Victor HUGO – La mort de Gavroche
Les Misérables (1862) Cinquième partie, Livre I, Chapitre XV
[Pour ses camarades insurgés, retranchés derrière une barricade, Gavroche (douze ans) va, au risque de sa vie, ramasser sur les morts les cartouches non brûlées.]
Le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche fusillé, taquinait la fusillade. Il avait l’air de s’amuser beaucoup. C’était le moineau becquetant les chasseurs. Il répondait à chaque décharge par un couplet. On le visait sans cesse, on le manquait toujours. Les gardes nationaux et les soldats riaient en l’ajustant. Il se couchait, puis se redressait, s’effaçait dans un coin de porte, puis bondissait, disparaissait, reparaissait, se sauvait, revenait, ripostait à la mitraille par des pieds de nez, et cependant pillait les cartouches, vidait les gibernes et remplissait son panier. Les insurgés, haletants d’anxiété, le suivaient des yeux. La barricade tremblait ; lui, il chantait. Ce n’était pas un enfant, ce n’était pas un homme ; c’était un étrange gamin fée. On eût dit le nain invulnérable de la mêlée. Les balles couraient après lui, il était plus leste qu’elles. Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache-cache avec la mort; chaque fois que la face camarde du spectre s’approchait, le gamin lui donnait une pichenette.
Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre l’enfant feu follet. On vit Gavroche chanceler, puis il s’affaissa. Toute la barricade poussa un cri ; mais il y avait de l’Antée dans ce pygmée ; pour le gamin toucher le pavé, c’est comme pour le géant toucher la terre ; Gavroche n’était tombé que pour se redresser : il resta assis sur son séant, un long filet de sang rayait son visage, il éleva ses deux bras en l’air, regarda du côté d’ou était venu le coup, et se mit à chanter :
Je suis tombé par terre,
C’est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C’est la faute à…
Il n’acheva point. Une seconde balle du même tireur l’arrêta court. Cette fois il s’abattit la face contre le pavé, et ne remua plus. Cette petite grande âme venait de s’envoler.
22 mai 2009 à 11 11 37 05375
Chaque partie du commentaire doit être constituée de deux ou trois paragraphes qui correspondent aux idées directrices de chacun des axes de lecture. Ainsi pour le texte ci-contre, dont on aurait entrepris de mettre en valeur le registre épique, un premier paragraphe pourrait observer l’ordre exemplaire suivant :
constatation de l’écart stylistique : Gavroche n’est jamais identifié en tant qu’enfant :
citations : « C’était le moineau – Ce n’était pas un enfant, ce n’était pas un homme ; c’était un étrange gamin fée – le nain invulnérable de la mêlée – ce pygmée »…,
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22 mai 2009 à 11 11 37 05375
fait de style : le texte offre une étonnante concentration de métaphores de cette sorte.
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22 mai 2009 à 11 11 38 05385
commentaire : Ainsi le narrateur procède à une lente transfiguration du personnage pour suggérer comment l’héroïsme de sa conduite en fait une sorte de mythe.
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