Histoires vraies
La vie en double (1re partie)
Nous sommes en 1945, en Angleterre.
Les Américains sont installés depuis de longs mois dans la grande île pour préparer le débarquement de Normandie. Les «Américains» ! Pour de nombreuses jeunes filles anglaises, c’est tout un autre univers qui bouleverse leurs vies tranquilles, rythmées par l’heure du thé.
Ulrich Jungfrau, Yankee d’origine allemande, a noué une idylle avec Béatrice Worthing, qui est secrétaire au camp de base des soldats d’outre-Atlantique, à Lambethston, quand la fin de la guerre arrive. Ulrich doit regagner sa patrie : il est affecté au quartier général américain de son corps en Floride avant de pouvoir retourner à la vie civile et rejoindre le fin fond du Wisconsin où on a besoin de lui à la ferme familiale. Les adieux sont tristes. Mais on promet de se revoir bientôt :
— Béatrice chérie, ne t’inquiète pas. Dès que possible, je reviens te chercher. D’ailleurs, pour te tenir compagnie pendant mon absence, je te laisse Dickie. Tu pourras lui lire mes lettres.
Dickie, c’est un bâtard de cocker et de foxterrier, bien sympathique et typiquement britannique. Il ne comprend pas vraiment que son maître Ulrich s’en va au loin, mais il est un peu inquiet quand même…
A peine rentré chez lui, dans les plaines du Midlle West, Ulrich reçoit une lettre d’un brave Anglais, un ami fidèle qui habite non loin de chez Béatrice et qui lui écrit :
«Mon cher Ulrich, je sais que ce que je vais t’écrire ne va pas te faire plaisir, mais, depuis ton départ, j’ai le regret de constater que Béatrice néglige absolument ton pauvre Dickie. Je ne sais pas quels étaient vos accords à ce sujet, mais il fait peine à voir. Toujours dehors, pas de niche décente, mal nourri, mal soigné. Je n’aurais jamais cru que Béa le traite comme ça. Au fond peut-être t’en veut-elle de l’avoir laissée en carafe. Ou alors elle n’aime pas les chiens. Enfin voilà, tu es prévenu.»
Ulrich n’est qu’à moitié étonné. Béatrice, une superbe rousse au teint de lis, a toujours été plus préoccupée de sa beauté, d’ailleurs réelle, que des soins à apporter au brave Dickie. Il écrit pour demander des explications. Béa met trois mois à répondre. Pas de doute : leurs amours américano-anglaises ont du plomb dans l’aile. Du coup, Ulrich, dégoûté de l’amour et des femmes, décide de rempiler et cette fois-si s’engage dans l’armée de l’air américaine. Mas il n’oublie pas Dickie son chien fidèle. Il profite d’une courte permission pour débarquer tout à trac à Lambethston, au fond du comté de Kent, en Angleterre. Il ne vient pas chercher Béatrice. Il vient chercher son chien dans l’intention de le ramener chez lui. Mais à Lambethston, on ne l’a pas oublié :
— Ce n’est pas possible, c’est vous, Ulrich ! Vous êtes revenu pour épouser Béatrice ?
— Non, pas vraiment. Avec le temps nous nous sommes rendu compte que nos caractères étaient trop différents. ?a ne marcherait pas entre nous. Et, d’ailleurs, je crois qu’elle a un autre flirt, un Anglais bon teint. Je suis revenu des Etats-Unis pour récupérer mon chien, mon Dickie. Vous voyez l’allure qu’il a, le pauvre clébard. Je suis arrivé à temps : un mois de plus et il serait mort de faim.
Dans la petite ville anglaise, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Le journal local, L’?cho de Lambethston, publie la photo de Jungfrau et de son chien avec une manchette sensationnelle : «L’Américain qui a traversé l’Atlantique pour récupérer son chien.»
On sait que les Anglais, à part Béatrice évidemment, adorent les animaux. La photo d’Ulrich passe dans la presse nationale anglaise. Puis elle se retrouve dans la presse britannique destinée aux troupes d’occupation en Allemagne. Et elle finit par être publiée clans les journaux de l’Allemagne de l’Ouest.
Mein Gott ! Mais c’est mon Ulrich! (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
3 juin 2009
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