Charles-René-Marie Leconte de Lisle (1818-1894)
Les Montreurs (Poèmes barbares, 1862)
D’origine réunionnaise, Leconte de Lisle supporte mal l’échec des aspirations sociales du Romantisme. Réfugié dans le pessimisme, il s’emploie dès lors à explorer le fonds du patrimoine humain en évoquant les civilisations hellénistiques et barbares.
Tel qu’un morne animal, meurtri, plein de poussière,
La chaîne au cou, hurlant au chaud soleil d’été,
Promène qui voudra son cœur ensanglanté
Sur ton pavé cynique, ô plèbe carnassière !
Pour mettre un feu stérile en ton œil hébété,
Pour mendier ton rire ou ta pitié grossière,
Déchire qui voudra la robe de lumière
De la pudeur divine et de la volupté.
Dans mon orgueil muet, dans ma tombe sans gloire,
Dussé-je m’engloutir pour l’éternité noire,
Je ne te vendrai pas mon ivresse et mon mal,
Je ne livrerai pas ma vie à tes huées,
Je ne danserai pas sur ton tréteau banal
Avec tes histrions et tes prostituées.
21 mai 2009
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