Le mouton (9e partie)
Résumé de la 8e partie n Le cheval noir est retourné chercher l’oncle Alfred. La situation se corse pour le mouton car le soldat allait faire route. Le canard tente de l’en empêcher.
Marinette, tirant le cheval par la ficelle, partit à fond de train, tandis que Delphine et Jules poussaient par derrière. Ils le lâchèrent un peu avant d’arriver au milieu de la descente et le suivirent de loin en se cachant derrière les haies.
Sur son cheval de bois, le canard dévalait la côte en criant à tue-tête: « Coin ! coin ! Au bruit, le soldat s’était retourné et, arrêté au milieu de la cour de l’auberge, il regardait s’approcher le fougueux équipage. En arrivant au bas de la descente, le canard sembla faire effort pour retenir sa monture.
— Holà ! criait-il. Maudit animal, t’arrêteras-tu ? Holà, enragé !
Le cheval de bois, comme s’il se rendait à ces ordres, monta d’une allure plus tranquille le morceau de route qui conduisait à l’auberge et finit par s’arrêter au bord du fossé. Par chance, les roulettes se trouvèrent calées dans l’herbe, ce qui lui évita de descendre la pente à reculons. Sans perdre de temps, le canard sauta à bas et s’adressa au soldat qui le considérait bouchée bée.
— Militaire, dit-il, je vous donne le bonjour. L’auberge est-elle bonne ?
— Je ne peux pas vous dire. En tout cas, on y boit bien, répondit le soldat qui avait peine à tenir debout tant il avait bu, en effet.
— C’est que j’arrive de loin, reprit le canard, et que j’ai besoin de repos. Je ne suis pas comme cette bête-là, qui est vraiment infatigable. A croire qu’elle n’a pas sa pareille au monde. Elle va comme le vent et ne consent à s’arrêter qu’après s’être fait prier. Pour elle, cent kilomètres sont presque comme rien et il ne lui faut pas deux heures pour en venir à bout.
Le soldat en croyait à peine ses oreilles et regardait avec envie ce coursier impétueux qui, à vrai dire, lui paraissait assez placide. Comme la boisson lui donnait un peu dans la vue, il n’osait pas trop s’en rapporter au témoignage de ses yeux et préférait se reposer sur le canard.
— Vous avez de la chance, soupira-t-il. Ah ! oui, pour de la chance, c’est de la chance.
— Vous trouvez ? dit le canard. Eh bien, voyez ce que c’est, je ne suis pourtant pas content de mon cheval. Je vous étonne, n’est-ce pas ? Mais pour moi qui suis en voyage d’agrément, il est beaucoup trop rapide. Il ne me laisse pas le temps de rien voir à loisir. Ce qu’il me faudrait, c’est une monture qui me fasse voyager au pas.
Le soldat sentait de plus en plus lui monter à la tête le vin qu’il avait bu et croyait voir le cheval de bois frémir d’impatience.
Si j’osais, dit-il avec un air rusé, je vous proposerais bien un échange. Moi qui suis pressé, j’ai là un mouton, justement, dont la lenteur me rend enragé.
Le canard s’approcha du mouton, l’examina d’un œil méfiant et lui palpa les pattes avec son bec.
— Il est bien petit, fit-il observer.
C’est que je viens de le faire tondre. En réalité, c’est déjà un mouton d’une belle taille. Il est assez gros pour vous porter. Quant à ça, ne soyez pas en peine. Il me porte bien, moi, et il faut le voir galoper !
— Galoper ! dit le canard. Galoper ! Ah ça, militaire, votre mouton m’a tout l’air d’un dévorant qui court sur les routes à un train d’enfer. S’il en est ainsi, je me demande ce que j’aurais à gagner à un échange.
— Je me suis mal expliqué, fit le soldat tout penaud. La vérité, je m’en vais vous la dire : y a pas plus doux que mon mouton, ni plus fainéant, ni plus poussif. Il est même plus lent qu’une tortue, ou qu’un escargot. (à suivre…)
D ’après Marcel Aymé
Les contes bleus du Chat perché
30 mai 2009
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