Celui qui voulait avoir peur (1re partie)
Un père avait deux fils. Le premier était réfléchi et intelligent. I
l arrivait toujours à se tirer d’affaire. Le cadet, en revanche, était sot, incapable de comprendre et d’apprendre. Quand les gens le voyaient, ils disaient : «Avec lui, son père n’a pas fini d’en voir.» Quand il y avait quelque chose à faire, c’était toujours à l’aîné que revenait la tâche, et si son père lui demandait d’aller chercher quelque chose, le soir ou même la nuit, et qu’il fallait passer par le cimetière ou quelque autre lieu terrifiant, il répondait : «Oh non ! père, je n’irai pas, j’ai peur.» Car il avait effectivement peur. Quand, à la veillée, on racontait des histoires à vous donner la chair de poule, ceux qui les entendaient disaient parfois : «J’en ai des frissons !» Le plus jeune des fils, lui, assis dans son coin, écoutait et n’arrivait pas à comprendre ce qu’ils voulaient dire. «Ils disent toujours : «ça me donne la chair de poule ! ça me fait frissonner ! Moi, jamais ! Voilà encore une chose à laquelle je ne comprends rien.» Un jour son père lui dit :
— Ecoute voir, toi, là dans ton coin ! Tu deviens grand et fort. Il est temps que tu apprennes à gagner ton pain. Tu vois comme ton frère se donne du mal.
— Oui ! père, répondit-il, j’apprendrais bien volontiers. Si c’était possible, je voudrais apprendre à frissonner. C’est une chose que j’ignore totalement.
Lorsqu’il entendit ces mots, l’aîné des fils songea : «Seigneur Dieu ! quel crétin que mon frère ! Il ne fera jamais rien de sa vie.»
Le père réfléchit et dit :
— Tu apprendras bien un jour à avoir peur. Mais ce n’est pas comme ça que tu gagneras ton pain.
Peu de temps après, le bedeau vint en visite à la maison. Le père lui conta sa peine et lui expliqua combien son fils était peu doué en toutes choses.
— Pensez-voir ! Quand je lui ai demandé comment il ferait pour gagner son pain, il a dit qu’il voulait apprendre à frissonner !
— Si ce n’est que ça, répondit le bedeau, je le lui apprendrai. Confiez-le-moi.
Le père était content ; il se disait : «On va le dégourdir un peu.» Le bedeau l’amena donc chez lui et lui confia la tâche de sonner les cloches. Au bout de quelque temps, son maître le réveilla à minuit et lui demanda de se lever et de monter au clocher pour carillonner. «Tu vas voir ce que c’est que d’avoir peur», songeait-il. Il quitta secrètement la maison et quand le garçon fut arrivé en haut du clocher, et comme il s’apprêtait à saisir les cordes, il vit dans l’escalier, en dessous de lui, une forme toute blanche. (à suivre…)
3 juin 2009
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