L’âne et le cheval (5e partie)
Résumé de la 4e partie n Le cheval et l’âne découvrent la cruauté de leur père envers les animaux de la ferme…
La situation de l’âne n’était guère plus enviable. Chaque matin, portant une lourde charge sur son dos, il s’en allait au marché de la ville, et par tous les temps. Quand il pleuvait, sa mère ouvrait son parapluie, mais ne se souciait pas s’il avait le poil mouillé.
— Autrefois, disait-il, du temps où j’étais une petite fille, tu ne m’aurais pas laissé mouiller ainsi.
— S’il fallait prendre avec les ânes toutes les précautions qu’on prend avec des enfants, répondaient la mère, tu ne servirais pas à grand-chose, et je ne sais pas trop ce que nous ferions de toi.
Pas plus que le cheval, il n’échappait à être battu. Comme il arrive aux ânes, il était parfois très entêté. A certains carrefours, il s’arrêtait brusquement sans qu’on sût pourquoi et refusait d’avancer. La mère essayait d’en venir à bout par la douceur.
— Voyons, disait-elle en le caressant, sois raisonnable, ma petite Delphine. Tu as toujours été une bonne fille, une enfant obéissante…
— Il n’y a plus de petite Delphine, répliquait-il sans se fâcher. Il n’y a rien qu’un âne qui ne veut pas bouger de place.
— Allons, ne fais pas ta mauvaise tête, tu sais bien que ce n’est pas ton intérêt. Je vais compter jusqu’à dix. Réfléchis.
— C’est tout réfléchi !
— Un, deux, trois, quatre…
— Je ne bougerai pas d’un pas.
— … Cinq, six, sept…
— On me couperait plutôt les oreilles.
— … Huit, neuf, dix ! Tu l’auras voulu, sale bête !
Et il recevait sur l’échine une volée de coups de bâton qui finissait toujours par le décider. Mais le plus pénible, dans la nouvelle vie de l’âne et du cheval, c’était la séparation. A l’école ou à la maison, Delphine et Marinette ne s’étaient jamais quittées d’une heure. Ane et Cheval, ils travaillaient chacun de son côté et, le soir, à l’écurie, se retrouvaient si harassés qu’à peine, avant de s’endormir, avaient-ils le temps d’échanger quelques plaintes sur la dureté de leurs maîtres. Aussi attendaient-ils avec impatience le repos du dimanche. Ce jour-là, ils n’avaient rien à faire et passaient le temps ensemble au-dehors ou à l’écurie. Ils avaient obtenu des parents de pouvoir jouer avec leur poupée qu’il tenait couchée dans la mangeoire sur un lit de paille. N’ayant pas de mains pour la saisir, ils ne pouvaient ni la bercer, ni l’habiller, ni la peigner, ni rien lui donner des soins qu’exige d’habitude une poupée. Le jeu consistait surtout à la regarder et à lui parler.
— C’est moi ta maman Marinette, disait le grand cheval. Ah ! je vois bien que tu me trouves un peu changée.
— C’est moi ta maman Delphine, disait l’ânon. Il ne faut pas trop faire attention à mes oreilles.
L’après-midi, ils allaient brouter au long des chemins et parlaient longuement de leurs misères. Le cheval, qui était d’humeur plus vive que son compagnon, prononçait contre les maîtres des paroles de colère.
— Ce qui m’étonne, disait-il, c’est que les autres bêtes acceptent d’être menés aussi durement. C’est bon pour nous qui sommes de la maison ! Je sais bien que s’ils n’étaient pas mes parents, je me serais déjà sauvé depuis longtemps.
En disant cela, le grand cheval ne pouvait pas s’empêcher de sangloter et l’ânon reniflait de toutes ses forces.
à suivre…)
D ’après Marcel Aymé
Les contes bleus du Chat perché
30 mai 2009
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