Les cygnes (6e partie)
Résumé de la 5e partie n Les deux sœurs sont retenues sur l’île. Les cygnes avaient décidé de les élever. La fin de la journée s’annonce, Marinette et Delphine doivent regagner leur maison.
Qu’avez-vous ? Mais qu’est-ce qui se passe ? Ah ! quel malheur d’être vieux et de ne plus entendre ! Deux enfants si jolies ! Mais j’ai une idée. Suivez-moi. Quand je suis sur l’eau, j’entends tout ce qu’on me dit.
Le vieux cygne se posa sur l’étang et, tandis qu’il tenait son bec enfoncé dans l’eau, Delphine lui conta comment, avec Marinette, elle avait traversé la route malgré la défense des parents, et ce qui en était advenu. Quand elle eut tout dit, il se mit à nager vers le milieu de l’étang en sifflant du plus fort qu’il pouvait. Aussitôt, les cygnes qui pêchaient alentour vinrent se ranger en demi-cercle devant lui.
— Misérables garnements ! leur cria le vieux cygne tout tremblant de colère. Je ne sais pas ce qui me retient de vous chasser tous de cet étang ! Vous êtes la honte de la tribu ! Voilà deux fillettes qui ont eu la bonté d’apporter jusqu’ici un petit chien blanc orphelin et vous les récompensez en les retenant prisonnières ! Et vous leur défendez d’ouvrir la bouche pour vous faire comprendre votre sottise !
Les cygnes n’en menaient pas large et baissaient la tête.
— Si jamais les petites sont grondées par leurs parents, prononça le vieux cygne en les entraînant vers l’île, malheur à vous !
En arrivant auprès des petites, il commanda : — Demandez pardon à plein cou !
Montant sur le rivage, les cygnes se couchèrent devant les petites et, d’un même mouvement, posèrent leurs longs cous à plat sur le sol. Delphine et Marinette en étaient confuses.
— Et maintenant, préparez-moi l’attelage à cinq et que pas une minute ne soit perdue ! Nous conduirons les deux enfants par le bief jusqu’à la rivière et nous remonterons la rivière jusqu’au point le plus proche de la route.
«Bien entendu, nous les accompagnerons jusque chez elles. Allons, pressez-vous, fainéants !»
Les cygnes se mirent à courir et eurent bientôt préparé l’attelage. Delphine et Marinette montèrent sur un radeau tiré par cinq cygnes attelés en file et précédés de six autres, chargés de faire le passage et de détourner les branches qui auraient pu retarder l’embarcation. Le vieux cygne nageait auprès du radeau et avait l’œil à tout. Au moment de passer dans le bief, ses compagnons, inquiets des fatigues qu’il aurait à supporter, voulurent l’empêcher de s’y engager avec eux. A son âge, disaient-ils, un voyage aussi long était trop dangereux. Delphine et Marinette le priaient aussi de regagner l’île.
— Ne soyez pas en peine, répondait-il. La vie d’un vieux cygne ne compte pas, quand il faut empêcher que deux petites soient grondées. Allons, vite, pressons-nous ! La nuit sera bientôt là.
En effet, le soleil avait disparu et le soir descendait déjà sur l’étang. Porté par le courant, l’attelage fila rapidement sur le bief. Les cinq cygnes ne ménageaient pas leur peine. Le vieux cygne s’essoufflait à les suivre, mais s’ils faisaient mine de ralentir, il leur criait aussitôt :
— Plus vite ! tas de lambins, ou nos petites vont être grondées !
La nuit était déjà faite lorsque l’attelage arriva à la rivière. Il fallut lutter contre un fort courant et l’obscurité gênait les voyageurs. Heureusement, la lune se leva bientôt et permit de se diriger plus facilement. Enfin, le vieux cygne donna l’ordre de débarquer. Voyant qu’il était très fatigué, Delphine et Marinette le pressèrent de se reposer, mais il ne voulut rien entendre et les conduisit d’abord à la route. (à suivre…)
D ’après Marcel Aymé
Les contes bleus du Chat perché
31 mai 2009
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