Etre heureuse
Qu’est ce que le bonheur, tu me le demandes ? Je ne sais pas. Je ne me suis jamais posé la question. Mais une chose est sûre : je l’ai connu. Ou plus exactement, j’ai vécu des moments de bonheur. Pour moi, le bonheur n’est pas quelque chose d’abstrait, mais l’accumulation des moments heureux que la vie m’a réservés et me réservera, inombrables. La question, c’est de savoir les saisir à la volée, les vivre pleinement. Quand j’ai revu ton grand-père Jing-Ming, j’ai été heureuse; quand j’ai su que j’étais enceinte, j’ai été heureuse; quand je savourais les nouilles au riz de tante Liu, j’étais heureuse; quand ta maman est née, j’ai été heureuse; quand j’ai aperçu ses premières dents, j’ai été heureuse; quand je la voyais grande, belle et gaie, j’étais heureuse; quand j’ai préparé le repas de noces le jour de son mariage, j’ai été heureuse; quand j’écoutais l’opéra Gui, j’étais heureuse; quand je trouvais une jolie phrase dans ma lecture, j’étais heureuse; quand je rentrais à la maison après une journée de travail, j’étais heureuse; quand je suis entré dans un cinéma pour la première fois, j’ai été heureuse; quand j’ai appris la naissance de Ming-Ming, j’ai été heureuse; quand j’ai embrassé tes petites joues roses de bébé, j’ai été heureuse; quand tu as ramené ton père à la maison, j’ai été heureuse; quand ton rêve d’être médecin est devenu réalité, j’ai été heureuse; quand nous nous promenions sur ce sentier au bord du lac et dans le jardin des Plantes Médicinales, j’étais heureuse; quand on a enfin eu des nouvelles de ton frère, j’ai été heureuse; quand j’ai reçu la lettre de ton grand-père, j’ai été heureuse… Ce sont ces moments lumineux et bien d’autres, parfois très bref, mais toujours aussi réels, aussi palpables et aussi essentiels que le sel et le riz, qui ont adouci les coups durs du destin et qui m’ont fait sentir que, malgré tout, la vie vaut la peine de vivre…
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26 mai 2009 à 9 09 46 05465
Wei-Wei est née à Guangxi en 1957, au sud de la chine. Adolescente à la fin de la révolution culturelle, elle est envoyée à la campagne pour être rééduquée. Après des études de français, elle séjourne à Paris, puis à Manchester, où elle vit actuellement. Elle a également publié “Le Yangtsé sacrifié” (Denoël, 1997) et “Fleurs de Chine” (L’Aube, 2000).
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