Du fait de la nature religieuse donnée à l’Art, la création artistique apparaît souvent chez Baudelaire comme un véritable combat. «L’étude du beau est un duel où l’artiste crie de frayeur avant d’être vaincu», note-t-il dans Le Confiteor de l’artiste (Petits poèmes en prose). Tiré de ce même recueil, l’apologue ci-dessous vous permettra de caractériser la hauteur de l’enjeu mis sur la création poétique :
Le Fou et la Vénus
Quelle admirable journée ! Le vaste parc se pâme sous l’œil brûlant du soleil, comme la jeunesse sous la domination de l’amour. L’extase universelle des choses ne s’exprime par aucun bruit; les eaux elles-mêmes sont comme endormies. Bien différentes des fêtes humaines, c’est ici une orgie silencieuse. On dirait qu’une lumière toujours croissante fait de plus en plus étinceler les objets ; que les fleurs excitées brûlent du désir de rivaliser avec l’azur du ciel par l’énergie de leurs couleurs, et que la chaleur, rendant visibles les parfums, les fait monter vers l’astre, comme des fumées. Cependant, dans cette jouissance universelle, j’ai aperçu un être affligé. Aux pieds d’une colossale Vénus, un de ces fous artificiels, un de ces bouffons volontaires chargés de faire rire les rois quand le remords ou l’ennui les obsède, affublé d’un costume éclatant et ridicule, coiffé de cornes et de sornettes, tout ramassé contre le piédestal, lève des yeux pleins de larmes vers l’immortelle déesse. Et ses yeux disent : « Je suis le dernier et le plus solitaire des humains, privé d’amour et d’amitié, et bien inférieur en cela au plus imparfait des animaux. Cependant je suis fait, moi aussi, pour comprendre et sentir l’immortelle beauté ! Ah ! déesse ! Ayez pitié de ma tristesse et de mon délire. » Mais l’implacable Vénus regarde au loin je ne sais quoi avec ses yeux de marbre.
21 mai 2009
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