u’est-ce
qu’un texte littéraire ?
Sa
particularité est de solliciter activement la
participation du lecteur. Il lui attribue en effet simultanément plusieurs
rôles :
- un rôle de détective, qui rassemble les
pièces d’un puzzle, repère et déchiffre des non-dits,- un rôle d’orpailleur, qui creuse
toujours plus loin et va de la pépite au filon,- un rôle de stratège, qui déjoue les
pièges du narrateur,- un rôle de tisserand, capable de mettre
en résonance différents niveaux de lecture (polysémie, intertexte, échos
personnels).
Le texte
littéraire est pour cela, tout à la fois, objet de captation et de
distanciation : lieu de plaisir esthétique (saveur des mots et des rythmes) et
cognitif (sentiment de découverte et d’apprentissage), il éveille des échos
autobiographiques chez le lecteur et favorise une « réalité fictive » plus
riche que la réalité même. Mais cette ouverture à l’identification ne doit pas
compromettre la réflexion critique de distanciation. Pour toutes ces raisons,
le texte littéraire a bien sa place à l’école, pourvu que l’on sache respecter
ces différents niveaux et proposer des méthodes d’approche capables de
satisfaire la sensibilité comme l’intellect, dans la perspective d’une
meilleure maîtrise de la démarche cognitive et, aussi, d’une plus grande
tolérance.
Nous vous proposons, dans le cadre de ce qu’on appelle la
« lecture analytique », de procéder de manière systématique à un questionnement
des textes, susceptible de récolter des indices qu’il faudra rendre
signifiants.
Exercice préparatoire :
Voici un texte narratif. Vous l’identifiez comme tel en
raison de son insertion dans un roman célèbre. Il raconte en effet une histoire (la fiction)
et choisit de la raconter en prenant un certain temps, sous un certain angle, etc. (la
narration). C’est à celle-ci qu’une lecture analytique doit bien sûr s’attacher.
Vous trouverez ci-dessous le « balayage » des indices narratifs essentiels
(reportez-vous au tableau des types de textes)
à l’aide de questions très simples dont vous avez commencé à prendre l’habitude dans
la page précédente : qui parle ? à qui ? de qui, de quoi ? pourquoi ? De même
commencez à vous demander sur quoi est centré le message pour mettre en évidence les fonctions du langage : dans un texte
narratif, comment se manifeste la présence du narrateur ?
La Chartreuse de Parme
(1839)
chapitre III[Première expérience du feu pour le jeune Fabrice Del Dongo qui, éperdu
d’admiration pour Napoléon, se retrouve sur le champ de bataille de
Waterloo.]
Nous avouerons que notre héros
était fort peu héros en ce moment. Toutefois, la peur ne venait
chez lui qu’en seconde ligne; il était surtout scandalisé de ce bruit qui lui
faisait mal aux oreilles. L’escorte prit le galop; on traversait une grande pièce de terre labourée, située au-delà du
canal, et ce champ était jonché de cadavres.
- Les habits rouges ! les habits
rouges ! criaient avec joie les hussards de l’escorte, et
d’abord Fabrice ne comprenait pas;
enfin il
remarqua
qu’en effet presque tous les cadavres étaient vêtus de rouge. Une circonstance lui donna
un frisson d’horreur; il remarqua que beaucoup de ces malheureux habits rouges
vivaient encore; ils criaient évidemment pour demander du
secours, et personne ne s’arrêtait pour leur en donner.
Notre
héros, fort humain, se donnait toutes les peines du monde
pour que son cheval ne mît les pieds sur aucun habit rouge. L’escorte
s’arrêta; Fabrice,
qui ne faisait pas assez d’attention
à son devoir de soldat, galopait toujours en
regardant un malheureux blessé.
- Veux-tu bien t’arrêter, blanc-bec ! lui cria le maréchal des logis. Fabrice
s’aperçut qu’il était à vingt pas sur la droite en avant des généraux, et
précisément du côté où ils regardaient avec leurs lorgnettes.
Qui parle ?
en vert : le jugement du narrateur (l’intrusion d’auteur). Le
narrateur peut en effet juger son personnage, s’adresser au lecteur. Il se situe ainsi
dans une situation d’énonciation. On parle de discours argumentatif. Notez ici
l’ironie qui nous distancie du personnage.
Le discours rapporté : en bleu, le
discours direct. Pourquoi le verbe crier est-il toujours
cité après ce discours direct ? En
violet, le discours indirect
libre.
A qui ?
peu d’indices ici, mais le choix du nous
dans le discours implique aussi le lecteur, appelant sa complicité.
De qui ? Attachons-nous à la caractérisation du personnage.
Surlignés, quelques
verbes traduisent sa perception éparpillée, attirée par des
détails et ignorante des enjeux réels. C’est à travers lui que la bataille est décrite
(on parle de focalisation interne) et la narration y gagne en confusion.
De quoi ? en rouge
et en vert, l’action traduite par les temps verbaux. En rouge, la narration à l’imparfait
(l’itératif), en
noir au passé simple (le singulatif). Nous ne sommes
plus dans une situation d’énonciation. On parle de récit. Il est notable ici
que le passé simple vient brutalement rompre la longue rêverie du personnage, soulignant
son inadaptation au moment.
Pourquoi ? question fondamentale qui vous invite au bilan. Vos
réponses précédentes vous permettent de deviner l’intention du narrateur : voilà à
quoi se réduit une bataille (épique, s’il en fut ! voyez Hugo sur le même sujet) vue « au ras du sol. » Le propos de
Stendhal est donc ironique et démythifiant.
Une lecture analytique consiste à
OBSERVER : examiner le texte en posant les questions qu’appelle le type de discours qu’il
met en œuvre,
INTERPRÉTER : tirer parti des observations recueillies dans de courts bilans successifs,
CONSTRUIRE : synthétiser ces bilans en quelques axes qui étayeront le projet de lecture
et souligneront la spécificité du texte.
21 mai 2009
1.LECTURE