Histoires vraies
La vie en double (3e partie et fin)
Résumé de la 2e partie : La venue d’Ulrich en Angleterre suscite une grande surprise chez Madame Jungfrau qui est persuadée qu’il est son fils.
Frau Jungfrau rentre chez elle dans un état d’exaltation compréhensible.Tous les jours, elle guette le courrier. Qui finit par arriver, en provenance de l’ambassade allemande à Londres.
La lettre qui lui est adressée la laisse sans voix :
«Chère Frau Jungfrau, «Suite à la demande d’informations que vous avez faite concernant le brigadier UIrich Jungfrau de l’US Army, nous avons pu contacter ce militaire qui porte le matricule ‘’18 943 US Air Force’’. Ce militaire a nié formellement être votre fils. Pourtant un certain nombre d’éléments nous semblent troublants : tout d’abord la date de naissance. Le soldat américain Ulrich Jungfrau est né, comme votre fils, le 30 avril 1920. Mais il affirme qu’il a vu le jour à Rhine Lander, dans le Wisconsin, ce dont ses papiers font foi. En outre, le soldat UIrich Jungfrau parle non seulement l’américain mais il parle aussi très couramment l’allemand, ce qu’il a bien volontiers reconnu et qu’il explique par les origines de sa famille et un séjour dans les troupes d’occupation en Allemagne. Il a révélé qu’avant d’émigrer aux Etats-Unis, sa famille vivait en Bavière… Cependant, il affirme que ses parents sont nés américains. Ce sont ses grands-parents qui étaient originaires d’Allemagne…»
Wilhelmina Jungfrau ne comprend pas ce qu’on lui raconte. Elle maintient son point de vue :
— Ulrich Jungfrau est mon fils, il n’y a pas le moindre doute là-dessus. Je ne comprends pas quelles sont les raisons qui le poussent à me renier…
On pousse plus loin les vérifications nécessaires et on contacte, au fond du Wisconsin, la mère du soldat américain. L’ambassade d’Allemagne à Londres envoie télégramme sur télégramme aux Etats-Unis. Les réponses sont on ne peut plus nettes :
«Avons vérifié existence mère Ulrich Jungfrau. Aucun doute possible.»
Wilhelmina Jungfrau n’est pas encore au bout de ses surprises. On lui confirme par un courrier ultérieur que l’Ulrich Jungfrau Américain est, lui aussi, le fils d’une veuve. La veuve américaine est âgée de soixante-deux ans, exactement comme la maman allemande. Plus incroyable encore : l’une et l’autre portent le même prénom, Wilhelmina. C’est à devenir fou.
Par ailleurs, l’Ulrich Jungfrau Américain a une sœur plus jeune que lui. L’UIrich Jungfrau allemand, disparu en pleine bataille, possédait une sœur, elle aussi plus jeune que lui, qui ne vit plus avec sa mère. Mais la sœur américaine se nomme Carolyn tandis que l’AIlemande porte le prénom de Frieda. Wilhelmina Jungfrau la Bavaroise, devant cette multitude de coïncidences, est renforcée dans sa certitude : l’Ulrich Jungfrau Américain ne peut être que son fils. Pourquoi affirme-t-on contre toute évidence qu’il possède une autre mère et une autre sœur au-delà de l’Atlantique ? Mystère. Pourquoi les deux Américaines, la mère et la fille, s’entêtent-elles, elles aussi, à nier l’évidence ?
Pourtant Ulrich Jungfrau, l’Américain, persiste :
— Il ne s’agit que d’une série incroyable de coïncidences dont certaines s’expliquent sans doute par une origine allemande commune à nos deux familles. De là, la ressemblance physique, de là, les prénoms de nos deux mères. Si Frau Jungfrau veut me recevoir, je serai très heureux de la connaître. Cependant, il faut d’ores et déjà qu’elle renonce à tout espoir de retrouver son fils en moi…
Frau Jungfrau, alors, se mue dans un silence réprobateur. Petit à petit, elle transforme l’amour pour son fils disparu en rancune tenace. Ses voisines essayent de lui faire accepter l’inacceptable vérité, mais elle s’obstine désormais à répéter, à longueur de journée : «Pourquoi Ulrich ne veut-il pas reconnaître que je suis sa mère ? Qu’est-ce qu’elles ont de plus que moi, «ses» Américaines ? Comment peut-il me rejeter comme s’il avait honte de moi ?»
D’après Pierre Bellemare
3 juin 2009
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