Quand on entrait dans la pharmacie de mes beaux-parents, on était tout de suite saisi par une odeur très spéciale, un mélange insolite d’arômes différents, de feuilles, tiges, fleurs, racines, fruits et noyaux. Ces herbes et ces plantes, tu sais, on les avait cueillies à la campagne, au fond des vallées, au sommet ou aux pieds des montagnes, à l’ombre des arbres centenaires dans la forêt, au bord des ruisseaux qui jaillissent des entrailles de la terre, le long des rivières d’eau verte, jaune ou rouge… On les avait découpées en tronçons, tranches, lamelles, lanières ou petits dés puis séchées au grand soleil, au feu doux du charbon de bois, ou à l’ombre; on les avait parfois concassées dans un mortier de pierre ou de bois dur, ou encore de bronze, parfois moulues en fine poudre, passées au tamis et mélangées avec du miel pour fabriquer des boulettes de cires noires enrobées de cire blanche, parfois macérées dans l’alcool avec des serpents venimeux ou avec des morceaux d’os de tigre ou bien encore avec de gros lézards des montagnes pour soigner toutes sortes de maladies courantes ou bizarres… C’était ça, tu imagines, qui avait été rangé là, dans d’innombrables petits tiroirs qui couvraient entièrement les murs de la boutique. Il n’y avait pas de fenêtre mais une très grande porte qui laissait entrer la lumière du jour et les clients. Lorsqu’il pleuvait et qu’on y voyait mal, on allumait une grosse lampe à huile. Sur le comptoir, il y avait toujours une petite balance romaine en bronze, un gros boulier en bois verni rouge sombre, une pile de feuilles de papier découpées en carré, une paire de ciseaux et une boule de ficelle de chanvre pour faire les paquets. Une porte étroite au fond de la salle donnait sur une petite cour dallée rectangulaire où l’on faisait sécher le linge sur deux longues cannes de bambou suspendues en parallèles, où en été, après le coucher du soleil, on prenait le dîner autour d’une table de pierre, à côté d’un grenadier planté dans un énorme pot de terre cuite. Près de la porte de la cuisine, au fond de la cour se dressaient deux jarres immenses dans lesquelles on réservait de l’eau pour la cuisine et la toilette. N’ayant de puits ni dans la cour, ni aux environs de la maison, on puisait de l’eau à cinq cents pas dans le Qing-Sui, fleuve Limpide, dont l’eau gorgée de terre n’était jamais claire.
p. 74-75.
26 mai 2009 à 9 09 47 05475
Wei-Wei est née à Guangxi en 1957, au sud de la chine. Adolescente à la fin de la révolution culturelle, elle est envoyée à la campagne pour être rééduquée. Après des études de français, elle séjourne à Paris, puis à Manchester, où elle vit actuellement. Elle a également publié “Le Yangtsé sacrifié” (Denoël, 1997) et “Fleurs de Chine” (L’Aube, 2000).
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