La gardeuse d’oies (2e partie)
Résumé de la 1re partie :Attendri par l’image de la vieille femme, chargée d’herbes, de pommes et de poires, le fils d’un riche comte, s’arrêta pour l’aider.
Le jeune comte commença un peu à réfléchir quand on lui parla d’une heure de marche ; mais la vieille ne lâcha pas prise : elle attacha le sac à son dos et pendit à ses mains les deux corbeilles
— «Vous voyez, dit-elle, cela ne pèse pas.
— Cela pèse beaucoup, reprit le comte en faisant une triste grimace ; votre sac est si lourd qu’on dirait qu’il est rempli de pierres de taille ; et les pommes et les poires sont pesantes comme du plomb ; c’est à peine si je me sens la force de respirer.»
Il avait grande envie de déposer sa charge, mais la vieille ne le permit pas.
— «Voyez, je vous prie, dit-elle d’un ton moqueur, ce jeune homme ne peut pas porter ce que j’ai traîné souvent, vieille comme je suis. Ils sont tous prêts à vous assister en paroles ; mais, si on vient au fait, ils ne demandent qu’à s’esquiver. Pourquoi, ajouta-t-elle restez-vous ainsi à barguigner ? En marche ; personne maintenant ne vous délivrera de ce fardeau.»
Tant que l’on fut en plaine, le jeune homme pouvait y tenir ; mais quand ils eurent atteint la montagne et qu’il fallut gravir, quand les pierres roulèrent derrière lui comme si elles eussent été vivantes, la fatigue se trouva au-dessus de ses forces. Les gouttes de sueur baignaient son front et coulaient tantôt froides et tantôt brûlantes sur son corps.
«La mère, dit-il, je n’en peux plus ; je vais me reposer un peu.
— Non, dit la vieille ; quand nous serons arrivés vous pourrez vous reposer ; maintenant il faut marcher. Qui sait si cela ne vous sera pas bon à quelque chose ?
— Vieille, tu es une effrontée», dit le comte. Et il voulut se défaire du sac, mais il perdit sa peine ; le sac était aussi bien attaché que s’il n’eût fait qu’un avec son dos. Il se tournait et se retournait, mais sans réussir à se dégager.
La vieille se mit à rire et à sauter toute joyeuse sur sa béquille. «Ne vous fâchez pas, mon cher monsieur, dit-elle ; vous voilà en vérité rouge comme un coq ; portez votre fardeau patiemment ; quand nous serons arrivés à la maison, je vous donnerai un bon pourboire.» Qu’eût-il pu faire ? Il fallait se soumettre et se traîner patiemment derrière la vieille. Elle semblait devenir plus leste de moment en moment, et son fardeau à lui devenait plus lourd. Tout d’un coup elle prit son élan, sauta sur le sac et s’assit dessus : tout étique qu’elle était, elle pesait pourtant plus que la plus grosse villageoise. Les genoux du jeune homme tremblaient ; mais, quand il s’arrêtait, la vieille lui frappait les jambes avec une baguette et des chardons. (à suivre…)
Source : Contes choisis des frères Grimm. Contes fantastiques et contes facétieux.
31 mai 2009
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