus tard, Guthrie se voit proposer un nouvel accord par Winthrop Ames :
— Il est temps que vous voliez de vos propres ailes. Si vous voulez, je peux vous aider financièrement à monter votre propre maison de production. A condition bien sûr qu’il y ait une pièce que vous ayez envie de monter personnellement.
— Oui, je suis tenté. J’aimerais monter La Route de Douvres. (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
4 juin 2009
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