Dar el-Kaïd (1re partie)
Imposante n Au milieu d’une forêt assez touffue, la ferme se distingue par sa hauteur et sa beauté.
La partie nord de la ferme était habitée par le caïd de la région, Si Hammou, un Berbère de Tacheta, qui faisait la pluie et le beau temps dans les douars avoisinant la commune de l’ex-Carnot.
La partie sud était celle de l’administrateur militaire de la circonscription, un jeune lieutenant qui parlait l’arabe, le kabyle et le chenoui.
Belaïd, le fils du commerçant de Carnot, lui apportait toujours un couffin plein de friandises de la part de son père. Le lieutenant, que Belaïd n’appelait que «monsieur», ne riait même pas devant ce jeune homme aux yeux bleus et à la tignasse blonde qui parlait un français des plus soutenus. Belaïd aidait son père dans la gestion du commerce et du souk que le commerçant louait à la mairie de Carnot. Son charme et sa vivacité lui valaient le respect des clients et leur confiance à tel point qu’on emmagasinait ses paroles et qu’on les répétait dans les discussions, une fois réunis dans les douars.
Belaïd, de par sa stature et sa personnalité, faisait plus que son âge. Sa popularité prenait de l’ampleur, son savoir aussi, car il s’imprégnait de la culture nationale et occidentale. Autodidacte, Belaïd lisait beaucoup et expliquait aux clients ses penchants pour le nationalisme qui leur faisait peur. Et quand en 1956, un attentat est commis dans le village contre un garde-champêtre, Belaïd est parmi les premiers à être convoqués à la ferme. Le face-à-face avec le lieutenant a été si long que Belaïd en avait les larmes aux yeux tant sa peur était grande depuis qu’il avait entendu les coups de feu, cette fameuse nuit. Belaïd n’avait que dix-sept ans, mais il comprenait que son heure avait sonné et que celle de la liberté n’était pas loin. Le lieutenant, en le dévisageant, a lu des signes de fierté dans les yeux de ce futur homme qui était si pacifique.
La cigarette aux lèvres, le lieutenant parlait comme un grand frère, une façon d’amadouer le jeune pour extirper quelques aveux qui pourraient mener sur une bonne piste. Il avait beau insister, mais Belaïd tint bon et résista. Le lieutenant le gifla violemment, mais Belaïd, au lieu de perdre ses esprits, les retrouva pour expliquer au lieutenant que, étant commerçant, il devait parler à tout le monde sans distinction et jamais au même endroit, tantôt dans la boutique, tantôt au marché…
Le lieutenant le libéra et l’exhorta à ne pas quitter la commune, comme s’il voulait l’étiqueter…
Tout le monde s’étonna de la pression exercée sur Belaïd et même le maire intervint pour ce «môme» que tout le monde aimait. (à suivre…)
Z. Z.
3 juin 2009
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