Les cygnes (1re partie)
Les parents partirent pour la ville de très bon matin et dirent aux deux petites en quittant la ferme :
— Nous ne rentrerons qu’à la nuit. Soyez sages et surtout, ne vous éloignez pas de la maison. Jouez dans la cour, jouez dans le pré, dans le jardin, mais ne traversez pas la route. Ah ! si jamais vous traversez la route, gare à vous quand nous rentrerons !
En disant ces derniers mots, les parents regardèrent les petites avec des yeux terribles.
— Soyez tranquilles, répondirent Delphine et Marinette, on ne traversera pas la route.
— Nous verrons, grommelèrent les parents, nous verrons.
Là-dessus, ils s’éloignèrent à grands pas, non sans avoir lancé à leurs filles un regard sévère et soupçonneux. Les petites en avaient le cœur serré, mais, après avoir joué un moment dans la cour, elles n’y pensaient presque plus. Vers neuf heures du matin, elles se trouvaient par hasard au bord de la route et ni l’une ni l’autre n’avaient envie de traverser, lorsque Marinette aperçut de l’autre côté une petite chevrette blanche qui marchait dans les champs. Delphine n’eut pas le temps de retenir sa sœur qui avait franchi la route en trois enjambées et courait déjà vers la chevrette.
— Bonjour, dit Marinette.
— Bonjour, bonjour, fit la chevrette sans s’arrêter.
— Comme tu marches vite ! Où vas-tu ?
— Je vais au rendez-vous des enfants perdus. Je n’ai pas le temps de m’amuser.
La chevrette blanche entra dans un champ de grand blé qui se referma sur elle. Marinette et sa sœur, qui venait de la rejoindre, en restèrent interdites. Elles se préparaient à regagner la route, mais elles virent apparaître à cinquante mètres de là, deux canetons portant encore leur duvet jaune et qui semblaient très pressés.
— Bonjour, canetons, dirent les petites en arrivant auprès d’eux.
Les deux canetons s’arrêtèrent et posèrent le ventre par terre. Ils n’étaient pas fâchés de se reposer.
— Bonjour, petites, dit l’un d’eux. Belle journée, n’est-ce pas ? mais quelle chaleur ! Mon frère est déjà bien fatigué.
— En effet. Vous venez donc de très loin?
— Je crois bien ! Et nous allons plus loin encore.
— Mais où allez-vous ?
— Nous allons au rendez-vous des enfants perdus. Et maintenant que nous voilà reposés, en route ! Il ne s’agit pas d’arriver en retard.
Delphine et Marinette voulaient des explications, mais les deux canetons filaient sans entendre et entraient dans le champ de blé. Elles avaient grande envie de les suivre et furent un moment hésitantes, mais elles songèrent aux parents et à l’interdiction de traverser la route. A vrai dire, il était bien tard pour s’en souvenir, car la route était déjà loin. Comme elles se décidaient à rentrer, Delphine montra à sa soeur une tache blanche qui bougeait sur le pré en bordure de la forêt. Il fallait bien aller voir de près. Elles se trouvèrent en face d’un petit chien blanc, très jeune, gros comme la moitié d’un chat et qui marchait dans l’herbe aussi vite qu’il pouvait. Mais ses pattes n’étaient pas encore bien fermes et il trébuchait presque à chaque pas. Il s’arrêta et répondit aux petites qui l’interrogeaient :
— Je vais au rendez-vous des enfants perdus, mais j’ai bien peur de ne pas être à l’heure. Vous pensez ! il faut arriver avant midi, et moi, sur mes petites pattes, je ne fais pas beaucoup de chemin et je suis vite fatigué.
— Et qu’est-ce que tu vas faire à ce rendez-vous des enfants perdus ?
— Je vais vous expliquer. Quand on n’a plus de parents, comme moi, on va au rendez-vous des enfants perdus pour essayer de trouver une famille. Tenez, on me parlait hier d’un jeune chien qui a été adopté par un renard au rendez-vous de l’année dernière. Mais, comme je vous le disais, j’ai bien peur d’être en retard. (à suivre…)
D ’après Marcel Aymé
Les contes bleus du Chat perché
30 mai 2009
Non classé